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CLAUDE MANGIN, MILITANTE FRANÇAISE DES DROITS DE L’HOMME, AU COURRIER D’ALGÉRIE : « Voici comment j’ai été espionnée par le Maroc ! »

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Début du mois courant, la militante française des droits de l’Homme et de la cause sahraouie, Claude Mangin, épouse du prisonnier politique Naama Asfari, qui se trouvait alors à Alger, nous a accordé un entretien dont la première partie avait paru le 9 mars. Vous avez présentement la suite de l’entrevue sous les yeux.

-Le Courrier d’Algérie : À l’instar de beaucoup d’autres personnalités politiques, militants de la cause sahraouie et opposants au régime marocain, vous êtes l’une des victimes du logiciel Pegasus…
-Claude Mangin : Oui, c’est vraiment le grand scandale de l’année 2021. Au mois de juin 2021, une journaliste du service investigation de Radio France m’a téléphoné par le biais de mon avocat pour venir me voir. C’était un peu compliqué. Elle ne voulait pas exactement me dire pourquoi elle était là, puisque c’était secret et ils voulaient faire éclater le scandale. Elle m’a dit que l’équipe de Radio France soupçonnait un piratage qui a ciblé mon téléphone. C’était mon avocat qui les (journalistes enquêteurs sur le scandale, ndlr) a orientés vers moi parce que son téléphone était piraté. Ils m’ont demandé si je pouvais leur donner mon téléphone. J’ai dû me déplacer au siège de Radio France. On a transféré toutes les données sur un ordinateur. Ces données ont été ensuite transférées au siège d’Amnesty International pour que les techniciens les regardent (analysent). Deux heures après, soit dans l’après-midi, la journaliste m’a recontactée en disant que mon téléphone était entièrement piraté.
Par ailleurs, des journalistes de Washington aussi ont pris contact avec nous. Toutefois, eux, ils s’intéressent à un autre problème. Ils dénonçaient le fait que les téléphones iPhone n’étaient pas sécurisés contre le piratage. Ils n’en avaient rien à faire du Maroc et de mes problèmes. Mais, c’était intéressant de voir qu’ils dénonçaient ça.
Donc, quinze jours après, ils ont repris le deuxième téléphone qu’ils m’ont donné et ils ont enquêté à nouveau. Ils ont conclu qu’il était aussi piraté. Donc, voilà, comme tout le monde, en juin 2021, Amnesty m’a envoyé la liste de toutes les connexions pendant neuf mois avec toutes les dates. En vérifiant avec mon agenda-papier, j’ai constaté que ma première connexion était effectuée courant de la nuit avec mon avocat. À ce moment-là, j’ai fini par comprendre tous les événements que je n’ai pas réussi à expliquer jusqu’alors. Puisque, par exemple, j’avais fait une réunion le samedi avec des jeunes sahraouis pour essayer de voir comment on pouvait travailler sur les réseaux sociaux pour rendre visible leur cause. Un jeune étudiant de l’association ‘’Ingénieurs sans frontières » qui avait envie de travailler avec nous, nous a rejoints par visioconférence. Le mardi soir, on se retrouve à nouveau, et il me dit qu’il a été convoqué par le directeur de l’École d’ingénieurs de Marseille et lui a demandé de ne plus participer à ce travail sur le Sahara occidental. Il était vraiment écœuré. C’était le consul du Maroc qui était venu voir ce directeur et il lui avait demandé de lui donner tous les noms des étudiants marocains et d’arrêter de travailler sur le Sahara occidental si non on bloque la coopération avec l’école d’ingénieurs de Casablanca. Ce jeune a, donc, dû arrêter.
Voyez comment les Marocains sont en France, ils sont les maitres ! Ils ont su en trois jours ce qu’on faisait alors que ça se passait chez-moi, en privé. Par la suite, il y a eu plusieurs événements. C’était la période durant laquelle j’ai lancé, avec des juristes et des avocats, tout un travail de dépôt de nouvelles plaintes pour torture auprès du Haut-conseil des droits de l’Homme et du Comité contre la torture. La première avait été déposée en 2016, mais là on était à dix nouvelles plaintes. Le travail a été interrompu par le Coronavirus. On a continué le travail en visioconférence. Le 9 mai, alors que j’étais avec ma maman en voiture, on m’apprend au téléphone que notre correspondant à Laâyoune, Hassanna Abba, qui était membre du bureau de la Ligue pour la protection des prisonniers sahraouis, avait été tabassé après avoir été enlevé devant chez-lui. Tout le monde avait dénoncé cet acte. Mais en fait on a fini par comprendre qu’il avait été arrêté parce qu’il était en contact avec moi. Hassanna était de toutes les réunions mensuelles consacrées aux prisonniers sahraouis. Il était aussi en lien avec les familles des détenus auprès desquelles nous avons recueilli les témoignages pour monter les dossiers de plaintes pour chacun des prisonniers de Gdeim Izik. Il fallait le faire, car chaque détenu a subi des tortures individualisées. Et, moi, consciencieusement et à chaque réunion, je faisais un bon compte rendu que je portais sur ‘’Signal’’ qui est, soi-disant, plus sécurisé. Donc, les Marocains savaient exactement, au jour le jour, tout ce qu’on faisait sur les prisonniers de Gdeim Izik. Du coup, lorsqu’en mois de juillet 2021 on a su ça (éclatement du scandale Pegasus), on a été tétanisés. On s’est dit comment on fait pour continuer notre travail alors que cela peut se reporter contre les familles des prisonniers. Donc, on a dû acheter des téléphones cryptés pour continuer. Voyez donc, Pegasus nous a retardés. Mais, on a fini par déposer six plaintes en juillet 2022 et quatre autres en novembre suivant. La presse française en a fait l’écho.

