Les évacuations d’étrangers et d’Afghans fuyant le nouveau régime des talibans sont entrées dimanche dans leur dernière ligne droite à l’aéroport de Kaboul, à deux jours du retrait américain prévu et dans la crainte d’un nouvel attentat.
Il reste « 300 Américains ou moins » à évacuer d’Afghanistan, a déclaré dimanche le secrétaire d’Etat Antony Blinken sur la chaîne ABC. « Nous travaillons sans relâche ces heures-ci et ces jours-ci pour les sortir de là », a-t-il dit. Après l’attaque-suicide revendiquée par le groupe jihadiste Etat islamique au Khorasan (EI-K), qui a tué jeudi 13 soldats américains et près d’une centaine d’Afghans parmi les milliers massés devant l’aéroport pour tenter de quitter le pays, le président américain Joe Biden a prévenu qu’une nouvelle attaque imminente y était « très probable ». Depuis le soudain retour au pouvoir des talibans mi-août, après la débâcle de l’armée afghane longtemps soutenue par les Américains et leurs alliés avant que ceux-ci n’amorcent leur retrait, environ 114.400 personnes ont quitté le pays à bord de la noria d’avions affrétés notamment par les Occidentaux qui se succèdent sur le tarmac, selon les derniers chiffres de la Maison Blanche. Le rythme des évacuations a baissé ces derniers jours, à mesure que de nombreux pays européens, dont le Royaume-Uni et la France, annonçaient avoir achevé les leurs, le retrait américain étant prévu le 31 août après 20 années d’une guerre infructueuse contre les talibans. Ce court délai fait craindre qu’une partie des Afghans qui se disent menacés par les talibans, notamment ceux qui ont travaillé avec des forces ou civils étrangers au cours des deux dernières décennies, ne seront pas évacués. La situation chaotique à l’aéroport de Kaboul, assailli par des milliers de candidats à l’exil, a pris un tour dramatique jeudi avec le bain de sang provoqué par l’attaque suicide de l’EI-K, rival des talibans et auteur de plusieurs attentats meurtriers dans le pays ces dernières années. La tension restait vive dimanche, Joe Biden ayant estimé samedi que « la situation sur les lieux » restait « extrêmement dangereuse » et « la menace d’une attaque terroriste contre l’aéroport (…) élevée », ajoutant avoir été informé « qu’une attaque était très probable dans les 24 à 36 heures ». Quelques heures après, l’ambassade américaine à Kaboul a exhorté tous les Américains à quitter les abords de l’aéroport « en raison d’une menace précise et crédible ».
Collaboration
Dans l’après-midi, une explosion entendue dans la capitale a fait craindre à un nouvel attentat. Il s’agissait en fait d’un tir de roquette qui « d’après les premières informations, a frappé une maison », a indiqué à l’AFP un responsable de l’ancien gouvernement renversé il y a deux semaines par les talibans, sans plus de détails sur l’origine du tir, sa cible du tir ou d’éventuelles victimes. Selon les derniers bilans de l’attentat de jeudi, 90 morts et 150 blessés ont été recensés dans les hôpitaux locaux. Certains médias locaux ont fait état d’un bilan de 170 morts. 13 soldats américains et deux Britanniques ont également péri. Le président Biden devait assister dimanche dans une base militaire du Delaware à une cérémonie solennelle de réception des dépouilles des militaires américains tués dans l’attentat, et rencontrer leurs familles, a annoncé la Maison Blanche. En représailles de l’attaque, des drones de l’armée américaine avaient bombardé des « cibles importantes » de l’EI-K dans l’Est afghan, tuant deux jihadistes de haut rang, a indiqué Washington sans révéler de noms. « Cette frappe n’était pas la dernière », a prévenu Joe Biden. « Nous continuerons à traquer tout individu impliqué dans cet attentat odieux et les ferons payer ». A Rome, le pape François a exprimé son inquiétude sur la situation face à la « souffrance » des Afghans frappés par l’attentat, lancé un appel pour continuer à aider la population, et souhaité « une coexistence pacifique et fraternelle » dans le pays. A Kaboul, les talibans consolidaient leur emprise, notamment autour de l’aéroport, dernière enclave occupée par les Occidentaux. L’attentat de jeudi a poussé talibans et Américains à collaborer plus étroitement. Si les premiers ont bouclé les routes menant à l’aéroport, ils laissent passer les bus transportant des passagers dont les noms figurent sur des listes donnés par les Américains, a expliqué à l’AFP un responsable taliban. L’attaque a fait disparaître la foule des milliers d’Afghans massées auparavant depuis des jours à l’extérieur du site dans l’espoir d’accéder au tarmac, a constaté l’AFP. Très critiqué pour sa gestion de la crise afghane et du retrait américain, Joe Biden s’est engagé à respecter l’échéance du pont aérien. L’Otan et l’Union européenne avaient appelé après l’attaque de jeudi à poursuivre les évacuations malgré tout.
« Zone protégée »
Le Royaume-Uni a achevé ses évacuations samedi avec le départ d’un vol transportant ses derniers militaires. Le ministre britannique de la Défense Ben Wallace a estimé que jusqu’à 1 100 Afghans éligibles à un départ pour la Grande-Bretagne étaient restés sur place. Londres les accueillera s’ils parviennent à quitter le pays par un autre moyen après la date-butoir, a précisé le chef des forces armées britanniques, le général Nick Carter, jugeant « déchirant » ne pas avoir « pu faire sortir tout le monde ». Italie, Allemagne, France, Suisse, Espagne, Suède, Pays-Bas, Canada et Australie ont aussi indiqué avoir achevé leurs vols d’évacuation. Le président français Emmanuel Macron a affirmé samedi que son pays avait évacué 2.834 personnes d’Afghanistan et menait « des discussions » avec les talibans et le Qatar pour poursuivre l’évacuation d’Afghans menacés. La France et le Royaume-Uni vont plaider lundi à l’ONU en faveur de la création à Kaboul d’une « zone protégée » pour mener des opérations humanitaires, a déclaré le président français à l’hebdomadaire Le Journal du Dimanche. Les talibans se sont efforcés depuis leur retour d’afficher une image d’ouverture et de modération. Mais beaucoup d’Afghans, souvent urbains et éduqués, redoutent qu’ils n’instaurent le même type de régime fondamentaliste et brutal que lorsqu’ils étaient au pouvoir entre 1996 et 2001. Leurs craintes sont alimentées par divers témoignages d’Afghans à Kaboul et ailleurs indiquant que les talibans traquent ceux qui ont travaillé avec leurs anciens ennemis. A l’ONU, une réunion des membres permanents du Conseil de sécurité sur la situation en Afghanistan est convoquée lundi.