Certes pas comme celle de vendredi dernier, marquant une année depuis le déclenchement du Mouvement populaire, la manifestation d’hier a drainé des milliers de citoyens dans les principales rues d’Alger-Centre. 12h : tout est calme à Didouche Mourad, alors que des manifestants sont déjà sur place attendant le début de la marche. Un itinéraire minutieusement bouclé par les forces de police, très présentes sur les lieux. Le matin, les accès à la Capitale ont été, comme lors de chaque vendredi, soumis à un strict contrôle par la Gendarmerie nationale, provoquant ainsi d’énormes bouchons sur ces tronçons routiers.
Les manifestants, dont beaucoup ont préféré venir avec leurs enfants – accompagnés, sur les bras ou en poussettes – ont gardé un esprit empreint de pacifisme.
Pourtant, un manifestant nous a informés qu’un groupe de citoyens a commencé à défiler aux environs de 11h quand des agents des forces anti-émeute les ont réprimés. Il indique avoir été maltraité, lui et son fils, âgé d’une dizaine d’années : « Je suis venu le matin à 10:40h, moi et mon fils. Des policiers m’ont insulté devant mon fils. Ils ont tenté même de nous embarquer dans leurs fourgons. Un agent m’a dit : “ Retourne chez toi! ” Mais c’est où ce “ chez moi ”? Aux Émirats arabes unis] ?». Il poursuit : « Il ont fait arrêter 5 personnes, entre vieux et jeunes, qui étaient avec nous. On ignore toujours leur sort ».
13h : avant même l’accomplissement de la grande prière de vendredi dans la mosquée mitoyenne, comme il est d’usage depuis des mois, le premier cortège des manifestants s’est lancé. Les chants et slogans hostiles au pouvoir et en faveur d’un État civil ont fortement retenti. « Wellah Marana Habssine ! », (Nous jurons de ne pas nous arrêter), promettent les manifestants. 13:30 h : les rues d’Alger-Centre commencent à être submergées par les manifestants. Drapés dans les emblèmes nationaux, le sourire aux visages, les Hirakistes se sont bien amusés en réagissant aux informations sur l’arrivée du coronavirus dans le pays, dont un premier cas a été enregistré sur un ressortissant italien. Malgré les mises en garde des autorités publiques, le Mouvement populaire n’y voit qu’une « énième tentative » de faire éteindre leur mouvement. Un signe du fossé entre le Hirak et les dirigeants politiques qui semble se creuser davantage.
Sur une pancarte, on lira : « Matkhawfounach Bel Corona, Wntouma Sbab 3dabna Yal3issaba! », (Vous ne nous faites pas peur avec le corona [virus], vous êtes la source de nos malheurs, vous, la bande!). Après une journée de jeudi où des rumeurs ont circulé sur l’enregistrement d’un deuxième cas à Batna, un autre ressortissant italien, après celui de ce début de semaine, l’inquiétude ne s’est pas emparée pour autant des manifestants. Des citoyens, assez rares, sont venus quand-même à la marche avec des masques. Les avertissements des pouvoirs publics ont été tournés en dérision : « Le virus du Pouvoir est plus fort que le virus de corona », « Yatnahaw Ga3 : Le Hagrouna virus est plus dangereux que le coronavirus. La révolution s’amplifie », affichent des pancartes.
Un autre manifestant a fait un lien entre l’annonce de Tebboune de consacrer le 22 février journée nationale et l’avènement du coronavirus : « Le coronavirus, par quel moyen le neutraliser ? En lui consacrant : une journée nationale ». On peut trouver aussi sur une autre affiche : « Vous avez amené le coronavirus, mais nous continuerons notre blocus ».
Aussi, l’acte 54 du Hirak a tenu à rendre hommage au premier martyr du Mouvement, en la personne du docteur Hassane Ben Khedda, décédé d’un arrêt cardiaque lors d’une manifestation à Alger. Ces portraits ont dominé la manifestation d’hier. Les appels à libérer les détenus d’opinion ont été réitérés également.
La libération, cette semaine, de Khaled Tebboune, fils du président de la République, cité dans l’affaire des « promotions immobilières » dont est accusé Kamel Chikhi dit « El Boucher », a été aussi commentée par les hirakistes qui s’interrogent toujours sur le sort réservé aux figures emblématiques du Mouvement populaire, qui se trouvent toujours en détention provisoire. D’autres fustigent aussi une justice « à double vitesse » : « Non à la justice des 1000 mercis. Non à la justice du téléphone. Oui à une justice libre ».
Un carré des marcheurs a été occupé par les membres de Comité national de libération des détenus (CNLD), qui ont brandi des photos des détenus toujours en incarcération. Un autre carré a été occupé par la famille du détenu politique, Karim Tabbou, par sa femme, ses enfants, des avocats et militants des droits de l’homme, comme Mustapha Bouchachi, et plusieurs autres sympathisants. Des sympathisants de l’ex-candidat à la présidentielle, annulée avril dernier, le général Ali Ghediri, ont composé, de leur côté, un autre carré pour réclamer la libération de leur mentor. Même cas pour l’activiste Rachid Nekkaz.
15h, les rues d’Alger-Centre sont pleines à craquer. Des informations faisaient état d’arrestation de jeunes Hirakistes. À 16h, les manifestants toujours dans la rue, préservant toujours leur pacifisme et leur détermination à continuer la lutte.
Hamid Mecheri