Le parti au pouvoir acte sa première scission : un tiers de ses élus quittent le bloc parlementaire. Les islamistes d’Ennahda deviennent la première force au palais du Bardo. Mieux qu’une série télévisée conçue pour la période du ramadan, avec péripéties, palinodies et meurtres symboliques : la crise qui secoue le parti au pouvoir en Tunisie. Le 8 novembre, 32 élus du bloc parlementaire ont pris la décision de démissionner du groupe parlementaire Nidaa Tounes. Un an après sa victoire aux législatives, pour un mandat de cinq ans, l’union du parti vole en éclat. Les 86 députés officiellement estampillés Nidaa ne seront plus que 54. Les islamistes d’Ennahda deviennent la première force au parlement, avec 69 sièges. Les « frondeurs » occuperont la troisième place, arithmétiquement, avec 32. Ils continueront de soutenir l’exécutif. Conséquence : le gouvernement d’Habib Essid devra redoubler de négociations pour dégager une majorité (108 voix requises) sur ses projets de loi. L’alliance Nidaa canal officiel – Ennahda assure désormais 123 voix au pouvoir exécutif. Et offre aux islamistes le rôle de faiseur de lois et de rois. Déjà, plusieurs voix se sont élevées pour demander un remaniement. Ennahda y assure une présence a minima, avec 1 ministre (sur les 27 portefeuilles que compte le gouvernement) et 3 secrétaires d’État (sur 17).
Un jeu de massacre politique
Ce qui se joue n’est en rien une banale chicanerie dont tout parti fait son quotidien, ses délices et ses supplices. Ici, Nidaa Tounes – qui a reçu de la part des électeurs la mission de gouverner pour cinq ans – se scinde, huit mois après la composition du gouvernement. Deux clans s’affrontent ouvertement : celui d’Hafedh Caïd Essebsi, fort de 54 députés désormais, et celui de Mohsen Marzouk, le secrétaire-général de la formation politique, minoritaire dans son propre parti. Cette démission du bloc parlementaire a été accélérée par les violences constatées à Hammamet lors d’un bureau exécutif qui a mal tourné. Depuis, l’homme pour lequel Nidaa a été créé Béji Caïd Essebsi a joué les conciliateurs en invitant les deux clans au palais de Carthage. Les 32 ont refusé de jouer le jeu… En visite d’État en Suède, le président a qualifié de « nuage passager » cette crise. Et précisé être « obligé d’agir et de rapprocher les points de vue ». Hafedh Caïd Essebsi, son fils, semble sur le point de gagner son pari : installer son leadership. Qualifié de « putschiste » par certains démissionnaires, l’homme serait épaulé par Ridha Belhaj, le ministre-directeur de cabinet de BCE. Ce qu’a démenti l’intéressé, qu’on a vu triomphant au siège du parti cette semaine…
Une députée démissionnaire menacée de mort
Preuve d’un climat politique détestable, une députée de Sousse, démissionnaire du bloc Nidaa, a été placée avec sa famille sous protection policière, samedi. Noura El-Amri est élue dans une circonscription où des faits inquiétants se déroulent. Le 7 octobre dernier, l’homme d’affaires et député Nidaa, Ridha Charfeddine, essuyait une trentaine de coups de feu alors qu’il conduisait sa voiture à Sousse. Sans être blessé. Deux députés du même gouvernorat menacés, cela fait beaucoup. Et les questions ressurgissent sur l’usage de la violence via des milices rémunérées. Une méthode qu’affectionnait l’ex-RCD, le parti unique sous la dictature Ben Ali.
Déconnexion totale avec les Tunisiens
À l’aube d’un hiver social menaçant, les querelles du parti censé diriger le pays semblent décalées. L’UGTT, le syndicat aux 500 000 membres, a hier menacé de déclencher des grèves dans le secteur privé si les négociations avec le patronat (l’Utica)n’aboutissaient pas rapidement.
L’effondrement de l’industrie du tourisme, le ralentissement généralisé de l’économie, le chômage de masse, la pauvreté, la précarisation des classes moyennes sont autant de sujets qui inquiètent les Tunisiens. Pendant que Nidaa Tounes se déchire, l’ARP – le cœur du pouvoir – ne légifère guère. Un ministre, invité par une commission de l’Assemblée, a dû rebrousser chemin vendredi. Aucun député n’avait fait le déplacement…