Évoquer les relations entre l’Algérie et la Tunisie, par vocation, naturelles, suppose de faire appel à un intervenant plus introduit dans les dossiers liant les deux pays pour en faire le point, de l’état actuel des choses et les perspectives futures.
La communauté algérienne établie en Tunisie- sous sa bonne et mauvaise passe-, ce que l’Algérie a fait à son égard et ce qui ne l’est pas encore, les échanges économiques et touristiques entre les deux voisins, l’affaire liée à l’expulsion d’une famille algérienne dans un hôtel tunisien… C’est suivant ces questions que le président de l’Amicale des Algériens en Tunisie, Chakib Djouhri, a été convié, hier, pour animer le forum hebdomadaire du Courrier d’Algérie. Et comme il ne serait possible d’avoir plus de visibilité sur les relations algéro-tunisiennes en elle-même sans parler de la présence diplomatique et économique de l’Algérie sur le plan régional, africain et international, le parlementaire a fait un tour d’horizon autour.
Ainsi sur le plan diplomatique, «tous les pays africains reconnaissent le rôle joué par l’Algérie dans la lutte pour l’indépendance des peuples africains», a rappelé Chakib Djouhri qui renvoie de ses propos au rôle déterminant de la jeune République algérienne post-indépendance dans le recouvrement des libertés des pays africains, l’abolition du régime de l’apartheid en Afrique du Sud, le soutien à l’autodétermination des peuples palestinien et sahraoui, ou récemment encore ses initiatives politiques et pacifiques dans le maintien de la paix et la résolution des conflits au Sahel, en Libye…
Au plan économique, «le nouveau siècle a donné lieu à de nouveau enjeux et la naissance de nouvelles forces majeures. Autrement, une lutte d’influence des pays de l’occident (Etats-Unis et anciennes puissances coloniales européennes) d’un côté et la Chine de l’autre. Deux blocs qui jouent un rôle important pour peser en Afrique compte tenu des ressources naturelles qu’elle recèle», a-t-il expliqué avant de se fixer sur le rôle de l’Algérie sur cet échiquier. «L’Algérie, pour peser dans ce jeu, doit avoir une économie plus ou moins agressive.
Actuellement, l’Algérie traverse une phase de transition du régime socialiste au régime libéral. Pour ce faire, nous essayons de constituer un secteur privé dynamique et performant, et plus agressif pour concurrencer les pays de l’Afrique du Nord», a-t-il noté en citant le cas de la Tunisie et du Maroc. Pour lui, ce n’est pas la volonté politique qui manque, mais les moyens à cette même politique. Sur ce, il distingue entre ce qui a été réalisé comme infrastructures de base à l’économie et le rôle qui échoit aux opérateurs et à l’administration.
«Il faut faire sauter les verrous de la bureaucratie»
Qu’en-est-il des échanges économiques entre les deux voisins immédiats ? Une question qui sous-tend à donner surtout les chiffres pour en illustre le tableau. Le volume arrive à peine à atteindre les 2% du taux global des échanges algéro-tunisiens.
«Ce qui est regrettable vu que les deux pays entretiennent des relations politiques et diplomatiques excellentes. Malheureusement, cette excellence ne s’est pas traduite par des échanges beaucoup plus élevés», déplore l’ex-membre de l’Union des parlementaires africains. Et qu’est-ce qu’il y’a lieu de faire justement ?
«Charge aux opérateurs privés algériens et tunisiens de chercher des créneaux communs. C’est aussi à l’administration d’accompagner ces mêmes opérateurs. Car, il y’a beaucoup de verrous et de contraintes, voire de barrières de procédure et non de la loi. En termes clairs, beaucoup de produits algériens n’arrivent pas à être écoulés en Tunisie à cause des pratiques de bureaucratie. Les conditions sont exagérées. D’ailleurs, des opérateurs algériens se sont plaints et ont maintes fois saisi, via des rapports, la commission mixte algéro-tunisienne et le consulat d’Algérie à Tunis. Et vice versa. Puisque des opérateurs tunisiens sont soumis aux mêmes contraintes. Beaucoup de producteurs parmi eux regrettent de ne pas pouvoir accéder au marché algérien. «Aujourd’hui, il est temps que la Grande commission mixte algéro-tunisienne annuelle s’y penche pour lever ces contraintes. Il faudrait travailler franchement et se dire toutes les vérités en face. D’autant plus que les potentialités existent. Une comparaison du secteur productif entre les deux pays fait ressortir que les Tunisiens ont beaucoup plus de traditions. Ils disposent d’un énorme réseau de PME/PMI qui ont accès aux marchés européens en travaillent en partenariat avec des sous-traitants internationaux. Les Algériens aussi commencent à être présents en Tunisie et ailleurs. À l’exemple des produits électroniques et électroménagers qui sont très prisés en Tunisie. Faut-il encore faire sauter les verrous avec la Tunisie, qui plus est, représente une fenêtre sur le marché libyen. Je l’ai toujours affirmé. Il faut privilégier le marché tunisien vu son expérience et sa proximité avec le marché libyen»
«Une nouvelle génération de binationaux réclame son algérianité»
Qui dit relations algéro-tunisiennes pense à la communauté algérienne établie chez le voisin de l’Est. Et comme on est en pleine saison estivale, on ne peut éluder la question du tourisme. Ainsi, tout le monde sait que la diaspora nationale en Tunisie remonte à la période d’avant et pendant la Guerre de libération nationale. Ainsi, lors de la Révolution et même la répression d’avant «La Tunisie constituait l’arrière-base et un terreau fertile à la Révolution algérienne. Il y’avait énormément d’Algériens déplacés lors de la Guerre qui y trouvent soutien sur tous les plans. La présence des Algériens était surtout basée au niveau des frontières mais aussi dans la capitale Tunis», comme faits historiques confirmant la présence de longue date de la communauté nationale en Tunisie. Plus tard, c’est lors de la décennie terroriste des années 90 que des Algériens trouvent refuge en Tunisie. Aujourd’hui, le nombre des Algériens en Tunisie se situe entre 30 000 et 40 000, selon des chiffres approximatifs avancés par Djouhri, sachant que le recensement souffre d’une mise à jour régulière. Et du coup, c’est la question de l’intérêt des autorités algériennes à cette communauté qui se pose d’elle-même. Ainsi, pour prendre le cas des binationaux, durant les années 80/90, les algéro-tunisiens ont été soumis longtemps au régime policier de l’ancien président déchu Ben Ali. «Notre communauté a été très surveillée. Preuve en est que le dossier a été traité sur le plan sécuritaire par le ministère tunisien de l’Intérieur. Par contre, les choses ont changé depuis 2011 (la Révolution de Jasmin, ndlr) où une nouvelle génération d’Algériens naturalisés tunisiens qui reviennent, et qui veulent revenir en Algérie. Ils réclament leur algérianité. Aussi, il y’a aussi la loi de 2006 promulguée par le président Bouteflika qui a réparé une injustice historique. Depuis cette date, nous avons pu récupérer beaucoup d’Algériens nés de mères d’origines étrangères», estime le conférencier qui revendique, en tant que parlementaire représentatif de la communauté algérienne en Tunisie entre autres, plus de facilité dans la procédure d’octroi de facilités d’ordre administratif.
Farid Guellil