Lors de son audition, hier au tribunal criminel d’Alger, Chouaïb Oultache n’a pas cessé de rappeler son amitié profonde avec Ali Tounsi. Un ami, pourtant, sur lequel il n’a pas hésité de tirer deux balles à bout portant. Tout au long de sont récit, le principal accusé dans l’affaire de l’assassinat de l’ancien Directeur général de la Sûreté nationale, s’est livré à des déclarations de plus ou moins contradictoires.
Tantôt, il dit que cette affaire est «montée de toutes pièces» et que, lui, il n’y est pour rien, et tantôt il reconnaît avoir été poussé à l’acte par les agissements de la victime. Il a même évoqué une «légitime défense. Le procès relatif à l’assassinat du colonel Ali Tounsi s’est ouvert, hier, au Tribunal criminel d’Alger. Le procès, très attendu par l’opinion publique, et dont est accusé Chouaïb Oultache, ex-chef de l’unité aérienne de la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN), est ouvert sept ans après les faits. Oultache, présenté aux bancs des accusés, était vraisemblablement confiant et en bonne santé. Vêtu d’un costume, et ayant une bonne mine, barbe bien rasée et moustache visiblement bien entretenue, l’accusé avait l’air plutôt confiant en se présentant dans une salle archicomble. Tôt dans la matinée, le juge Omar Ben Kharchi a commencé à appeler les témoins, qui n’avaient pas fait l’unanimité entre les avocats de la défense et de la partie civile. Cependant, le Tribunal criminel d’Alger a accepté d’entendre sept témoins sur une liste de 12 présentés par la défense. Mais la très attendue audition de l’accusé n’a eu lieu qu’à l’après-midi. Celle-ci a été pleine de déclarations qu’on peut qualifier de «surprenantes», voire parfois «contradictoires», mais n’a, cependant, apporté rien de nouveau quant à cet assassinat qui n’a pas livré tous ses secrets.
«Je ne l’ai pas tué. Comment je peux tuer mon ami, mon frère et mon compagnon ?», a lancé Oultache en direction du juge, tout en criant au «complot», «C’est une affaire montée de toutes pièces», a-t-il affirmé pour se justifier. «Pourquoi prendre le risque et le tuer en son bureau. Si je voulais le tuer, j’irais dans un lieu plus discret, comme sa maison», a-t-il rajouté. Tout en précisant qu’il lui a tiré dessus «dans un moment de colère, mais les balles qu’il a reçues n’ont jamais provoqué sa mort». Pour se défendre, il ne trouvera pas mieux que d’assurer que «sa mort a été provoquée» par des «personnes inconnues», que c’est à la justice d’élucider ce «mystère». L’accusé a, de surcroît, accusé les différentes parties chargées de l’enquête, en l’occurrence le juge d’instruction, les experts, les médecins légistes d’établir des «rapports erronés», et ce, pour lui faire porter le fardeau. «Tous ceux qui ont réalisé ces rapports savent très bien que ce ne sont pas mes balles qui l’ont achevé», a-t-il encore précisé, avant de poursuivre «en s’approchant de lui, il arrivait à respirer». D’ailleurs, il accusera «les personnes qui avaient des problèmes avec Ali Tounsi de l’avoir assassiné». Pis encore, l’accusé ira jusqu’à « accuser ces personnes de vouloir entraver la marche de la justice».
«Il l’a cherché mais j’e n’aurais pas dû répondre aux provocations»
Répondant à la question pourquoi lui avoir tiré dessus, l’accusé a martelé «c’est lui qui l’a cherché, pas moi». «Je n’avais pas l’intention de le tuer. J’ai ouvert le feu sur lui pour me défendre après que ce dernier m’a attaqué avec un objet tranchant (coupe-papier). Il m’a traité de traître, et j’ai répondu aux provocations». Toutefois, il ne manquera pas d’exprimer ses remords en certifiant qu’«il aurait dû garder son sang-froid, et qu’il n’aurait pas dû répondre aux provocations». «Je m’excuse pour lui avoir tiré dessus et non pour l’avoir tué. Je le dis et redis, je ne l’ai pas assassiné», s’est-il encore défendu. Dans le costume de l’innocent, il dira qu’il a «passé sept longues années de sa vie à regretter d’avoir répondu aux provocations de Ali Tounsi».
Au sujet de l’article publié par le journal arabophone En-Nahar, relatif à des contrats d’achats d’équipements, qui aurait créé un climat de tension entre les deux responsables, Oultache a précisé qu’il n’a pas lu ledit article, vu qu’il ne «lit pas l’arabe». D’autre part, prenant connaissance des balles contenues dans le dossier d’inculpation, l’accusé dira que son révolver est une arme à balle 9 millimètres; or, les balles incluses dans le dossier sont des balles 8 millimètres. Ce qui témoigne davantage que l’affaire ne tient pas la route. Découvrant le crime, les chargés de la sécurité de Ali Tounsi ont ouvert le feu sur Oultache le touchant dans le ventre est la jambe droite.
«Traître», le mot qui a fait déborder le vase
La journée d’hier a été aussi marquée par la lecture de l’arrêt de renvoi, long de 73 pages. Celui-ci précise que les faits remonteraient suite à la publication du journal arabophone, En-Nahar d’un article, relatif à des contrats d’achats d’équipements, d’une valeur de plus de 100 milliards de centimes, qu’il avait signés au nom de la Direction de la Sûreté nationale, et octroyé à son gendre (mari de la fille de Oultache, ndlr) en l’occurrence Sakour Toufik. Selon le journal, le gendre du colonel Oultache aurait joué les intermédiaires entre l’unité héliportée et des entreprises étrangères. C’est au cours d’une explication orageuse que Chouïb Oultache a tiré sur son supérieur, le blessant mortellement au côté droit de sa poitrine.
Au cours de l’entrevue, Ali Tounsi avait eu des propos très agressifs allant jusqu’à le traiter de «traître», et c’est le mot qui a fait déborder le vase, selon l’arrêt de renvoi, qui cite les propos de Oultache. Suite à ce mot, le chef de la DGSN a saisi le coupe-papier et a foncé sur Oultache. Ce dernier veut donc jouer la carte de «la légitime défense». Aussi, selon l’arrêt de renvoi, l’accusé a exprimé son regret d’avoir assassiné Ali Tounsi, tout en demandant des excuses auprès du peuple algérien. Toujours selon l’arrêt de renvoi, l’accusé a affirmé que les motifs l’ayant poussé à commettre ce crime sont «purement professionnels». Par ailleurs, l’arrêt précise que l’arme utilisée par le meurtrier a été achetée dans le marché noir en Atlantique, en 1982. Aussi, la femme du défunt, qui s’est constituée comme étant une partie civile dans l’affaire, a exprimé devant les enquêteurs sa détermination à poursuivre Oultache devant la justice. Oultache devra répondre des chefs d’inculpation, dont «homicide volontaire avec préméditation et guet-apens, tentative de meurtre et détention d’une arme à feu sans autorisation préalable des autorités compétentes. Le procès s’est poursuivi dans la fin de l’après-midi avec les audiences des témoins qui sont au nombre de 56.
Lamia Boufassa