L’hôtel « l’Etoile », situé au cœur de Bejaia à la périphérie de la mythique place du 1er novembre (ex-place Gueydon) a rouvert ses portes, après une rénovation de plusieurs mois, qui font désormais de lui un haut lieu de tourisme et d’histoire.
Le lieu est réputé pour avoir accueilli, 10 ans durant (1931-1941), un illustre personnage, qui n’est autre que le septième président du Portugal (octobre 1923-décembre 1925), l’écrivain et poète, Manuel Teixeira Gomes. De stature modeste à l’origine avec seulement 26 chambres, l’établissement a vécu des années durant, presque en situation d’abandon. Pourtant, il est localisé au milieu d’un ensemble d’immeubles architecturalement de très haute facture, au contour de la plus belle place de Bejaia, spacieuse et grandement ouverte sur le port et la rade. De plus, l’hôtel renferme le secret de l’exil du président Gomes qui, au-delà de ses anciennes fonctions politiques, avait la réputation d’avoir été un homme d’un raffinement extrême et d’une culture admirable. Autant d’atouts censés militer en faveur de sa conservation, voire de sa rénovation, mais qui n’ont pas intéressé, pour des raisons encore inexpliquées, les promoteurs touristiques locaux. Outre le fait de posséder du caractère, l’hôtel pétille de plus par sa dimension historique. Ce n’est qu’en 2017, qu’un repreneur s’est manifesté pour le reprendre en concession auprès de la commune et qui, de suite, a mis les moyens pour lui rendre sa superbe. « Il l’a fait par passion », a souligné Imad, le gérant principal de l’établissement, visiblement très fier des transformations introduites et qui regrette que le repreneur n’ait pas survécu à son œuvre, ayant tiré sa révérence il y a à peine quelques jours. L’hôtel, qui compte trois (3) étages, a subi une rénovation et une modernisation intégrale. Hormis la chambre « 13 » qu’avait occupé le président Gomes, gardée quasiment en l’état avec son ameublement et ses rideaux, à l’exception du plancher recouvert d’une fraiche dalle de sol, toutes les autres chambres ont été refaites, remeublées et ré-éclairées avec une touche artistique délicate et un décor d’ensemble pour le moins somptueux. Un ascenseur, inexistant auparavant, est venu renforcer le confort général ainsi qu’une terrasse au-dessus de l’immeuble qui fait front à la mer au sud, et au mont Gouraya au nord, donnant aux clients et autres visiteurs des sensations de charme que l’on imagine analogues à celles éprouvées par le président Gomes, lequel ne tarissait pas d’éloges sur la beauté de la ville et de sa région. « Le charme de la mer à lui seul a contribué énormément dans ma décision de rester dans cette ville, une sorte de Cintra (actuelle ville de Sintra au Portugal) au bord de la mer, mais plus accidentée et plus riche en promenades agréables: Bougie est une terre d’élection », rendait-il compte à son meilleur ami resté au Portugal, Joachim Laydao.
Bejaia terre de réconciliation avec la muse
Poète au romantisme exacerbé, Manuel Texeira Gomes a trouvé assurément en Bejaia, l’endroit idéal pour se reposer et rompre avec ses douloureux souvenirs des années passées au Palais de « Belém », le palais présidentiel d’où il en est sorti plein d’amertume. « Un immense gâchis que j’ai traversé miraculeusement sans m’y noyer », confiait-il encore dans son abandon échange épistolaire avec ses anciens amis, expliquant qu’au-delà du contexte politique du pays, ces années passées au sommet de l’Etat, l’avaient coupé et amputé de ses passions et de sa fascination pour la culture et les arts. Il appréciait particulièrement la culture orientale et « l’ivresse de la poésie arabe ».
Du reste ces inclinaisons, il a continué à les cultiver à Bejaia, dédaignant les salons du personnel colonial Français, mais fréquenta assidument les réunions et les sorties populaires des habitants de la région qu’ils trouvaient « fort aimables » et dont certains continuent à garder de lui un souvenir très vivant. Teixeira Gomes avait pris, en effet, le pli chaque matin, de venir, un journal à la main et toujours vêtu de blanc, s’attabler sur une des terrasses de la place du 1er novembre, suivant le mouvement des bateaux sur la rade de Bejaia ou scrutant les paysages magnifiques qui s’offraient à lui. C’était son grand moment de nostalgie aussi. « C’est mon heure portugaise. Je l’ai appelé ainsi parce que c’est l’heure à laquelle je reçois le courrier de mon lointain pays. J’apprends les nouvelles de mes amis, de mes filles et de mes petits enfants que je n’ai pas connus, c’est l’heure la plus heureuse de ma vie », soulignait-il encore. En fait, durant ses dernières années, il sortait peu, se contentant de ses contemplations depuis les fenêtres de sa chambre située au premier étage et dont il avait fait sobrement son quartier général. Il en avait fait un suprême lieu d’inspiration, cumulant les romans, les contes, les pièces de théâtre et les chroniques journalistiques. Il était « une personnalité unique de la culture portugaise de son époque », selon l’institut Camoes (Portugal) qui souligne que Teixeira Gomes « a traduit à Bejaia une vision du monde tranquille et épicurienne ». Il a tiré sa révérence en octobre 1941, et depuis, la chambre 13 autant que l’hôtel qui l’abrite, sont devenus des lieux de pèlerinage, y compris pour les ressortissants portugais, malgré un sevrage qui a duré près de cinq (5) ans.
En effet, au-delà des travaux ainsi engagés, l’ouvrage a pâti de la crise sanitaire de la covid-19, puis des aléas administratifs, induit par le transfert de la concession de l’Assemblée populaire communale (APC) vers le nouvel acquéreur. Mais le résultat réussi en valait l’attente. L’hôtel a désormais une nouvelle destinée.