-C’est peut-être parce qu’ils étaient aussi ciblés ?
-L’affaire Pegasus a vraiment déplu aux journalistes français. Puisque ceux de ‘’Mediapart’’, du ‘’Canard enchainé’’ de ‘’L’Humanité’’ et du ‘’Monde’’ ont été surveillés. Ensuite, le Maroc a porté plainte contre eux. Ce qui fait que quand on a organisé, octobre 2021, le premier voyage de la mission européenne post-confinement (covid-19) pour les journalistes, il y avait, sept rédactions qui étaient venues. Alors que les journalistes français n’étaient pas venus dans les camps depuis le cessez-le-feu, soit 30 ans. Là je pense qu’il y avait deux raisons pour lesquelles ils avaient répondu favorablement. Parce que je suis en contact permanent avec eux et ils ont fini par me connaitre. Et puis, je leur envoie des informations. Bien que cela fasse 13 ans que mon mari (Naama Asfari, ndlr) était en prison, les journalistes français, à part ceux de l’Humanité et de la Croix, faisaient très peu d’articles à ce sujet. Donc, je pense que l’affaire Pegasus et l’avènement de la reprise de la guerre ont poussé les journalistes à s’y intéresser. Donc, on a eu une belle mission qui comprend Arte, RFI, Mediapart, L’Humanité, La Croix, Marianne et Libération. C’était une belle réussite pour moi que tous ces médias viennent dans les camps des réfugiés. Chaque rédaction a fait deux reportages. Arte, par exemple, a fait un reportage de cinq minutes, ce qui est long et rare. RFI aussi. Bref, tous ont fait leur travail de façon excellente et professionnelle. Du coup, je pense que ça n’a pas du tout plu ni au gouvernement français ni au gouvernement marocain. Pour la mission qu’on vient d’effectuer ce février 2022, je n’ai pas réussi à mobiliser les journalistes. Mais, Le Monde, par exemple, a quand même dépêché une envoyée spéciale de Madrid qui a consacré toute une page sur le Front Polisario. C’est dire que, malgré que ce soit un sujet extrêmement clivant, il y a toujours des journalistes et des rédactions qui sont honnêtes.

