Accueil ACTUALITÉ À GHAZA : Une file d’attente pour quelques gouttes d’eau

À GHAZA : Une file d’attente pour quelques gouttes d’eau

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Sous un soleil de plomb et une humidité suffocante typique du mois de juillet, Mohammed Naïm, journaliste indépendant, fait la queue avec ses enfants derrière lui, au milieu d’une foule interminable d’hommes et de femmes de tous âges. Tous attendent, devant un camion-citerne, de pouvoir remplir quelques bidons d’eau potable pour survivre jusqu’au prochain passage, dans cinq jours.
Comme la grande majorité des habitants de Ghaza, déplacés ou restés dans leurs maisons détruites, Mohammed subit les conséquences d’une guerre qui a pulvérisé les infrastructures, à commencer par les canalisations et les puits. Mohammed, atteint d’une maladie chronique affectant ses os et sa colonne vertébrale, est privé de soins depuis le début de la guerre. Il raconte à Al-Quds Al-Arabi : « L’eau, qui était si facile à avoir, est devenue une quête exténuante. On rêve de voir l’eau couler du robinet, mais aujourd’hui chaque goutte est comptée. » Dans Ghaza, la distribution de l’eau est désormais rationnée par les autorités locales. Chaque quartier reçoit, une fois par semaine, un filet d’eau par des canalisations souvent endommagées par les bombardements israéliens. Des camions-citernes suppléent quand les conduites sont inutilisables, notamment dans l’ouest de la ville, où se concentrent des milliers de déplacés. Mohammed, sa famille et ses parents vivent dans un centre d’hébergement à l’ouest de Ghaza, après avoir fui à plusieurs reprises. Leur maison à Beit Hanoun a été détruite dès le 19 mars dernier, date de la reprise des bombardements après un court cessez-le-feu. Avant cela, ils avaient trouvé refuge dans des camps de tentes à Khan Younès, puis dans une école à Rafah. À chaque étape, trouver de l’eau relevait de l’exploit. « Depuis le 7 octobre, notre vie a basculé. Ce qui existait a disparu, et notre réalité dépasse tout ce qu’on pouvait imaginer. On peut survivre à la faim et aux bombardements, mais pas au manque d’eau », soupire-t-il. Dans certaines zones, il faut parcourir plusieurs kilomètres pour remplir un simple bidon. Les familles réservent une partie infime de l’eau pour se laver ou faire la vaisselle. Récemment, des images poignantes ont circulé sur les réseaux sociaux : une vieille femme et des enfants, portant de lourds bidons, regagnant à pied leurs tentes. La municipalité de Ghaza explique cette pénurie par la destruction de la principale station de dessalement, de nombreux puits et réservoirs, combinée à une pénurie de carburant qui empêche de faire tourner les pompes. La situation empire chaque jour, les équipes techniques étant bloquées par l’armée israélienne lorsqu’elles tentent de réparer les installations. La mairie alerte sur une « crise de soif aiguë », exacerbée par la canicule et le maintien du blocus. Selon ses chiffres, des milliers de familles n’ont plus été alimentées depuis plus d’une semaine.
Trois litres d’eau par personne
Les dernières estimations font état de 10 à 20 % seulement du volume d’eau disponible avant la guerre. Et cette quantité fluctue selon les livraisons de carburant. L’Autorité palestinienne de l’eau estime que 85 % des infrastructures de l’eau et de l’assainissement ont été gravement endommagées. « Ghaza est en train de mourir de soif », prévient-elle. D’après les Nations unies, la production a encore baissé de 20 % récemment, faute de carburant pour pomper les nappes phréatiques. Aujourd’hui, malgré la chaleur écrasante, un habitant de Ghaza ne dispose en moyenne que de trois litres d’eau par jour – loin des 15 litres minimum recommandés pour survivre. Se laver une fois par semaine est devenu un luxe. Dans ce contexte, les maladies se multiplient. À l’ouest de Ghaza, Samah, 37 ans, raconte à Al-Quds Al-Arabi que sa fille de dix ans souffre à nouveau de poux faute de pouvoir se laver correctement. « C’est la réalité de presque tous les déplacés, adultes et enfants confondus. Même nettoyer les cheveux manuellement ne suffit plus sans produits adaptés », dit-elle, alors que le centre d’accueil ne peut même plus fournir assez d’eau potable ou de nourriture. L’UNRWA, principale agence humanitaire pour les réfugiés palestiniens, souligne que le conflit aggrave l’accumulation des déchets et favorise la propagation de maladies.
Une arme de guerre
Dans la bande de Ghaza, plus de 80 % de la population vit aujourd’hui sur moins de 20 % du territoire, coincée dans des zones non évacuées par l’armée israélienne. L’accès à l’eau potable est encore plus difficile depuis que plusieurs stations de dessalement ont été détruites ou mises à l’arrêt faute de carburant. À chaque arrivée d’un camion-citerne, les files d’attente s’étirent sur des dizaines de mètres. Chaque famille ne peut remplir qu’un bidon à la fois. « Avec cette chaleur, même boire devient une épreuve », témoigne Mohammed Al-Mughari du camp de Nuseirat. Là-bas, une petite station de pompage ne suffit pas pour des milliers de résidents et déplacés. Sans électricité pour faire fonctionner les climatiseurs ou refroidir l’eau, boire un verre d’eau fraîche est devenu un simple rêve. « Nous vivons une crise dans la crise. Israël nous tue de faim et de soif », dit-il. Les livraisons d’eau, quand elles ont lieu, ne dépassent pas quatre heures, une fois par semaine. Pendant ce court laps de temps, chacun remplit tous les récipients disponibles. Mais l’usure, le climat et la pénurie de bidons ne facilitent pas la survie. Le blocus empêche même l’importation de simples contenants en plastique.
Un massacre quotidien
Dans ce contexte, le carnage continue. Hier 48 Palestiniens tués par l’armée israélienne depuis l’aube, principalement dans le nord et l’est de la bande de Ghaza. Parmi eux, 16 personnes, dont des enfants et une femme enceinte, ont péri dans un bombardement sur un camp de déplacés à Khan Younès. Trois autres ont été abattus près d’un centre de distribution d’aide à Rafah, alors qu’ils cherchaient de la nourriture. Une école abritant des déplacés a aussi été visée dans le camp de Chati, faisant sept morts et des dizaines de blessés, dont des enfants. Depuis le 7 octobre 2023, Ghaza compte plus de 57 400 morts et plus de 136 000 blessés, selon le dernier bilan officiel. Et chaque jour, de nouvelles victimes tombent sous les bombes ou meurent lentement, de faim ou de soif, dans l’indifférence du monde. M. S.

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