Les talibans continuaient vendredi leur implacable progression en Afghanistan, d’où les États-Unis et le Royaume-Uni vont évacuer en catastrophe leurs ressortissants et diplomates, face à la menace pesant désormais sur la capitale Kaboul.
Les insurgés se sont emparés vendredi de la ville de Pul-e-Alam, capitale de la province du Logar, à 50 km au sud de Kaboul. Ils avaient pris auparavant Lashkar Gah, capitale de la province du Helmand, dans le sud du pays, quelques heures après avoir fait tomber Kandahar, la deuxième ville d’Afghanistan, située 150 km à l’est. «Lashkar Gah a été évacuée. Ils ont décidé d’un cessez-le-feu de 48 heures pour évacuer» l’armée et les responsables civils, a déclaré à l’AFP un haut responsable sécuritaire. Les talibans ont aussi pris sans résistance vendredi Chaghcharan (centre), capitale de la province de Ghor. Ils contrôlent désormais près de la moitié des capitales provinciales afghanes, toutes tombées en seulement huit jours. L’essentiel du nord, de l’ouest et du sud du pays est maintenant sous leur coupe. Kaboul, Mazar-i-Sharif, la grande ville du nord, et Jalalabad (est) sont les trois seules grandes villes encore sous le contrôle du gouvernement. Ismail Khan, 75 ans, un des seigneurs de guerre les plus connus d’Afghanistan, s’est rendu aux talibans, après la chute jeudi d’Hérat (ouest), la troisième ville du pays, dont il était le maître incontesté depuis des décennies. Les insurgés ont promis d’assurer sa sécurité. A Lashkar Gah, dans une province traditionnellement acquise aux talibans, ceux-ci ont été bien accueillis et le calme est rapidement revenu, après plusieurs jours de violents affrontements, selon un habitant, Abdul Halim.
Pas de réengagement militaire
«La majeure partie de la ville est en ruines à cause des combats et il n’y a pas assez de nourriture sur le marché. Ça a encore l’air d’une ville occupée, a-t-il cependant confié à l’AFP. Les talibans ont lancé leur offensive en mai, quand le président américain, Joe Biden, a confirmé le départ des dernières troupes étrangères du pays, 20 ans après leur intervention pour en chasser les talibans du pouvoir en raison de leur refus de livrer Oussama ben Laden, le chef d’Al-Qaïda, dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001. Ce retrait doit être achevé d’ici le 31 août. Joe Biden a depuis affirmé ne pas regretter sa décision, même si la rapidité avec laquelle l’armée afghane s’est désintégrée devant l’avancée des talibans a surpris et déçu les Américains, qui ont dépensé plus de 1.000 milliards de dollars en 20 ans pour la former et l’équiper. En raison de l’accélération des événements, Washington a annoncé dans la nuit avoir décidé de «réduire encore davantage» sa «présence diplomatique» à Kaboul. Pour mener à bien cette évacuation de diplomates américains, le Pentagone va déployer 3.000 soldats à l’aéroport international de la capitale, qui rejoindront les 650 militaires américains encore présents en Afghanistan, a précisé son porte-parole, John Kirby. Quelque 3.500 autres militaires seront positionnées au Koweït pour pouvoir être envoyés en renfort en cas de détérioration de la situation à Kaboul. Washington a bien précisé qu’il ne s’agissait «pas d’un réengagement militaire dans le conflit». Londres a parallèlement annoncé le redéploiement de 600 militaires pour aider les ressortissants britanniques à partir. Dans la foulée de l’annonce américaine, les pays de l’Otan se réunissent en urgence vendredi. «L’évacuation» du pays sera au coeur des discussions, a précisé un responsable de l’Alliance à Bruxelles. Ces évacuations interviennent alors que les rebelles restent sourds aux efforts diplomatiques des États-Unis et de la communauté internationale.
Pas enclins au compromis
Trois jours de réunions internationales à Doha, au Qatar, se sont achevés jeudi sans avancée significative. Dans une déclaration commune, les États-Unis, le Pakistan, l’Union européenne et la Chine ont affirmé qu’ils ne reconnaîtraient aucun gouvernement en Afghanistan «imposé par la force». Les talibans risquent de n’être nullement enclins au compromis, alors que les autorités leur ont proposé jeudi en catastrophe «de partager le pouvoir en échange d’un arrêt de la violence», selon un négociateur gouvernemental aux pourparlers de Doha, qui a requis l’anonymat. Le président afghan, Ashraf Ghani, avait toujours rejeté jusqu’ici les appels à la formation d’un gouvernement provisoire non élu comprenant les talibans. Mais son revirement risque d’être bien tardif. A Washington, le président Biden se retrouve sous la pression de l’opposition, alors que l’évacuation programmée du personnel diplomatique ravive le douloureux souvenir de la chute de Saigon, au Vietnam, en 1975. «L’Afghanistan fonce vers un immense désastre, prévisible et qui aurait pu être évité», a fustigé jeudi le chef des républicains au Sénat, Mitch McConnell. Des alliés aussi dénoncent la signature en février 2020 à Doha par l’ex-président américain, Donald Trump, de l’accord avec les talibans qui a mené au départ des troupes étrangères, qu’ils jugent précipité. «Je pensais que ce n’était pas la bonne décision ni le bon moment et, bien entendu, Al-Qaïda reviendra probablement» en Afghanistan, a regretté vendredi le ministre britannique de la Défense, Ben Wallace. La progression des talibans a un coût humain élevé. Au moins 183 civils ont été tués et 1.181 blessés, dont des enfants, en un mois à Lashkar Gah, Kandahar, Hérat et Kunduz, selon l’ONU. Quelque 250.000 personnes ont été déplacées par le conflit depuis la fin mai – 400.000 cette année -, dont 80% sont des femmes et des enfants, toujours selon l’ONU. Nombre de civils ont ainsi afflué ces dernières semaines à Kaboul, où une grave crise humanitaire menace. Ils tentent désormais de survivre dans des parcs ou sur des terrains vagues, dans le dénuement le plus complet.