-Contrairement aux journalistes de BFMTV avec notamment l’affaire Rachid M’Barki …
– Il ne faut pas quand même trop s’étonner de la part d’une chaine du groupe Bolloré. Moi ce qui me surprend chez BFMTV c’est qu’ils ont licencié le type (Rachid M’Barki, ndlr). C’est un peu pour montrer patte blanche comme la députée européenne Manon Aubry de la France insoumise, dont les partisans sont des pro-marocains qui suivent le chef, Jean-luc Mélenchon. Née à Tanger, on se demande, toutefois, pourquoi elle admire le roi (Mohammed VI, ndlr). Après le Marocgate, en effet, Manon Aubry a pris la parole pour dire qu’on doit faire le ménage si non l’année prochaine elle, et ses camarades, ne vont pas être réélus. C’est elle qui le fait, c’est bien, pour les Sahraouis. Mais, ils ont peur pour leurs postes. Nous, en tout cas, on va faire le travail de dénonciation pour le Sahara occidental. Le journaliste de l’Humanité Rosa Moussaoui a commencé le travail avec le président du groupe interparlementaire d’amitié France – Maroc, le sénateur Christian Cambon (Les Républicains). On le sait, il est vraiment le porte-parole du Maroc. Il est insupportable ce Monsieur qui est un ancien de la Guerre d’Algérie. La reporter de L’Humanité a repris ses violentes déclarations surtout lorsqu’il est allé au secours du Maroc en disant que le Marocgate était un complot. Il y a énormément de ministres socialistes, des « sarkozistes » parmi ceux qui ont accepté des invitations du Maroc. Ils étaient logés et nourris à Dakhla et sur les yachts de sa majesté. Il faudrait que tous ces gens-là payent aujourd’hui.

– Y aurait-il, selon vous, des poursuites en France ?
Je ne le sais pas ! Ce que je sais, en revanche, c’est ce que les cadeaux marocains sont offerts en contrepartie. Regardez le livre « Paris-Marrakech: Luxe, pouvoir et réseau ». C’est vraiment 250 pages d’horreur où des journalistes, des gens du show-business … ont été impliqués. Tous les noms étaient cités, mais il n’y a jamais eu de procès pour diffamation. À notre niveau, on a fait un numéro spécial du « Sahara Info » sur le lobby marocain en France qui était sorti le même jour que le Marocgate. Parce qu’on est en permanence en bute à ce lobby. À Ivry, par exemple, on a placé une candidate macroniste d’origine marocaine. C’est un affreux personnage, car à chaque fois qu’on fait voter un vœu pour les Sahraouis, elle dénonce d’une manière extrêmement violente en parlant d’enfants soldats, ou encore d’enfants livrés à la prostitution à Cuba…bref, la même logorrhée. Il y a eu même une intrusion au sein du Conseil municipal. C’est un lieu sacré, inviolable et ouvert où tout le monde peut assister aux séances. C’est-à-dire, personne n’a le droit de faire n’importe quoi. Mais, il se trouve qu’il y a des Marocains qui sont entrés pour filmer. Et il a fallu que le maire Philippe Bouyssou finisse la réunion à huis clos. Il s’est fait raccompagné chez lui par la police. Devant le Conseil, en effet, quatre ou cinq Marocains et Marocaines ont enregistré une émission sur la Radio-Télévision de Luxembourg (RTL) en Europe en insultant le maire Philippe Bouyssou, moi-même et mon mari Naâma Asfari. Malheureusement pour nous, on ne pouvait pas porter plainte contre la presse, contrairement au roi marocain, qui, lui, nous a attaqués en justice, bien qu’il ait été débouté. En fait le problème c’est que ça nous prend beaucoup de temps.Du coup, tout ça nous empêche de mener nos activités militantes. Par exemple, lorsque j’ai été faire la présentation, dans une église à Strasbourg, le 2 décembre 2018, du film-documentaire « Dis-leur que j’existe » qui retrace l’histoire de mon mari Naama Asfari et des prisonniers de Gdeim Izik. Eh bien, ils ont envoyé cinq jeunes marocains qui portaient la casquette rouge frappée d’une étoile verte symbolisant le drapeau du Royaume. Là un commando a pris la parole et il m’a insultée en personne. Ils ont dit l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture qui m’avait invitée est une belle association, mais que Mme Mangin est une femme horrible. Donc, voyez-vous un peu les méthodes du Makhzen qui cherche à m’empêcher de parler. On a été obligé de couper le micro et la soirée a été finie. Ils ne peuvent pas me faire taire, je continuerai à parler jusqu’à la fin.

