Par Ali El Hadj Tahar
L’association algérienne des commerçants et artisans estime que l’Algérien dépense plus de 60% de son salaire dans les produits alimentaires durant le mois sacré. La frénésie de la consommation commence le jour, avec le père qui achète, le fils et la fille qui achètent quand la mère ne trouve pas un moment pour quitter la cuisine où elle se condamne à de véritables travaux forcés pour compléter les emplettes familiales. Le temps donné au ventre est aussi précieux que l’argent et pourtant il est gaspillé avec la même insouciance. Ce Ramadhan 2020 vient peut-être à point nommé pour faire prendre conscience qu’il est aisé de combattre la boulimie, si nous le décidions nous-mêmes sans avoir à le faire sous la contrainte du confinement ou de quelque imprévu financier. Toute personne est capable de self-control, de résister à la tentation, quelle qu’elle soit. Il n’y a pourtant pas plus grande privation des tentations que le carême. Mais à quoi cela rime-t-il de se priver le jour pour se relâcher le soir ? Exceptionnel dans l’histoire, ce Ramadhan peut aussi être l’occasion de méditer sur notre mode de vie dans une société consumériste, sur notre incapacité à contrôler notre consommation en subissant toutes les publicités qui nous formatent l’esprit du matin au soir depuis notre enfance. Un Américain voit 3 000 annonces par jour et nous n’en sommes pas loin, chez nous, avec tous les produits qui nous entourent.
Le lien entre le Covid-19 et la pollution, donc la surconsommation, est clairement établi par les scientifiques. Nous ne pouvons rejeter la balle sur autrui et incriminer les entreprises productrices de Co2 et de ces produits qui deviennent des déchets après utilisation. Notre responsabilité est engagée et nous ne pouvons pas nous débiner : les stimuli de marketing ne nous rendent pas moins coupables, car nous sommes des êtres de liberté. Le petit coronavirus a quelque peu réussi à réduire nos goinfreries ramadanesques, voire nos gaspillages. Il est à espérer que même les privations qui accompagnent ce confinement servent de leçon en matière d’épargne et de mesure dans la consommation, d’autant que c’est la modération et non l’excès qui permet de mieux apprécier les choses, ainsi que leur saveur, leur goût et, espérons aussi, de prendre conscience des privations réelles et plus dures que connaissent les gens de modeste condition sociale, et de nous réjouir d’être privilégiés en comparaison. La frugalité et la parcimonie n’ont jamais tué personne, mais la dépense et la surconsommation tuent des espèces entières, mettant la planète en danger, puisque nos écosystèmes sont menacés d’étouffement et d’extinction par le réchauffement climatique, la destruction de la couche d’ozone, la pollution, les déchets toxiques…
Alors que la Conférence de Rio Janeiro sur l’environnement, ou Sommet de la Terre, a considéré la crise environnementale comme un problème global qui interpelle les États et les individus à préserver la nature, les musulmans ne semblent pas très conscients de ce problème, même s’il est vrai qu’ils ne polluent pas le plus du fait qu’ils disposent de moins d’usines. Or, il n’est pas que les versets 12 et 13 de la sourate 45 (L’Agenouillée) ou le verset 165 de la sourate 6 (Les Bestiaux) qui incitent à la préservation de la nature. Le verset 31 de la Sourate El-Araf dit textuellement «ô enfants d’Adam, dans chaque lieu de Salât portez votre parure (vos habits) ; Et mangez et buvez, et ne commettez pas d’excès, car Il [Allah] n’aime pas ceux qui commettent des excès. » Tous les livres saints, les messagers et les prophètes insistent sur la protection de la nature, et à l’ère où la planète est entrée dans une phase critique de dégradation environnementale, le musulman est supposé donner une réponse claire, lui aussi, à cette préoccupation environnementale, d’autant que le Covid-19 a prouvé que nul n’est à l’abri de quelque fléau que ce soit.
A. E. T.