De notre envoyé spécial à Ghardaïa, Soufiane Dadi
Des locaux saccagés, des maisons noircies par le feu et des lieux désertés par les uns et les autres. Tel est le décor qui s’offre aux yeux du visiteur qui se rend dans certains coins de la localité de Berriane, située à quelque 40 kilomètres du chef-lieu de la wilaya de Ghardaïa. Samedi 9 avril 2014. Il est 13 heures passée lorsque nous sommes arrivés à Baba-Saâd, un des quartiers qui était le théâtre des violents affrontements qui se sont déclenchés durant la fête de l’Aïd écoulée. Sur place, l’on se croit dans une des cités de Halab (Syrie) ou de Tripoli (Libye). Tout est ravagé ! Certaines maisons ont été même réduites à néant. Incroyable, mais, hélas, vrai ! Mis à part quelques-uns qui ont eu le courage d’y rester, tous les habitants ont quitté les lieux. Pas l’ombre d’un seul homme d’ailleurs à notre arrivée au quartier en question. De la fenêtre de l’une des maisons implantées au niveau de cet endroit, un enfant, dont le visage laissait entrevoir une grande peur, s’est vite éclipsé après nous avoir aperçus. Quelques minutes après, c’est Ahmed, un quadragénaire, qui arrivait à bord de sa «Toyota Hylux» qui nous reçoit. «Baba-Saâd, comme vous le voyez, est désormais une cité fantôme. On y trouve que quelques hommes qui gardent leurs maisons, ou plutôt, ce qui en reste», témoigne-t-il. Il faut dire, en fait, que chacune des deux communautés se dit victime de l’irresponsabilité de l’autre. Pour notre interlocuteur, qui est un Arabe, à titre d’exemple, celui-ci estime que les Mozabites ont été les premiers à provoquer des problèmes dans la région. «Tout était normal avant que ces derniers nous encerclent et nous attaquent de tous les côtés», raconte-t-il. Une version démentie par le jeune Hamza, un Mozabite, que nous avons accosté une heure après de l’autre côté de la RN°1 (côté droit, ndlr). «Les Arabes montent des histoires de toutes pièces pour faire croire aux gens que nous sommes des criminels. Alors que c’est tout à faire le contraire !», fulmine notre interlocuteur. Et à Ammi Salah de renchérir dans le même sens : «Ces derniers provoquent des problèmes pour nous voler et nous saboter. Car, ils savent que les Mozabites sont des bosseurs et ne comptent sur personne pour subvenir aux besoins de leurs familles !». Visiblement irrités par les « étiquettes» que leurs antagonistes leur collent, les deux jeunes affirment que leurs concitoyens sont tolérants. «Je vous défie ! Circulez tout seul maintenant dans ce quartier et si quelqu’un vous touche, je serai prêt à subir le même sort que vous !», poursuit encore le jeune Hamza. Qui a tort et qui a raison ? Décidément, il est difficile de savoir qui a tort et qui a raison. Puisque, chacun des deux antagonistes, livre des versions qui sont totalement différentes. Ce qui rend la tâche de jugement, pour celui qui en est chargé, presque impossible. Du côté arabe, nos interlocuteurs que nous avons rencontrés au lieudit «Hai Echouf», où pas moins de 45 familles de confession malékite ont été provisoirement logées dans une école primaire, affirment qu’ils sont loin d’être la source de la crise. «Les Mozabites nous cherchent la petite bête pour nous pousser à quitter cette région. Je n’arrive toujours pas d’ailleurs, et ce, à l’instar de plusieurs autres riverains, à comprendre comment on est arrivé à ce stade !», s’exclame un autre arabe d’un certain âge qui, lui, aussi est issu du quartier Baba Saâd où, à en croire ses dires, deux tiers des habitants sont de confession malékite. «Quelques 10 agressions ont été enregistrées au sein de nos rangs dernièrement. C’est aussi inadmissible que triste !», lâche encore le même orateur. Pour revenir aux 45 familles habitant l’école primaire sise à «Hai Echouf», Keddour, le chargé de la cellule de crise installée au niveau de même endroit, nous précise d’emblée que les membres de cette dernière sont neutres par rapport au conflit qui oppose les deux communautés. «Toutes les personnes qui sollicitent les membres de cette cellule seront prises en charge. Nous ne ferons pas de différence entre un Mozabite et un Arabe. Le rôle de la cellule est purement humanitaire !», a-t-il insisté. Le même orateur ajoute en outre que des familles issues de plusieurs régions, à l’instar de Boussaâda et Djelfa, font partie des victimes. S’agissant maintenant du côté mozabites, nos interlocuteurs rejettent toutes les «fausses accusations» proférées par les Arabes. «Nous les aurions jamais touché s’ils n’avaient pas commencé à nous provoquer !», soutient farouchement Hamza, rencontré au quartier se trouvant non loin de la mosquée «El Boukhari». Plus explicite, le jeune précise que les affrontements ont démarré après que quelques arabes eurent attaqué un bus transportant des femmes mozabites, le jour de l’Aïd. «Nous pouvons tolérer