Frappés de plein fouet par l’hydre terroriste, plusieurs pays européens prennent des mesures à la va-vite souvent en contradiction avec leur Constitution. Ainsi, après les dernières attaques terroristes qui ont secoué la France, l’Allemagne et la Belgique, la question de la déchéance de la nationalité des binationaux, enrôlés dans des groupes terroristes, s’est posée dans plusieurs pays européens.
Certains ont d’ores et déjà voté des mesures dans ce sens, dans d’autres l’idée fait son chemin. En Allemagne, la dernière proposition du ministre de l’Intérieur, Thomas de Mazière, a suscité la controverse. Ce proche de la Chancelière allemande, Angela Merkel, a déclaré, jeudi 11 août, vouloir supprimer la nationalité des binationaux allemands qui «combattent à l’étranger pour une milice terroriste». L’annonce du ministre de l’Intérieur allemand, membre de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), qui a argué que la mesure s’appliquait déjà aux binationaux engagés dans une armée étrangère, n’a pas été du goût des sociaux-démocrates du SPD, partenaires au sein du gouvernement de coalition. Ces derniers ainsi que les Verts ont rejeté la proposition formulée par Thomas de Mazière. Le vice-chancelier et patron du SPD, Sigmar Gabriel, a estimé que l’annonce du ministre de l’Intérieur était «un mauvais signal». De son côté, la ministre déléguée à la Migration, aux réfugiés et à l’Intégration, Aydan Ozoguz, a déclaré que la modification du code de la nationalité «n’éliminera pas les terroristes». En France, le débat sur la nationalité est récurrent et prête souvent à polémique, en cette période pré-éléctorale. François Holande et son Premier ministre ont lancé le débat au lendemain des attentats du 13 novembre avant de battre en retraite et de retirer un projet de réforme constitutionnelle, incluant la déchéance de nationalité. Mais la question de la nationalité française et de son attribution est à nouveau remise au goût du jour, notamment par Nicolas Sarkozy, prêt à toute les compromissions et à toutes les annonces démagogiques pour tenter désespérément de gagner les primaires de son parti. Il va même loin et propose de réformer le sacré- saint droit du sol, consacré par la Révolution française. Ce dernier stipule «qu’un enfant né de parents étrangers sur le territoire français peut prétendre automatiquement à la nationalité française».
L’ancien président français, qui était un défenseur du droit du sol, voudrait «ne pas attribuer la nationalité à quelqu’un qui aurait un casier judiciaire à sa majorité, ou dont on pourrait prouver que ses parents étaient en situation irrégulière au moment de la naissance».
Cette proposition, qui intervient quelques semaines après la tuerie de Nice le 14 juillet dernier, ne fait pas l’unanimité, y compris dans son propre camp. Plusieurs ténors des Républicains, à l’instar d’Alain Juppé ou François Fillon, ont exprimé leur opposition à cette idée avant même les déclarations de Nicolas Sarkozy. En revanche, certains pays ont adopté officiellement la mesure. C’est le cas aux Pays-Bas qui compte 1,3 millons de binationaux sur 16,9 millions d’habitants. En effet, le Parlement néerlandais a entériné la déchéance de nationalité pour les «djihadistes» binationaux «ayant rejoint une organisation terroriste». Motif invoqué par le ministère : «Ces djihadistes peuvent représenter un danger direct pour la sécurité nationale», une fois de retour sur le sol hollandais. En Belgique, une loi semblable a été approuvée en 2015. Le gouvernement fédéral a voulu étendre la mesure aux binationaux de la deuxième et de la troisième génération, mais le vote de cette motion a été reporté, faute de consensus. «On n’humilie pas les terroristes. On humilie toute une communauté qui vit paisiblement», a déclaré, Rachid Madrane, ministre de l’Aide à la jeunesse de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il n’en demeure pas moins que des voix se sont élevées pour dénoncer le caractère discriminatoire de la déchéance de nationalité. La Ligue des droits de l’Homme (LDH) est montée au créneau avant le vote de la loi portant sur la déchéance de nationalité des binationaux accusés de terrorisme. Craignant les «effets contre-productifs et dommages collatéraux de la mesure», l’Organisation avait pointé le risque «de créer deux catégories distinctes de citoyens belges: ceux dont la nationalité ne pourra jamais être retirée et ceux qui risquent à tout moment de la perdre». En France, lors du débat houleux qui a suivi la proposition du président Hollande, plusieurs personnalités n’ont pas hésité à dénoncer ce projet. C’est le cas de Pierre Joxe, membre honoraire du Conseil constitutionnel et ancien ministre, qui appelé à rejeter ce projet «stupéfiant».
De son côté, la maire de Paris, Anne Hidalgo, avait qualifié la mesure «d’inefficace», appelant à ne pas introduire des distinctions entre les Français. «On n’a pas besoin de diviser ce pays», avait-elle déclaré. Sans parler de la difficulté qu’il y aurait à mettre en application une loi qui ferait des apatrides dans leur propre pays, des citoyens qui pour la plupart ne connaissent rien du pays d’origine de leur parents. En supposant que ces pays acceptent de les recevoir. Une obligation à laquelle ils ne sont pas soumis, et ils l’ont fait savoir.
M. B.