Accueil MONDE Birmanie : Le périlleux voyage des déplacés d’une guerre oubliée

Birmanie : Le périlleux voyage des déplacés d’une guerre oubliée

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A peine remise de son accouchement de la veille, Seng Moon a juste pris le temps d’emmitoufler son bébé avant de fuir dans la jungle du nord de la Birmanie, comme des milliers de civils pris dans l’étau des combats entre armée et rebelles.

Seng Moon habite le village de Awng Lawt, en Etat Kachin, une région montagneuse couverte d’une jungle épaisse à la frontière avec la Chine, en Etat Kachin. Plus de 100.000 personnes sont actuellement «déplacées» dans les régions de l’Etat Kachin et le nord de l’Etat Shan, d’après l’ONU. Depuis janvier 2018, la tendance s’est dramatiquement accélérée, avec 20.000 nouveaux déplacés. En cause: la reprise des combats entre l’Armée d’indépendance Kachin (KIA) et les soldats birmans depuis 2011, après 17 années de cessez-le-feu. Les violences ont redoublé ces dernières semaines. Mi-avril, les bruits des détonations et des avions de chasse ont ainsi poussé les villageois de Awng Lawt à trouver refuge dans les rizières. Trois jours plus tard quand les obus ont commencé à tomber, le chef du village a décidé d’évacuer les 2.000 habitants dont nombre de jeunes enfants, de malades et de personnes âgées. «Je n’arrêtais pas de saigner, j’ai cru que j’allais mourir», raconte Seng Moon à l’AFP depuis le camp de cabanes de bambou où elle a trouvé refuge près de la localité de Danai. Le groupe a dû marcher plusieurs jours, sur des terrains difficiles, traversant jungle et rivière. C’est là que certains cornacs et leurs éléphants sont venus à l’aide des civils en fuite, transportant les plus fragiles pour traverser le torrent.

Dans l’ombre de la crise rohingya
Les membres de l’ethnie Kachin sont principalement chrétiens, dans un pays majoritairement bouddhiste. Le conflit dans cette région reculée de la Birmanie a toujours eu du mal à attirer l’attention mondiale. Depuis l’été 2017, cette dernière s’est en outre focalisée sur la crise en Etat Rakhine (ouest) et l’exode au Bangladesh de quelque 700.000 musulmans rohingyas. Pourtant si les conflits sont très différents, il y a un acteur commun aux deux terrains de violence: l’armée birmane. Et la 33e division de l’armée, accusée par les ONG d’avoir été partie prenante de ce que l’ONU qualifie d’épuration ethnique contre les Rohingyas, a été depuis envoyée en Etat Kachin. Le ministre de la Sécurité et des Affaires frontalières, le colonel Thura Myo Tin, a confirmé le redéploiement de la division à l’AFP, sans donner plus de détails sur leur mission. Pour Human Rights Watch, leur présence fait craindre le pire pour les civils, face au «peu d’espoir que des divisions comme celles-ci changent leur comportement ou respectent leurs obligations de les protéger». Ces groupes armés qui combattent le pouvoir central font partie de la vingtaine de rébellions de minorités ethniques présentes dans le pays depuis l’indépendance en 1948, certaines constituant les guérillas les plus anciennes au monde. Outre les revendications autonomistes, le contrôle des abondantes ressources minières vient souvent ajouter de la tension dans ces régions et l’Armée d’indépendance Kachin tire une large part de ses revenus du jade. La dirigeante birmane Aung San Suu Kyi avait promis, en arrivant au pouvoir en avril 2016, de pacifier le pays. Celui-ci est le théâtre depuis son indépendance des Britanniques en 1948 de conflits armés entre le pouvoir central et plusieurs des nombreuses minorités ethniques. L’armée, qui a toujours combattu avec force les insurrections pendant les décennies où elle était au pouvoir, a gardé le contrôle sur les questions de sécurité et a donc carte blanche concernant les opérations militaires. La semaine dernière, l’armée birmane a accusé l’Armée d’indépendance kachin d’avoir lancé avec un autre groupe – l’Armée nationale ta’ang de libération (TNLA) – une attaque contre plusieurs bases militaires. Ces combats ont fait au moins 19 morts. «L’objectif principal de l’armée est de protéger la souveraineté et de protéger les intérêts nationaux», s’est borné à expliquer le colonel Thura Myo Tin, ministre de la Sécurité et des Affaires frontalières du Kachin. L’aile politique du KIA, l’Organisation pour l’indépendance du Kachin (KIO), a défendu les actions du groupe. «Ce sont des envahisseurs, nous sommes des défenseurs», a déclaré le porte-parole, Dau Hka. «Une fois que l’armée birmane arrêtera son attaque offensive, les combats s’arrêteront immédiatement».

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