Déjà proposée dans la loi de finances de 2017, où le gouvernement en place avait annoncé que l’impôt sur la fortune serait inscrit dans le projet de loi de finances 2018, la mise en pratique de l’ISF est restée jusqu’à ce jour en suspens et renvoyée aux calendes grecques.
En effet, toutes les réformes fiscales qu’a connues l’Algérie depuis la réforme de 1992, n’ont à aucun moment rendu effective cette imposition. Même en novembre 2020, lorsque la Direction des douanes, à travers une déclaration du ministre des Finances de l’époque, Aïmène Benabderrahmane, avait annoncé l’élaboration d’un fichier national des redevables de l’ISF, afin d’identifier et d’évaluer leur patrimoine, cela n’a abouti à aucune modalité d’application de cette «priorité fiscale». En vertu de la loi de finances de 2020, il était en effet prévu d’imposer un impôt sur la valeur du patrimoine, supérieure ou égale à 100.000.000 DA, mais en l’absence d’un système d’information fiable à cet égard, d’études approfondies et de critères précis, cet ISF sera difficile à mettre en marche. Ainsi, il est clair qu’en l’absence d’articles explicites pour l’instauration d’un impôt sur la fortune, l’ISF restera à son état végétatif. Une problématique que le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a ausculté dimanche, lors d’une réunion extraordinaire du Conseil des ministres consacrée au projet de loi de finances (PLF-2023), où il a donné des instructions en vue d’une numérisation totale de tous les secteurs en 2023, en accélérant la digitalisation du secteur fiscal et des biens appartenant à des individus pour recenser la fortune, au lieu d’une politique fiscale ne ciblant que les petits fonctionnaires et travailleurs.
Réduire la transmission intergénérationnelle des inégalités
Contrairement aux années de mise en œuvre des mesures d’austérité, d’assainissement budgétaire soutenu, et de réforme des subventions, comme ce fut le cas en 2016, lorsque l’Etat a été considérablement touché par la crise financière et la baisse de plus de 50% des revenus pétroliers et gaziers, cette année 2022, le contexte est totalement différent. Dictés par la nouvelle politique de l’administration de Tebboune, les objectifs de politique publique ont imposé au gouvernement de se pencher sur la taxation des rendements élevés. Si d’un point de vue économique, cet outil permettra de faire face à la pression financière, par la diversification des sources de revenus, la sécurisation de nouvelles sources de financement, et le développement du marché boursier du pays, dans l’environnement social, ce serait un mécanisme propice afin de remédier aux inégalités de richesse existante. Outre l’urgence de mettre fin à cette mentalité rentière occulte au développement économique du pays, par un système de fiscalité progressive et plus rentable, un prélèvement sur les ménages les plus aisés, cette nouvelle stratégie financière, réduira de manière draconienne le niveau ou la transmission intergénérationnelle des inégalités. A ce titre, et selon cette nouvelle vision du président Tebboune, l’Algérie semble avoir franchi un nouveau cap dans sa politique fiscale.
Marché parallèle et capitaux d’origine incontrôlée, ou le blocage des lobbies des riches
Tant qu’il y aura des réticences et une levée de bouclier de la part des fortunés algériens et autres hommes d’affaires influents, l’existence du marché parallèle et la prolifération du change informel continueront d’alimenter l’inflation et le dérèglement du système fiscal et financier. Sans des conditions macroéconomiques favorables, sans des audits nationaux et sans une transparence qui mènera à faire le repérage adéquat des capitaux, la vulgarisation de l’ISF demeurera utopique. Comme si bien souligné par le premier magistrat du pays, la concrétisation de cet impôt sur la fortune, se fera par « l’enclenchement d’une opération de recensement minutieuse des potentialités financières et matérielles sous toutes leurs formes, sur le marché parallèle. Tout comme la lutte contre la corruption, l’évasion fiscale, la récupération de l’argent détourné et la restitution des biens mobiliers, à même de réaliser un rebond économique et social à tous les niveaux, et réaliser des investissements productifs, la lutte contre le marché noir sera l’une des priorités déterminante dans l’application effective de l’ISF. Un dysfonctionnement du système économique, dans lequel l’informel prospère, par des investissements dans des affaires illégales, passant par les surfacturations, ce qui explique comment de grosses fortunes ont été ainsi bâties grâce au marché parallèle, lequel n’a cessé d’être alimenté par des flux complexes de blanchiment d’argent. Des sommes d’argent qui ont permis à ces « barons » d’alimenter leurs comptes bancaires à l’étranger. Selon la Banque mondiale, les revenus générés par les pratiques économiques et commerciales informelles avaient atteint pas moins de 43,6 milliards de dollars en 2020, représentant 30% du PIB. Abdelmadjid Tebboune avait d’ailleurs, en 2021, levé le voile sur le passif d’une gestion économique hasardeuse, en déclarant que «l’informel nous coûtait à l’Etat 90 milliards de dollars».
Relever les défis de l’ISF par l’économie numérique
Comme c’est le cas pour plusieurs secteurs qui s’appuient désormais sur les TIC, à l’instar des transports, des médias, de l’industrie ou de l’agriculture, la diffusion rapide et précise du numérique représente un moyen efficace de contrôler le flux des capitaux, ceux des fortunés entre autres. Dans plusieurs économies de marché avancées et émergentes, les autorités fiscales collectent des informations sur les ventes, les salaires, les transactions bancaires, en temps réel, ce qui leur donne un aperçu immédiat de l’état de l’économie. En effet, les systèmes de facturation électronique permettent un accès immédiat aux données sur les ventes des entreprises, une meilleure collecte de données, qui, associée à une puissance de traitement accrue, permet aux gouvernements d’améliorer les méthodes existantes de collecte des impôts. C’est ce qu’a visé le président de la République, en « instruisant le gouvernement à poursuivre la modernisation et la numérisation de tous les secteurs, pour que les indicateurs de fonctionnement et d’équipement soient précis et répondent aux exigences du développement national, tout en assurant une numérisation totale de tous les secteurs en 2023. Un plan national pour l’enregistrement de toutes les transactions commerciales sur un réseau électronique d’information et de données auprès du secteur fiscal ».
Hamid Si Ahmed