Le Kremlin a annoncé le retrait de ses forces. Une annonce accueillie avec prudence par les Occidentaux comme par l’opposition syrienne.
Vladimir Poutine a annoncé à la surprise générale le retrait de Syrie de la majeure partie de son contingent militaire, alors que les négociations intersyriennes se poursuivent à Genève mardi et que le conflit entre dans sa 6e année. L’annonce du Kremlin a été accueillie avec prudence par les Occidentaux comme par l’opposition syrienne. Le Conseil de sécurité de l’ONU ainsi que l’Iran, par la voix du ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, l’ont jugée « positive ». Selon la Maison-Blanche lundi soir, Vladimir Poutine a évoqué par téléphone avec son homologue américain Barack Obama « le retrait partiel » des forces russes de Syrie. Josh Earnest, le porte-parole de Barack Obama, avait auparavant souligné qu’il était « difficile » de mesurer l’impact de cette annonce sur les négociations en cours.
Même prudence de la part du Quai d’Orsay. « Nous avons pris note des annonces du président Poutine. Si elles se traduisent dans les faits, il s’agirait d’une évolution positive. Tout ce qui contribue à la désescalade en Syrie doit être encouragé, a déclaré le porte-parole du ministère des Affaires étrangères. Cela suppose que les armes se taisent afin qu’une véritable négociation s’engage en vue d’une transition en Syrie. » Or « le régime continue de viser l’opposition modérée (…) et continue de faire entrave » à l’acheminement de l’aide humanitaire, a-t-il souligné. « Alors que le conflit syrien entre dans sa sixième année, la France renouvelle son appel à une solution politique à cette crise terrible », selon ses déclarations.
Des avions pour « surveiller la trêve »
Le chef de l’État russe, qui a toujours la main sur l’échiquier syrien depuis l’irruption des avions russes dans le ciel syrien le 30 septembre, a annoncé son dernier coup de poker après avoir appelé le président syrien Bachar el-Assad. « La tâche qui avait été demandée à notre ministère de la Défense et aux forces armées a été globalement accomplie et j’ordonne donc au ministère de la Défense d’entamer, à partir de demain [mardi], le retrait de la majeure partie de nos contingents », a dit à la télévision Vladimir Poutine. « Néanmoins, pour permettre la surveillance de la trêve dans les combats [entrée en vigueur le 27 février], la partie russe conserve sur le territoire syrien un site de maintenance de vols », selon un communiqué du Kremlin.
La présidence russe ne précise pas quels types d’aéronefs doivent assurer cette surveillance. Elle ne dit pas non plus si des avions de combat resteront basés en Syrie. Le Kremlin n’a pas précisé non plus où est situé ce site de maintenance, mais il s’agit, selon toute vraisemblance, de la base aérienne de Hmeïmim, dans la province de Lattaquié, le fief de Bachar el-Assad, dans le nord-ouest de la Syrie.
Depuis septembre, Moscou y avait déployé une cinquantaine d’avions de combat, ainsi que des militaires. La Russie et la Syrie avaient signé, avant le début le 30 septembre de l’intervention militaire russe, un accord permettant à la Russie de disposer d’une base aérienne en Syrie. Les Occidentaux ont accusé la Russie de frapper les rebelles syriens modérés alors que Moscou affirme bombarder les groupes terroristes, dont les djihadistes du groupe État islamique (EI). La trêve en vigueur depuis le 27 février tient toujours mais ne concerne pas les groupes EI et le Front al-Nosra.
En accord avec Damas
Depuis septembre, plus de 50 avions de combat russes ont visé des milliers de « cibles terroristes » en cinq mois de raids aériens intenses. La force de frappe russe a permis à l’armée syrienne d’engranger des victoires alors qu’elle se trouvait en mauvaise posture l’été dernier. Les Occidentaux ont toutefois accusé la Russie de privilégier, notamment pendant les premiers mois, les frappes sur les rebelles plutôt que sur l’organisation djihadiste État islamique. Le Kremlin indique que la décision du président russe fait l’objet d’un accord avec son homologue syrien, qui a convenu que « l’intervention des forces aériennes russes avait permis de radicalement changer la situation dans la lutte contre le terrorisme, de désorganiser les infrastructures des combattants [ennemis] et de leur porter un coup important ».
