Par Ali El Hadj Tahar
Un virus a mis a nu la réalité du capitalisme américain. Le Covid-19 est-il en train de détricoter le système libéral que la grave crise des subprimes de 2008 n’a pas fait ?
«… et la colère commence à luire dans les yeux de ceux qui ont faim. Dans l’âme des gens, les raisins de la colère se gonflent et mûrissent, annonçant les vendanges prochaines», écrivait John Steinbeck, dans Les raisins de la colère, en 1939. Tous les analystes s’accordent à dire que le fait que la propagation rapide du coronavirus aux États-Unis est la conséquence de décennies de politique en matière de santé publique, puisqu’en 1960 il y avait 9,2 lits d’hôpital pour 1000 habitants et qu’il y en a à peine 1 lit aujourd’hui, alors que l’Algérie dispose de 1,7 lits et Cuba de 4. La pandémie montre aussi l’ampleur de la pauvreté aux États-Unis, avec des scènes rappelant la première crise économique. Les allocations familiales sont devenues un symbole de détresse sociale actuelle. Des files d’attente massives pour l’obtention de l’aide alimentaire d’urgence dans chaque État et district évoquent la dépression des années 1930, dont les causes n’ont cependant rien à voir avec la décroissance actuelle, due en réalité non pas au virus mais à l’égoïsme de la bourgeoisie et l’aveuglement politique au moins depuis Ronald Reagan.
À San Antonio, au Texas, on a vu au moins 6000 voitures faisant la queue sur 8 km près d’une banque alimentaire. Les demandeurs de ce carton alimentaire ne sont pas seulement les plus basses catégories des travailleurs, mais des ouvriers et des familles de la classe moyenne contraints de recourir, pour la première fois de leur vie, à cette aide. Près de 22 millions de travailleurs ont déposé une demande de chômage au cours des trois dernières semaines, soit le nombre le plus élevé jamais enregistré dans un pays qui a toujours symbolisé la richesse et la prospérité. Ce sont donc autant de millions qui feront la chaîne pour de la nourriture s’ils ont de la chance d’être inscrits sur les listes des demandeurs, puisque les sites Web des centres d’inscription sont surchargés d’appels. Des millions de demandeurs n’ont en pas encore bénéficié, d’autant que la plupart des États n’ont toujours pas mis en place un moyen d’envoyer l’augmentation hebdomadaire de 600 dollars du chômage pendant quatre mois. À peine quelques milliers ont reçu un dépôt direct sur leur compte bancaire bien que des milliards de dollars aient été virés aux banques et aux grandes sociétés qui ne s’empressent pas d’en faire bénéficier les ayants-droit.
La crise frappe de plein fouet les 3/4 des travailleurs américains qui ne peuvent pas faire des économies car vivant de salaire à salaire. Ceux qui n’ont pas faim attendent d’être jetés à la rue, faute de pouvoir payer leur loyer, le versement unique de 1200 dollars, promis par Trump, ne suffira pas à couvrir tous les besoins, d’autant que la reprise économique n’est pas en vue. La colère gronde dans ce pays qui se voit distancé par la Chine et qui risque de perdre beaucoup de parts de marché dans tous les domaines après la pandémie actuelle, car toutes les nations prennent conscience de la nécessité de l’autosuffisance et de leur indépendance par rapport aux puissances occidentales. La colère qui gronde aux États-Unis risque donc de se perpétuer car la croissance ne semble pas pointer à l’horizon. Des spécialistes craignent des moments critiques. En effet, des commentaires inquiets ont commencé à apparaître sur la probabilité d’une agitation sociale de masse. Andreas Kluth, membre du comité de rédaction de Bloomberg, un groupe financier américain, a même averti que la pandémie conduira à des «révolutions sociales». «Dans ce contexte, il serait naïf de penser qu’une fois cette urgence médicale passée, les pays ou le monde pourront continuer comme avant », écrit-il, ajoutant : « La colère et l’amertume trouveront de nouveaux débouchés… Avec le temps, ces passions pourraient devenir de nouveaux mouvements populistes ou radicaux, décidés à balayer tout régime ancien qu’ils définissent comme l’ennemi». Les lanceurs d’alerte libéraux avouent que le vrai visage du capitalisme est mis à nu comme jamais auparavant dans l’histoire moderne. Les travailleurs et les pauvres de la première puissance sauront-ils tirer les leçons, comme l’ont fait les Gilets jaunes, en France, afin de changer un système où une poignée de milliardaires possède plus de richesses que les 3/4 de la population étatsunienne ?
A. E. T.