Que ce soit sur les réseaux sociaux, au sein de la communauté scientifique ou à l’intérieur de la société civile, la dernière décision, du moins surprenante, des pouvoirs publics concernant la réouverture de certaines activités commerciales en cette période pandémique, a laissé pantois plus d’un et a surtout été différemment appréciée.
Ainsi, pour la majorité des Algériens cette décision dénote de la maîtrise de la situation face à la pandémie et un prélude à la levée du confinement imposé pour éviter la propagation du virus mortel, et donc prêt à renoncer au respect des mesures barrières et autres. Mais les scientifiques, parmi les plus avisés ou pas, ne l’entendent pas de cette oreille et estiment que c’est une démarche « hasardeuse et non réfléchie » qui risque de réduire en cendre tous les acquis enregistrés contre le Covid, et même provoquer une deuxième vague de contamination encore plus sévère et difficile à gérer. Pour avoir plus d’éclaircissements et d’avis sur la question, ses motivations et surtout ses conséquences et retombées dans la lutte contre la pandémie dans notre pays, nous avons contacté, hier, le docteur Lyès Merabet, syndicaliste de la santé, et Hacène Menouar de l’association El Aman pour la protection des consommateurs. « La décision de la réouverture des commerces en pleine crise sanitaire est une décision prise dans la précipitation et pas du tout réfléchie et nous appréhendons une augmentation des cas contaminés dans une à deux semaines, conséquence directe de cette démarche qui obéit à des considérations économiques et sociales de l’aveu même du gouvernement. Et l’avenir nous départagera », a souligné, hier, le président du Syndicat national des praticiens de la santé publique (SNPSP), Dr Lyes Merabet, joint par nos soins.
Une décision « irréfléchie » pour Dr. Merabet
Pour Dr. Merabet, la mesure des autorités du pays concernant l’autorisation pour ces commerces de rouvrir «n’est même pas accompagnée d’une notion d’obligation » pour le respect de la distanciation, le port de masque ou l’hygiène individuelle et collective pour endiguer la propagation de la pandémie dans notre pays. « Depuis le début du mois sacré du Ramadhan, nous avons enregistré 510 cas confirmés qui sont, bien entendu, contaminés avant le mois de carême. Par un simple calcul, si chaque personne peut en contaminer deux à trois autres de son entourage, sachant que le calcul est basé sur le principe que ces personnes sont protégées avec des bavettes et le respects de la distanciation sociale, il est facile d’en déduire que dans notre pays où aucune mesure n’est respectée, le nombre ne pourra que monter en flèche. Chose d’ailleurs que nous ne souhaitons pas », a expliqué notre interlocuteur, exerçant à l’hôpital de Blida. Une région foyer de la pandémie qui, pour rappel, est mise sous confinement total avant de connaître un allégement de cette restriction.
Toujours dans le même ordre d’idées, le syndicaliste Merabet, s’est encore étalé sur le principe du confinement et surtout le mode d’emploi, pour pouvoir générer la situation comme il se doit. « Tout confinement doit être suivi, au préalable, par des mesures d’accompagnement, notamment financier au profit des personnes frappées de plein fouet par les conséquences de cette restriction sanitaire, à l’exemple justement des commerçants et autres personnes ayant perdu leur travail en raison de la situation sanitaire. Mais en l’absence d’une administration numérisée, incluant le recensement des registres du commerce, la lutte contre la fraude, la monnaie électronique et la facturation, comme c’est le cas dans les pays développés, le pays est face à un dilemme : Qui indemniser ? », s’est interrogé le président du SNPSP.
H. Menouar propose une alternative à l’ouverture des commerces
De son côté, le président de l’association El Aman pour la protection du consommateur, Hacène Menouar, trouve « aberrante » la sortie des autorités qui répondent, selon lui, à la demande de certaines associations de commerçants, et qui va porter « un coup dur » à tous les efforts consentis jusqu’ici et qui avaient justement permis de réduire la propagation du virus.
« Nos décisions doivent être adaptées au niveau du civisme, de la culture, et de la conscience de nos concitoyens », a déclaré M. Menouar, qui a rappelé ces histoires de bousculades pour un sac de semoule , qui sont malheureusement, a-t-il ajouté, en train de se reproduire à la faveur de cette décision depuis le début du mois sacré où « nous avons constaté une violation flagrante de toutes les mesures préventives », affirmant que son association s’élève contre la derrière décision des pouvoirs publics, quel que soit le prétexte, car « il s’agit de la vie de nos concitoyens ».
Pour notre interlocuteur, il existe d’autres solutions pour voler au secours de cette frange de commerçants, en évoquant notamment la possibilité d’opérer l’indemnisation et compensation du déficit au profit de ces personnes, en allégeant les charges fiscales et parafiscales, le soutien des salaires des employés, et l’attribution de compensations financières aux artisans et autres petits commerçants. Ceci comme proposition « au lieu de s’aventurer à mettre en danger toute la population et de réduire à néant tous les acquis enregistrés dans la lutte contre la pandémie du Covid-19», suggère Menouar. « Le citoyen-consommateur a plus besoin d’être protégé du Covid-19 que de s’approvisionner en gâteaux traditionnels circonstanciels », a souligné M. Menouar, tout en qualifiant la décision des pouvoirs publics de « populiste », « aléatoire », et « non réfléchie ».
« C’est une décision populiste, aléatoire et non réfléchie qui nage à contre-courant de toutes les recommandations des scientifiques et de la société civile et qui va causer beaucoup de dégâts en vies humaines », a-t-il alerté, avant de lancer un appel à la population de rester confinée, ne sortir que dans le grand besoin et surtout de respecter les mesures préventives lors des achats. Il est à rappeler que le président de cette association a adressé une lettre au Premier ministre, Abdelaziz Djerad, l’invitant tout bonnement à renoncer à sa décision, notamment en ce qui concerne les instructions imposées aux coiffeurs et aux vendeurs de chaussures qui relèvent, à ses yeux, du domaine de l’impossible en matière d’applicabilité. « Est-ce que les vendeurs concernés disposent de moyens matériels et humains et même scientifiques pour pouvoir mettre en exécution ces orientations ?», s’est-il alors interrogé.
Brahim Oubellil