Le procès de l’affaire Sonatrach I, rouvert hier par le tribunal criminel près la Cour d’Alger, a été reporté à la prochaine Session criminelle, prévue en novembre. Ce nouvel ajournement a été prononcé par le président de l’audience, Mohamed Reggad, après avoir constaté l’absence de 29 témoins parmi un nombre total de 108, dont une personne est décédée. Le juge a entamé sa séance par l’appel des témoins et des avocats de la défense, en présence de tous les prévenus dans cette affaire, liée à des faits de corruption, où sont accusées quinze personnes morales et quatre entreprises étrangères. Parmi ces prévenus, les deux principaux accusés, Mohamed Meziane et Belkacem Boumediène, respectivement ex-P-DG, et vice-président chargé de l’activité «Amont» de l’entreprise publique Sonatrach, ainsi que huit ex-directeurs exécutifs du Groupe pétrolier. Pour rappel, le procès s’est ouvert le 7 avril dernier, lors d’une séance à l’issue de laquelle, le procureur général a requis une peine de cinq ans de prison ferme, assortie d’une amende de 122 millions DA à l’encontre des deux accusés cités en haut. Dans cette affaire de corruption à larges ramifications, les prévenus sont poursuivis pour «violation de la législation régissant les mouvements des capitaux» et «infraction aux changes». En outre, un deuxième volet de l’accusation porte sur une passation «douteuse» d’un marché, estimé à 126 millions de dollars, concernant «l’achat et l’importation de tubes pour gazoducs» auprès de la société étrangère «Schlumberger». Les quatre entreprises étrangères sont poursuivies pour avoir bénéficié d’une manière «frauduleuse» de marchés publics, au préjudice de Sonatrach. Lors de cette séance, les avocats de la défense ont demandé au juge de connaître la décision du parquet concernant la requête qu’ils ont introduite, où ils ont récusé la constitution du Trésor public, comme partie civile, sachant que la direction des Douanes, a-t-on précisé, en est déjà une. Pour revenir au déroulement du procès, le juge a constaté l’absence de plusieurs témoins, après avoir écouté les avocats de la défense et demandé l’avis du procureur général sur la possibilité, ou non, de poursuive le procès dans de telles conditions. Pour les Robes noires, il ne peut y avoir un procès équitable sans la présence de témoins importants qui représentent une partie sine qua none pour un jugement rationnel. Pour sa part, le représentant du ministère public a indiqué qu’il revient au juge et ses assistants-conseillers de décider du report, ou du maintien, du procès, et pour cela, faudrait-il, qu’ils en tiennent compte de l’importance ou pas des témoins absents. En effet, moins de deux heures sont passées, après que le juge ne décide de lever la séance pour entrer en concertation avec les autres magistrats pour décider du sort à fixer à ce procès. «Après avoir constaté l’absence d’une trentaine de témoins, parmi lesquels des personnes importantes, je décide, après concertation, de reporter le procès à la prochain Session criminelle», c’est en ces termes, donc, que Reggad a annoncé l’ajournement de l’affaire. D’aucuns parmi les avocats de la défense ont estimé que cette décision est judicieuse. Cet avis est partagé par Mustapha Bouchachi, qui a déclaré en aparté et devant la presse que «le procès sera long et prendra beaucoup de temps. Et il s’avère qu’à la veille du moins de Ramadan il n’est pas possible de tenir un procès équitable, car la période n’est pas propice», a souligné l’ancien président de la Laddh (Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme).
La liberté provisoire refusée aux détenus…
La question de la détention provisoire qui a animé depuis longtemps la polémique de l’actualité judiciaire, et soulève le courroux des avocats parmi les plus connus au pays, s’est invitée, à nouveau, lors de ce procès. Cependant, en dépit de la demande du collectif de la défense de la libération provisoire des détenus, le juge est resté inflexible. Ce dernier a rejeté cette requête. Invité par Reggad à donner son avis, le représentant du ministère public a répondu aux avocats «coléreux» devant cet état de fait, en estimant que «la population est aussi en colère contre la propagation de la corruption. Si les droits des prévenus sont sacrés, ceux du peuple et de l’État le sont aussi», a-t-il affirmé. En effet, il s’agit, par là, de la quintessence des plaidoiries des avocats qui se sont succédé tour à tour devant le juge, pour lui demander presque d’une seule voix la libération provisoire des sept (7) prévenus qui croupissent dans la prison depuis plus de cinq ans, maintenant. En effet, ce n’est pas parce que les Robes noires ont jugé nécessaire le report de l’affaire, qu’ils acceptent pour autant que des accusés soient détenus «provisoirement, pendant 5 ans et demi, à la maison d’arrêt», c’est du moins ce qu’il en ressort des déclarations des uns et des autres. C’est ainsi que Mokrane Aït-Larbi, avocat de l’ancien P-DG de la Cnep, Hachemi Meghaoui et son fils Yazid, a estimé que ces deux clients attendent, depuis plus de cinq ans, l’appel du juge pour qu’ils se présentent devant lui, et défendre leurs droits. En la circonstance, Me Aït-Larbi a enfilé sa robe de militant des droits de l’Homme, et a rappelé les Conventions internationales inhérentes à ce volet qui sont signées par l’Algérie. «Cinq ans et demi en détention provisoire, dans un procès reporté deux fois, est une injustice qui va à l’encontre du respect de ce principe universel», a-t-il souligné. Ce n’est pas le seul argument présenté par l’ex-sénateur. Pour lui, Meghaoui, qui est cadre de l’État et homme financier connu à l’échelle nationale et internationale, a droit à la liberté provisoire, durant ce mois de Ramadan et du jour de l’Aïd, après une détention en compagnie de son fils Yazid, qui le prive de sa famille pendant des mois, a-t-il ajouté. Lui succédant devant le juge, l’avocat de Benamar Zenasni, ex-sous-directeur de Sonatrach, chargé de l’activité de «Transport» par canalisation, a rappelé que son client était cadre de la Compagnie nationale pendant 42 ans, et a demandé sa relaxe provisoire avant son jugement. Une autre avocate s’est référée aux déclarations du ministre de la Justice, garde des Sceaux, Tayeb Louh, qui a indiqué, selon elle, que «la durée de la détention provisoire ne doit pas excéder 5 ans». Évoquant le cas des deux frères Bachir-Faouzi et Mohamed-Rédha, fils de Mohamed Meziane, leur avocat a souligné qu’ils sont diabétiques et souffrent depuis le décès de leur mère et leur grand-mère, et qu’ils n’ont pas d’antécédents judiciaires. Des raisons qui constituent pour le même avocat «des garanties juridiques» à même de retrouver leur liberté provisoire. «Le prévenu est innocent jusqu’à ce sa culpabilité soit prouvée», a soutenu un autre membre de la défense de Belkacem Boumediène. Interrogé en fin de la séance à commenter la décision du juge, Me Aït-Larbi a déclaré que «le refus du juge de libérer provisoirement le détenus était prévisible…», a-t-il conclu.
Farid Guellil