-Vous qui êtes « au  plus près » des détenus de Gdeim Izik. Qu’en est-il de leur situation ?
J’ai été interdite d’aller au Maroc depuis 2016 parce que les autorités marocaines écrivent au ministère français des Affaires étrangères qu’ils étaient souverains. Sauf que, ils le sont en France aussi. J’ai été expulsée du Maroc cinq fois. La quatrième fois, j’ai dit que s’ils venaient à le refaire, je vais observer une grève de la faim. Ce qui fut fait et le ministère a été embêté. Le député communiste qui me soutenait alors au Parlement avait interpellé Jean-Yves Le Drian. Il lui a dit que Mme Mangin a accepté d’arrêter sa grève de la faim car elle était convaincue que le Gouvernement allait faire en sorte qu’elle obtienne son droit de visite. Mais, les autorités n’ont pas obtenu ce droit auprès du ministère marocain de l’Intérieur pour que je puisse y retourner. Par contre, ils m’ont reproché au téléphone que j’enregistrais des émissions sur la chaine allemande « Deutsche Welle » concernant les Sahraouis. Je leur ai dit que vous n’allez quand même pas m’empêcher de parler en France et en Europe où il y a la liberté d’expression. Je les avais mis dans la difficulté eux qui se couchaient devant le Maroc. Ils voulaient me faire taire, mais moi j’ai le droit de parole et je le ferai jusqu’à la fin.
Finalement c’était dans le cadre des négociations menées par Horst Kohler (ancien envoyé du SG de l’ONU pour le Sahara occidental, ndlr) à Genève, entre 2018 et 2019, lorsque la question des prisonniers sahraouis était mise sur la table, qu’on m’a laissée partir pour deux jours. C’était extrêmement mal passé, pas en prison où j’étais bien avec mon mari. J’ai été assiégée et dénoncée par la presse de caniveau marocaine. La situation n’était finalement pas normalisée. Car, en essayant d’y retourner en 2019 j’ai été expulsée de nouveau. J’ai introduit un recours du tribunal de Rabat, mais la presse du Makhzen avait alors écrit que j’étais un danger pour la sécurité de l’Etat etc. Bien au Maroc il y a trois sujets tabous, à savoir le Sahara, la Religion et le Roi. Toute personne qui cherche à en parler elle est expulsée du pays.
Depuis juillet 2017, les prisonniers étaient dispersés dans sept prisons et leur situation s’est dégradée. Ils n’ont pas le droit de se faire soigner, de sortir dans la cour ou d’aller à la bibliothèque, alors que l’échange du courrier nous est interdit. En conséquence, plusieurs d’entre eux ont observé une grève de la faim. D’ailleurs, il y a trois jeunes sahraouis qui sont en grève de la faim illimitée depuis le 20 février à la prison d’Ait Melloul sise à Agadir. A savoir ; Hussain Amador qui a pris 12 ans de prison et Abdelmoula El-Hafdi et Mohamed Dada qui ont écopé de 10 ans. Au Maroc, les prisonniers sont punis à des peines très lourdes. Ceux qui osent manifester pacifiquement encourent jusqu’à 15 ans. Mon mari n’était pas d’accord avec la grève en disant qu’elle détruit les prisonniers. Mais, au bout d’un moment les prisonniers ne savaient plus quoi faire pour essayer de sortir de cette situation. Donc, ils se mettent en danger encore un peu plus. Quant à mon mari, j’ai le droit de communiquer avec lui au téléphone deux fois par semaine. Il est surveillé par deux gardiens dont l’un d’entre eux parle français. Si ce dernier est absent, la communication ne peut pas avoir lieu.
C’est des moments très précieux bien sûr, mais je ne l’ai pas vu depuis quatre ans et je ne l’ai vu qu’une seule fois en sept ans. En sus, je n’ai pas le droit d’aller au Sahara occidental occupé et je ne peux pas voir mes neveux et nièces. Cela fait sept ans. Mes deux beaux-frères n’ont pas le droit de travailler parce qu’ils s’appellent Asfari. Ça aussi est un crime. C’est vraiment la vengeance coloniale dans toute sa splendeur.
Entretien réalisé par Farid Guellil

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