La police espagnole a annoncé jeudi l’arrestation de Karim Bouyakhrichan, un baron de la « Mocro Maffia », organisation criminelle d’origine marocaine établie aux Pays-Bas, accusé d’avoir dirigé un réseau de trafic de drogue ayant acquis au moins 172 propriétés dans le sud de l’Espagne.
«Nous avons réussi à arrêter le chef d’un clan de la Mocro Maffia, qui était une cible prioritaire pour les Pays-Bas et la police espagnole », a déclaré lors d’une conférence de presse Fernando Alonso, chef de l’Unité de lutte contre la criminalité économique et fiscale (UDEF).
Le baron arrêté est le frère de Samir, Bouyakhrichan également membre de la « Mocro Maffia ». Surnommé « Scarface » en raison d’une cicatrice sous l’œil droit, tué en 2014 près de Marbella, dans le sud de l’Espagne.
L’inspecteur en chef de l’UDEF, a indiqué que ce meurtre a entraîné une « réorganisation des clans » dans cette région et déclenché l’enquête policière ayant abouti à l’arrestation de Karim Bouyakhrichan. Cinq autres membres du réseau ont également été arrêtés lors de l’opération, dont « le cerveau de la structure de blanchiment », selon M. Vazquez, qui a précisé que l’enquête était toujours en cours et n’a pas exclu d’autres arrestations.
Ce réseau de narcotrafic aurait blanchi au total 6 millions d’euros grâce à une solide infrastructure notamment maritime et commerciale, présente dans plusieurs villes d’Espagne ainsi qu’au Maroc, en République dominicaine, aux Pays-Bas et aux Émirats arabes unis, d’après la police.
Il faut préciser, dans ce cadre, que cette affaire qui intervient alors que celle du « Pablo Escobar du désert » dans laquelle sont mis en cause le président du club de football le WA Casablanca et plusieurs hommes politiques et responsables de l’administration locale marocaine, n’a pas encore révélé tous ses secrets. Elle montre la puissance des réseaux du narcotrafic qui bénéficient de protection et d’une logistique mise en place par le Makhzen qui accorde sa protection aux réseaux criminels tout en bénéficiant de leur « coup de main » pour ses coups tordus et criminels contre les opposants du Rif et les militants sahraouis.
Karim Bouyakhrichan, actuellement en détention provisoire, était selon la police à la tête d’un réseau spécialisé dans le trafic international de stupéfiants à grande échelle, principalement de la cocaïne qu’il introduisait en Espagne, mais aussi « au blanchiment d’argent ».
La justice espagnole a saisi au total 172 biens immobiliers appartenant à l’organisation, d’une valeur estimée à 50 millions d’euros. La police était sur la piste de Karim Bouyakhrichan depuis cinq ans. Selon M. Vazquez, ce dernier était très difficile à traquer car il se déplaçait d’un pays à l’autre, disposait de son propre service de sécurité et était très prudent dans ses communications.
Bouyakhrichan et les autres détenus, dont la police n’a pas précisé la nationalité ni l’identité, seront jugés en Espagne, puis les envoyés aux Pays-Bas, qui ont demandé leur extradition afin de les poursuivre pour des crimes perpétrés dans ce pays par des éléments de la Mocro maffia dont le parrain Ridouan Taghi, qui est incarcéré au Pays-Bas depuis 2019, pour répondre de plusieurs crimes. Ce mafieux néerlandais d’origine marocaine est accusé d’être à la tête d’une organisation de la Mocro Maffia. Il est spécialisé dans la formation de groupes criminels de trafic de cocaïne à l’international. Il est soupçonné d’avoir orchestré plusieurs assassinats, attentats et kidnappings en lien avec la Mocro Mafia. La police estime qu’un tiers du trafic de cocaïne en Europe passe par son organisation. Ridouan Taghi a surnommé son cercle rapproché Angels of Death (les anges de la mort).