tout. Mais, lorsqu’il s’agit de notre dignité, on ne peut jamais se taire !», enchaîne-t-il sur un ton colérique. Continuant sur la même lancée, notre interlocuteur fait savoir qu’un fourgon d’un mozabite assurant la desserte Alger-Ghardaïa, a été incendié quatre jours après l’Aïd. «Le seul tort de ce dernier est qu’il était natif de Beni Izguen. Et, donc, un Mozabite !», ajoute-t-il encore. La «plateforme» de Berriane : du noir sur blanc ! La «fameuse» plateforme de Berriane ayant sanctionné les négociations entre les deux communautés arabe et mozabite en 2009 n’est aujourd’hui que du noir sur blanc ! Et pour cause, la trêve à laquelle les deux parties ont parvenu, suite à la signature d’un document contenant les engagements des uns et des autres, a été interrompue par les affrontements qui ont redémarré en 2013. Ahmed, notre interlocuteur du côté arabe, regrette le fait que les Mozabites n’ont pas tenu leurs promesses. «Nous avons cru que ce que nous avions vécu n’allait être qu’un mauvais cauchemar», confie-t-il non sans amertume. «Au moment où d’autres vivent la belle vie, les habitants de cette contrée, jadis, paisible mènent toujours une vie moyenâgeuse !», grommelle-t-il. Avant de s’interroger : «Jusqu’à quand, allons-nous encore souffrir ?» Ceci dit, les Mozabites soutiennent qu’il est difficile de croire les Arabes qui, selon leurs dires, les trahissent à chaque fois. «Ceux-ci ont une mauvaise foi malheureusement. C’est la raison pour laquelle cette région n’arrive pas à retrouver son calme», assène le jeune Hamza. «Les Mozabites sont connus dans les 48 wilayas du pays. Ils bossent tout le temps, notamment dans le domaine du commerce. Ils n’ont pas le temps pour ces futilités, dont parlent les Arabes !», martèle le même orateur, qui tient par ailleurs à préciser que ses frères ne sont pas de «ceux qui se plaignent tout le temps auprès des autorités compétentes pour paraître victimes et, du coup, bénéficier d’une indemnisation de l’État». Allusion faite, bien sûr, à ses concitoyens de confession malékite. «Je l’ai déjà dit d’ailleurs, et je le répète encore, les Mozabites assument leurs actes et ne comptent sur personne. Le plus important pour nous, c’est que nous savons pertinemment que nous ne sommes pas une source de problèmes». Des dégâts matériels considérables Outre les blessés, les incidents qui se sont produits au niveau des deux quartiers de Berriane, à savoir Baba-Saâd et Kaf Hammouda, durant la fête de l’Aïd écoulé, ont causé des dégâts matériels considérables. Que ce soit pour les commerçants ou pour les familles. Des pertes qui sont évaluées à plus de 500 millions de centimes parfois. Dans ce sens, Belkacem Aouisset, un Arabe natif du quartier «Baba-Saâd» fait savoir que pas moins de 39 maisons appartenant à ses frères ont été incendiées par les Mozabites. Cela, poursuit-il, sans compter les cinq qui ont été complètement démolies. «Dans ce garage où on est actuellement, à titre d’illustration, j’ai gardé une dizaine de portails destinés à la vente. La valeur de chacun est estimée à 10 millions de centimes», nous indique notre interlocuteur, en pointant du doigt la maison d’un nouveau marié qui, a-t-il dit, a tout perdu après que cette dernière eut été réduite à néant. Pour sa part, un sexagénaire, Mozabite, abordé au niveau de l’«ancien ksar» estime que les pertes de ses voisins sont, parfois, trois fois, voire même plus, celles des Arabes. «Il ne s’agit pas de simples pertes ! La preuve en est que certains ont perdu plus de 500 millions de centimes suite à ces évènements». D’une voix à peine audible, notre interlocuteur se désole toutefois du fait que Berriane s’est convertie en une véritable scène de guerre. RN 1 : Le «mur de Berlin» algérien Les Mozabites et les Arabes à Berriane sont séparés par un «mur de Berlin» algérien. Il s’agit de la RN°1 qui relie Alger à Tamanrasset. Les premiers à droite et les deuxièmes à gauche. Cela étant, des problèmes sont parfois signalés ici et là. Surtout dans le quartier mozabite situé non loin de la mosquée «El-Boukhari». Des escarmouches entre les habitants dudit quartier et les fidèles de confession malékite, qui font la prière dans cette mosquée, sont souvent déclarées, une fois ces derniers à l’extérieur. «C’est l’une des zones les plus sensibles ici à Berriane», témoigne un policier sous couvert de l’anonymat. Toujours dans le même ordre d’idées, un autre citoyen arabe nous fait savoir que ses «frères» évitent de faire la prière dans une autre mosquée, qui se trouve dans un quartier mozabite, «El-Atik» en l’occurrence, par crainte d’être attaqués par les habitants de ce dernier. Il faut dire donc que le climat reste, quand-même, tendu au niveau de la localité de Berriane. Reste à savoir maintenant si ses riverains vont finir par trouver une solution susceptible de mettre fin à la crise.
S. D.