Le 17 janvier, répondant à l’appel du président camerounais, Paul Biya, des troupes tchadiennes franchissent la frontière camerounaise pour combattre le groupe djihadiste nigérian Boko Haram. Puis le 3 février, l’armée tchadienne a pénétré en territoire nigérian pour prendre le contrôle de la ville de Gamboru, rapidement reprise à la secte islamiste.
Aux origines ,de l’engagement tchadien
Depuis plusieurs mois déjà, le président tchadien alertait la communauté internationale sur les risques très sérieux de déstabilisation régionale provoqués par l’extension des violences commises par les djihadistes de Boko Haram dans le nord du Nigeria. Une menace dont l’ampleur semblait alors sous-évaluée, diluée dans l’émoi provoqué par l’enlèvement de plusieurs centaines de jeunes filles, le 14 avril à Chibock, et les vidéos outrancières du chef de la secte, Aboubakar Shekau. Dès 2014, le Tchad avait donc renforcé sa présence militaire aux frontières avec le Cameroun et le Nigeria, alors que Boko Haram multipliait les offensives dans le nord-est du Nigeria et au nord du Cameroun. Mais le facteur déclencheur de l’engagement tchadien correspond à la prise de la ville nigériane de Baga par les djihadistes, au début du mois de janvier. Boko Haram met alors en déroute les soldats nigérians stationnés sur place. Symboliquement, les islamistes s’emparent de la base qui devait accueillir la Multinational joint task force (MNJTF) créée en 2014 par le Tchad, le Niger et le Nigeria et destinée à lutter contre Boko Haram. Dorénavant, la secte est physiquement présente à la frontière tchadienne, certes sur l’autre rive du lac Tchad. A une centaine de kilomètres plus au Sud, les incursions répétées des djihadistes au nord du Cameroun menacent directement la capitale tchadienne N’Djamena, distante de quelques kilomètres seulement.
Les raisons économiques de l’intervention
Au-delà de l’aspect purement sécuritaire, les actions de Boko Haram ont un impact très lourd sur l’économie tchadienne, déjà sévèrement touchée par l’effondrement du prix des cours du pétrole et le chaos chez ses voisins centrafricains et libyens. L’un des objectifs centraux de l’intervention tchadienne consiste donc à dégager les passages frontaliers et les axes de circulation vitaux pour le Tchad. L’insécurité dans le nord-est du Nigeria a en effet, quasiment stoppé, depuis un an et demi, le commerce (exportation de bétail sur pied, importations de biens de consommation) à destination de ce pays. Ces échanges qui passaient par le lac Tchad à bord de grandes pirogues doivent dorénavant emprunter une longue route de contournement par le Niger. L’augmentation des coûts de transport se répercute sur les prix à la consommation. Simultanément, la chute du commerce prive l’Etat d’importantes recettes douanières. Plus au sud, la propagation de la zone d’influence islamiste au nord du Cameroun menaçait donc le Tchad d’étouffement. Peu avant de passer à l’offensive, N’Djamena redoutait en effet une attaque sur Maroua, la grande ville de l’extrême nord camerounais.
Quelle est la taille du contingent tchadien
Un tel scénario aurait signifié la fermeture de la route transnationale N’Djamena-Kousseri-Maroua, qui relie la capitale tchadienne au port camerounais de Douala, son principal débouché maritime par où transite la majeure partie des approvisionnements destinés au sud du pays. Le 17 janvier, des soldats tchadiens, commandés par le général Ahmat Darry Bazine, franchissent la frontière camerounaise à l’appel du président camerounais Paul Biya. N’Djamena ne fournit pas de détails sur la nature de ce déploiement. Mais selon plusieurs sources, il comporterait trois régiments de 800 hommes chacun, appuyés par des hélicoptères de combat MI-24 et 400 véhicules, dont des blindés.
Dans le même temps, plus au nord, le Tchad a massé des troupes (commandées par Mahamat Idriss Déby Itno, le propre fils du président) à la frontière entre le Niger et le Nigeria, à proximité immédiate de bastions de Boko Haram. Selon l’AFP, un contingent d’environ 400 véhicules et des chars est positionné de Mamori à Bosso, deux bourgades de l’est nigérien, qui ne sont séparées du Nigeria que par une rivière, la Komadougou Yobé. Leur mouvement vers le sud permettrait de prendre les islamistes en tenaille
Pourquoi le Nigeria a fini par accepter l’intervention du Tchad ?
Après avoir longtemps rejeté toute ingérence étrangère, les autorités nigérianes, qui n’arrivent pas à enrayer seules l’expansion militaire de Boko Haram, estiment dorénavant que la présence de troupes tchadiennes sur son sol ne remet pas en cause «l’intégrité territoriale du Nigeria».
Contrairement au Cameroun, dont les forces protégeant Fotokol depuis des mois sont restées sur leurs positions, le Tchad, étant membre avec le Nigeria et le Niger de la Multinational joint task force (MNJTF), bénéficie d’un « accord de poursuite » de Boko Haram en territoire nigérian. Le président tchadien Idriss Déby Itno a clairement dit que l’objectif est la « libération » de la ville nigériane de Baga, tombée début janvier. À N’Djamena, des sources sécuritaires n’excluent pas de pousser jusqu’aux faubourgs de Maiduguri, l’ancien fief de Boko Haram, cible aujourd’hui d’attaques répétées par les islamistes.
La lutte contre Boko Haram se régionalise
À l’issue du sommet d’Addis Abeba des 30 et 31 janvier, l’Union africaine a adopté le principe du déploiement d’une force africaine de 7 500 hommes destinés à combattre le groupe djihadiste. Ce contingent devrait regrouper des soldats du Cameroun, du Tchad, du Niger, du Nigeria et du Bénin. Si le principe de ce déploiement a été retenu, il reste encore à finaliser la stratégie de combat contre Boko Haram, la chaîne de commandement ainsi que le calendrier. Sans précision sur la date, l’Union Africaine (UA) a par ailleurs annoncé qu’elle saisira ensuite le Conseil de sécurité de l’ONU afin de « conférer à la force la légalité et la légitimité internationales, ainsi que les ressources nécessaires à soutenir ses opérations sur le terrain ». En clair : des financements internationaux.
Sans attendre, le Niger devrait envoyer prochainement des troupes au Nigeria. Pour ce faire, le Parlement doit se réunir, lundi 9 février, pour autoriser l’envoi de troupes dans ce pays voisin. Aucun détail n’a été fourni sur le nombre de soldats mobilisés ni sur la date de leur déploiement.