Une organisation sous la coupe du Makhzen
À la suite de l’arrestation de son concurrent Benaouf, en 2013, et les assassinats des deux barons de la drogue rivaux, Gwenette Martha et Samir Bouyakhrichan, en 2014, il s’impose comme le plus puissant trafiquant de drogue à l’échelle européenne. Il est d’ailleurs considéré comme le trafiquant le plus dangereux d’Europe par les Pays-Bas. Son bras droit est Saïd Razzouki. Il est à l’origine d’un attentat contre De Telegraaf, de l’assassinat du journaliste Martin Kok et de l’assassinat de l’avocat Derk Wiersum, et à ce titre était l’homme le plus recherché des Pays-Bas pendant plusieurs années, avec plusieurs mandats d’arrêt internationaux à son nom. Il figurait également en bonne place dans la liste d’Interpol. Une récompense de 100 000 € était promise par les autorités néerlandaises à toute personne donnant des indices menant à son arrestation.
En août 2020, six avocats importants aux Pays-Bas sont accusés d’avoir livré des informations à l’organisation de Ridouan Taghi en échange de sommes colossales. Leur nom a récemment été ajouté dans le procès Marengo, dans lequel Taghi est le principal accusé. L’agence Europol a classé son organisation comme la plus dangereuse du continent européen des années 2010, devant les clans monténégrins Škaljari et Kavač et l’organisation ‘Ndrangheta en Italie.
Inez Weski, l’avocate qui le défendait depuis son arrestation en 2019, a été arrêtée en avril 2023 pour avoir livré des informations secrètes de la justice néerlandaise à son organisation criminelle. En juin 2023, Michael Ruperti, Arthur van der Biezen et Sjoerd van Berge Henegouwen sont choisis pour prendre la fonction d’avocat de Ridouan Taghi. Ces trois derniers démissionnent en décembre 2023. Ridouan Taghi est depuis sans avocats.
Il faut également ajouter au registre de cette organisation mafieuse marocaine l’assassinat de Martin Kok, journaliste victime de deux tentatives d’assassinat avant de se faire mortellement tirer dessus dans sa voiture. Ou encore des menaces de morts visant des hommes politiques, ou même de la tentative de kidnapping du ministre de la Justice néerlandais. La Mocro Maffia a fait entrer en Europe les us et coutumes mafieuses d’une part de l’Amérique du Sud, et fait monter d’un cran la violence des crimes liés au trafic de drogue.
Une spécialité, l’assassinat et les enlèvements
En 2022, le journal Le Monde affirmait que la princesse héritière Amalia, âgée de 18 ans, avait dû cesser de se rendre à l’université pour y suivre ses cours en raison de menaces d’enlèvement ou d’attentat. À la même période, le chef du gouvernement, Mark Rutte, avait dû interrompre ses déplacements à vélo, notamment à cause de guetteurs présumés aperçus aux alentours de son domicile. C’est dire que les réseaux de narcotrafic marocains très actifs dans les Pays-Bas, sont toujours sous la coupe de Ridouan Taghi qui commandite les assassinats et toutes les opérations depuis sa cellule dans une prison de haute sécurité.
Le Maroc qui a été élu à la présidence de l’Office international de contrôle des stupéfiants (OICS , un organisme onusien) est toujours cité quand il s’agit de trafic de drogue et d’êtres humains vers l’Europe. Le rapport mondial sur les drogues 2022, publié par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), avait indiqué que le Maroc était toujours à la tête des principaux pays d’origine et de départ de la résine de cannabis, ce qui fait du royaume le premier producteur et exportateur mondial de cette drogue. La culture du cannabis représente ainsi la plus importante source de devises pour l’économie du pays. Et le rapport 2023 de l’ONUDC a relevé que le développement des itinéraires de la cocaïne vers et à travers le Maroc pourrait avoir été facilité par des itinéraires de longue date pour le trafic de résine de cannabis vers l’Espagne. Ce vaste et important trafic ne pouvait être viable sans le soutien du Makhzen qui a toujours protégé les réseaux mafieux en contrepartie de sommes d’argent utilisées dans le financement d’opérations de corruptions de responsables étrangers qui ont profité de ses largesses.
Slimane B.