À New York, l’ambassadeur russe à l’ONU Vitali Tchourkine a indiqué que la diplomatie russe avait reçu l’ordre « d’intensifier [ses] efforts pour aboutir à un règlement politique en Syrie ». À Genève, l’opposition syrienne a accueilli l’annonce avec prudence, déclarant attendre d’en vérifier les effets sur le terrain et redouter une « ruse » du Kremlin. Le chef de la diplomatie allemande, Frank-Walter Steinmeier, a de son côté estimé que « si les annonces d’un retrait des troupes russes se concrétisent, cela augmente la pression sur le régime du président Assad pour négocier enfin de façon sérieuse à Genève une transition politique ».
Le sort d’Assad
L’annonce du retrait russe est intervenue quelques heures après le début à Genève d’un nouveau cycle de négociations entre des représentants du régime syrien et de la très hétéroclite opposition syrienne. Mais dès le premier jour, le sort réservé au président Bachar el-Assad faisait déjà débat et menaçait de faire capoter le processus de paix. L’orchestrateur de ces discussions, Staffan de Mistura, envoyé spécial de l’ONU pour la Syrie, a déclaré que « la mère de toutes les questions » était de trouver un accord sur une transition politique. « Nous sommes à un moment de vérité », a-t-il ajouté dans une conférence de presse en préambule de sa rencontre avec le négociateur en chef du régime de Damas, Bachar al-Jaafari. À l’issue de ce premier entretien au Palais des Nations, Staffan de Mistura a expliqué qu’il avait « permis de clarifier un certain nombre de questions, notamment de procédure ». « La prochaine rencontre [avec le régime], mercredi matin, sera centrée sur l’ordre du jour, qui est comme vous le savez celui fixé par la résolution 2254 », a-t-il ajouté.
Ce document, adopté en décembre par le Conseil de sécurité de l’ONU, prévoit la formation d’un organe de transition en Syrie dans les six mois et des élections dans les douze mois suivants. « Nous voulons un dialogue entre Syriens, mais sans conditions préalables », a rétorqué Bachar al-Jaafari, ambassadeur de la Syrie à l’ONU, en réponse aux exigences de l’opposition qui réclame le départ du président Assad avant toute solution politique. L’opposition syrienne veut la mise en place dans les six mois qui viennent d’un « organe de transition » doté de tous les pouvoirs. Mais pour Damas, il est hors de question de parler du sort du président Assad, et la transition ne doit être qu’un simple remaniement ministériel avec un « gouvernement d’union » élargi à des opposants. La guerre en Syrie, qui a débuté en mars 2011 après la répression sanglante par le régime de manifestations prodémocratiques, s’est transformée en un conflit complexe impliquant une multitude d’acteurs locaux et internationaux. Elle a fait plus de 270 000 morts, poussé plus de la moitié des habitants à quitter leur foyer, provoquant une importante crise migratoire.
La Russie continuera ses frappes
La Russie poursuivra ses frappes aériennes contre des « objectifs terroristes » en Syrie, malgré le retrait de la majeure partie de son contingent militaire, a annoncé ce mardi un responsable militaire russe en Syrie. « Il est trop tôt pour parler de victoire sur les terroristes. L’aviation russe a pour mission de poursuivre ses frappes contre des objectifs terroristes », a expliqué un vice-ministre de la Défense, le général Nikolaï Pankov, cité par les agences de presse russes depuis la base aérienne russe de Hmeimim, dans le nord-ouest de la Syrie. « Une vraie chance de mettre fin à des années de violence est apparue », a-t-il toutefois ajouté, au lendemain de l’annonce surprise de Vladimir Poutine qui a mis au fin au déploiement de la majeure partie de l’armée russe en Syrie.