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Archie Shepp : Celui qui fait souffler le vent de l’histoire du jazz

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Archie Shepp «est la mémoire babélienne du jazz», dit de lui un spécialiste. A 83 ans le saxophoniste de légende publie «Let my people go», un disque où ce conteur digresse sur des classiques qui fondent l’histoire de la musique afro-américaine.

«Babélienne, parce qu’il couvre une grande partie du spectre de la musique noire américaine. Depuis le gospel qu’il chante magnifiquement, jusqu’au free jazz, il a épousé de nombreuses phases de cette musique», détaille l’écrivain-journaliste français Franck Médioni. Après avoir expérimenté le free radical à l’aube des années 1960 à New York avec le pianiste Cecil Taylor, essayé vainement de sonner comme John Coltrane, Archie Shepp va trouver son style: il improvise, au ténor ou au soprano, en faisant preuve d’audace et d’avant-gardisme tout en s’enracinant dans la tradition du chant, celui du negro spiritual et du blues. «J’ai trouvé que les Noirs ne s’intéressaient pas trop aux musiques d’avant-garde, le public pour ce genre de musique était toujours composé de Blancs», raconte à l’AFP Archie Shepp depuis sa maison d’Ivry-sur-Seine, au sud de Paris, où il vit avec son épouse, ancienne productrice à France Culture. «Après avoir quitté Cecil Taylor, j’ai de plus en plus cherché du côté du blues, qui swingue, parce que je voulais attirer vers ma musique plus de Noirs. C’était un choix», dit le musicien. Il ne cesse depuis de tracer ce trait d’union entre divers courants musicaux afro-américains.

Rencontres fondamentales
Archie Shepp, né à Fort Lauderdale (Floride) avant de partir à sept ans à Philadelphie, dans le quartier de Brickyard, a été très tôt sensibilisé à la musique, grâce à un père plombier et joueur de banjo. «La première rencontre fondamentale a été celle avec mon père, qui m’a montré la voie de la musique», dit-il. La seconde sera avec John Coltrane. Sa participation à «Ascension», l’un des ultimes enregistrements du «Trane» en 1965, et ses disques parus sur le label Impulse!, celui de Coltrane, vont le légitimer. «Aujourd’hui encore, je travaille en partie grâce au retentissement de mes disques enregistrés pour Impulse!», écrit Archie Shepp dans la préface du livre «John Coltrane, l’amour suprême» de Franck Médioni, en 2018. Archie Shepp, c’est aussi un son, sa signature. «Il est capable de faire crier son saxophone ou de poser un son rond, moelleux, sur des ballades», décrit Vincent Anglade, programmateur du festival Jazz à La Villette, à Paris.

Cri et chuchotement
«Il peut passer d’un son très charnu à la Ben Webster ou Coleman Hawkins aux stridences et au cri d’un Albert Ayler», renchérit Franck Médioni. Plus qu’un son: une clameur, où l’on retrouve les joies et les peines d’un peuple qui a traversé l’esclavage et l’oppression. Car Archie Shepp, c’est surtout une conscience politique, un engagement, celle d’un homme qui n’a jamais dévié de la cause du Black Power, qu’il a très tôt embrassée, et qui aujourd’hui encore se définit comme marxiste. «Dans ma musique, il y a un message pour la libération et la justice de mon peuple… Tout en essayant de ne pas être trop intellectuel, de garder une certaine simplicité», dit-il. Avant de choisir la musique, Archie Shepp avait étudié le droit afin de devenir avocat, puis bifurqué vers l’art dramatique. Mais le saxophone offert par sa grand-mère n’a jamais été loin, et a tout changé. Soixante ans après ses débuts professionnels, ce personnage portant toujours avec classe complet-veston et borsalino a toujours le «spirit». «Il n’a plus rien à prouver, a tout écrit, son statut de légende est là, mais au lieu de s’endormir sur ses lauriers, il a toujours cette envie, ce désir, de rencontrer, de se renouveler», note Vincent Anglade qui a appris à connaître cette «force tranquille» en développant avec lui projets et rencontres parfois étonnantes, comme ses collaborations avec le pianiste cubain Chucho Valdes, la chorégraphe Anna Teresa De Keersmaeker ou autour du hip hop. Dernière manifestation de cette verve créatrice, son album «Let my people go», au titre emprunté au standard «Go Down Moses», où les descendants d’esclaves afro-américains sont assimilés au peuple hébreu asservi par Pharaon.

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