Dans cet entretien, le professeur Chitour tente d’éclairer l’opinion publique sur un sujet d’actualité qui fait couler beaucoup d’encre, celui de la baisse des prix du pétrole et son impact sur l’économie du pays. Selon lui, les Algériens commencent à comprendre la réalité de cette baisse, déplorant le fait que rien n’est fait au niveau de l’information pour leur expliquer les enjeux.
– Le Courrier d’Algérie : – Malgré les préventions des experts, quant aux conséquences négatives de la baisse du prix du pétrole sur l’économie nationale, le gouvernement tente de rassurer le peuple, affirmant qu’il a les moyens de maintenir l’ensemble de ses importants investissements prévus en 2015. Comment trouvez-vous la réaction du gouvernement, face à cette situation?
-Chems-Eddine Chitour : -Le gouvernement est dans son rôle de rassurer les citoyens, le Conseil des ministres, présidé par le Chef de l’État, a publié un communiqué qui est une véritable feuille de route. Le but est d’imprimer une nouvelle dynamique avec les méthodes anciennes, mais sans affoler les citoyens. Objectivement, les pertes pour 2014 se chiffreraient à 5 milliards de dollars, le ministère de l’Énergie parle de 2 milliards de dollars. C’est relativement gérable. Ce qui l’est moins, c’est la boulimie de l’importation et l’addiction au conteneur qui fait que l’on achète tout de l’étranger, que l’on ne sait plus rien faire du fait que les dollars du pétrole permettent de répondre à nos lobbies, donnant l’illusion que nous sommes un pays riche, avec un portable vissé à l’oreille, des opérateurs qui nous incitent à gaspiller «Ahadrou, Ahadrou…) Bavardez, à raison de 5 dollars la recharge de 500 DA de flexy pour rien. Et quand on demande à ce même Algérien d’arrêter de gaspiller l’eau à 5 DA le m3, l’électricité à 4 DA le kilowattheure, le gasoil à 13 DA, on risque l’émeute.
-Pensez-vous que le peuple algérien est conscient de cette situation ?
Oui, les Algériens commencent à comprendre la réalité de la chute du pétrole. Ils sont, d’après un sondage, conscients des difficultés. Mais rien n’est fait au niveau de l’information pour leur expliquer les enjeux. Du fait de cette défaillance, c’est donc la rumeur qui tient lieu d’information.
En tant qu’expert dans le domaine, comment voyez-vous les choses ?
-Le signal de la chute des prix du pétrole est la dernière alerte qui peut nous sauver, si on décide, radicalement, de changer de fusil d’épaule. Ce ne sont pas les dangereux gaz de schiste qui vont sauver les Algériens, c’est la rupture avec le passé et avec le superflu. C’est le compter-sur-soi, c’est une forme de patriotisme économique qui ne doit pas être un slogan, mais un nouveau paradigme, où l’on favorise le réarmement industriel, où l’on fait la chasse au gaspillage. Ce qui arrive à l’Algérie est très dangereux pour son devenir. Les vrais problèmes du pays nous attendent et les premières mesures de lutte contre le gaspillage doivent être expliquées pour qu’elles soient acceptées par les citoyens. Les départements ministériels ont une énorme responsabilité dans la rationalisation budgétaire. Je suis sûr que des gains de productivité peuvent être obtenus, en dépensant moins. Cependant, une stratégie bien pensée vers le développement durable doit pouvoir être vue d’une façon pédagogique. Force est de constater que les médias officiels et privés ne font pas ce qu’il faut pour une cause nationale qui doit transcender les clivages partis- gouvernement.
-Est-ce qu’il y a un espoir que les prix du pétrole repartent à la hausse ?
-Les prix repartiront à une hausse modérée peut-être autour de 80 dollars parce qu’il y a toujours un surplus de 1,5 million de barils, et personne ni l’Opep, tenue d’une main de fer par l’Arabie saoudite et les pays du Golfe, ni les hors Opep ne veulent diminuer leur production. L’Arabie saoudite argue du fait que les prix doivent être autour de 60 dollars pour décourager les producteurs américains d’huile de schiste. Or, on constate que depuis deux mois les prix sont autour de 60 dollars et les Américains ne bougent pas! Au contraire, tout le monde surveille l’effondrement de la Russie, effondrement qui tarde à venir au même titre que celui de l’Iran.
-Que pensez-vous également de la position de l’Arabie saoudite ?
-Honnêtement je pense que l’Arabie saoudite joue un jeu dangereux, je ne pense pas qu’elle soit capable de se dresser contre l’Empire américain qui la protège depuis plus de 60 ans. Par contre, un scénario à la Reagan qui a eu raison de l’Empire soviétique, en le ruinant (guerre des prix déclenchée par l’Arabie saoudite) est possible contre la Russie qui ne se laissera pas faire et ne veut pas rentrer dans le rang. L’Algérie est une victime collatérale d’un combat de titans qui la dépasse! Elle doit faire preuve de beaucoup de compétence et de rationalité pour s’en sortir. Nous devrons changer totalement notre modèle de développement qui doit être basée sur la sobriété en tout, une transition énergétique vers le développement durable. Ainsi, au moment où les pays s’interrogent sur la validité de leur modèle de consommation, en Algérie, on essaie de coller à la modernité synonyme de voitures, de 4X4, de consommation débridée. De portables de tablettes; bref, de toute chose accessoire qui ne sont pas le fruit de notre travail. Il est triste de le dire, mais rien de significatif n’est fait ni en terme d’aménagement de l’espace pour contrer d’une façon résolue les dangers climatiques, ni en terme de reboisement cohérent, ni une lutte contre la désertification du pays ni, enfin, des tentatives de veiller à la sécurité alimentaire, en s’adaptant au climat par l’acclimatation de nouvelles variétés de légumineuses, d’arbres fruitiers, de légumes…
Nous manquons d’imagination pour aménager l’espace, créer de villes nouvelles sur les axes Nord Sud, en amenant l’eau et l’électricité à la disposition de bataillons de jeunes que nous pouvons occuper sainement pour reverdir le Sahara, au lieu de les divertir par le soporifique mortifère du football. Plus que jamais, l’Algérie est dans l’attente d’une stratégie énergétique que nous appelons de nos vœux. L’exploitation des gaz de schiste serait, dans l’état actuel de la technologie, une calamité écologique.
Le Sahara qui en a vu d’autres : bombes atomiques multicolores, expérimentation des armes chimiques, ne se relèvera pas d’une pollution irréversible de la nappe phréatique. Le développement durable, nous impose d’aller vers un bouquet énergétique et le plus grand gisement d’énergie, c’est celui des économies d’énergie. Les prix du pétrole ont fini à leur plus bas niveau, depuis cinq ans et demi, lundi 29 décembre à New York, le baril de «light sweet crude» (WTI) pour livraison en février a perdu 1,12 dollar, pour s’établir à 53,61 dollars, sur le New York Mercantile Exchange (Nymex), soit son plus bas niveau en clôture depuis début mai 2009. Jusqu’en juin, le marché était en mode «business as usual», avec une volatilité faible et des prix sans tendance. Le rebond de croissance attendu n’est pas venu, et de nombreux économistes doutent, désormais, qu’il intervienne en 2015. Toutes les zones du monde sont en ralentissement, à l’exception des États-Unis, qui ne pourront, à eux seuls, tirer la croissance mondiale.
Entretien réalisé par Ines B.