Altercations avec les gardes, violentes querelles et surenchère dans la radicalisation. Avec ses milliers de femmes et enfants étrangers affiliés au groupe Etat islamique (EI), le camp de déplacés d’Al-Hol constitue une poudrière jihadiste dans l’est de la Syrie.
Le «califat» de l’EI s’est écroulé, mais il laisse derrière lui des milliers de partisans du groupe ultraradical: des Syriens et des étrangers venus de France, de Tunisie ou de Russie, certains en prison, d’autres parqués dans des camps de déplacés gérés par les Kurdes de Syrie. Rien qu’à Al-Hol, plus de 9.000 femmes et enfants étrangers s’entassent sous haute surveillance dans une enclave qui leur est réservée, séparée du reste du camp par une clôture grillagée. Les étrangers sont mis à part car ils sont étroitement associés à l’EI et jugés responsables de la situation dramatique dans laquelle se retrouvent les Syriens, qui ne cachent pas leur ressentiment à leur égard. Les journalistes ne sont pas toujours les bienvenus. Vêtues de niqab noirs, certaines femmes étrangères fusillent du regard. L’une menace de frapper un journaliste de l’AFP qui l’a filmée. Les tensions sont aussi palpables entre elles, certaines «soeurs» se livrant à une surenchère religieuse, confient des déplacées. «On n’a pas les mêmes mentalités, elles veulent imposer leur vision de l’islam. Elles disent qu’on est des mécréantes», lâche Vanessa, Française originaire de Guyane. Convertie, elle dit avoir débarqué en Syrie en 2013 avec son mari, mort au combat depuis, et leurs enfants. Les Tunisiennes en particulier «sont un peu à l’extrême dans l’islam», assure cette femme longiligne de 36 ans aux mains noueuses.
«Croyances extrêmes»
Inquiètes du «danger» que pourraient représenter ces milliers d’étrangers, les autorités kurdes réclament leur rapatriement. «Les femmes et les enfants» ont besoin d’être «rééduqués et réintégrés dans leurs sociétés d’origine», sous peine de devenir «de futurs terroristes», plaide un responsable, Abdel Karim Omar. Dans l’ex-califat de l’EI en Syrie et en Irak, un temps aussi vaste que la Grande-Bretagne, exécutions sommaires et endoctrinement à l’école étaient de mise. Une Belge de 24 ans, arrivée en Syrie en 2013, confirme les tensions dans le camp, expliquant que des Russes ou Tunisiennes ont «renié» l’EI pour adopter «des croyances très extrêmes». Elles «me font peur», souffle-t-elle. Ces femmes pensent que «le fait de parler aux militaires, de leur demander +Je peux aller au souk ?+, ça va faire de nous des mécréants». Par conséquent, elles considèrent «licite» de s’approprier «nos biens» ou «de nous brûler les tentes», poursuit-elle. Des tensions existent aussi dans le secteur réservé aux Syriens et aux Irakiens. Il y a plusieurs jours, une altercation entre des déplacés a dégénéré. La police kurde, responsable de la sécurité, est intervenue. Des déplacés se sont rassemblés et «ont lancé des cailloux sur nos camarades», rapporte un policier, sous couvert d’anonymat. Nabil al-Hassan, responsable de la communication du camp, assure toutefois que «la situation sécuritaire est sous contrôle». La surpopulation du camp, qui abrite plus de 70.000 personnes, suscite des frictions, surtout lors des distributions d’aides ou de tentes, reconnaît-il.
«On a persévéré»
Lamia, une Syrienne originaire de Minbej (nord), ville tenue par l’EI avant d’être conquise par la force antijihadistes arabo-kurde, demeure attachée au groupe. «On est resté avec l’Etat (islamique) jusqu’à maintenant. On aime l’Etat; où il allait, on le suivait. On a persévéré», confie cette femme de 21 ans, son ventre rond dévoilant sa grossesse. Son premier mari est mort au combat, le deuxième est en prison. «Je demande juste à rentrer dans ma ville», plaide-t-elle. A l’entrée du carré réservé aux étrangers, plusieurs femmes sont agglutinées au portail grillagé, rappelant au gardien que c’est leur tour d’aller au marché. Il y a des Algériennes et des Ukrainiennes. Des enfants qui crient en français, d’autres aux traits asiatiques, d’autres encore qui viennent des îles caribéennes Trinité et Tobago. Les étrangères ne peuvent aller au marché qu’escortées par un garde kurde. Celles qui reviennent ont des chariots chargés d’oeufs, de pommes de terre, de couches, d’un réchaud à gaz. Elles sont méticuleusement fouillées. Dans un sac à main, les gardes trouvent un portable et un papier froissé sur lequel est griffonné un numéro. «C’est pas à moi, c’est à mon amie», se défend faiblement la Tunisienne. Portables et bijoux de trop grande valeur sont systématiquement confisqués et placés dans des consignes. «Procédures de sécurité» pour éviter les contacts avec l’extérieur, mais aussi la contrebande, justifie M. Hassan. Un peu plus tard, dans un autre sac, les gardiens trouvent une bague et une chaîne en or. Une garde kurde les confisque. Mais l’étrangère n’a pas dit son dernier mot. Ses mains agrippent résolument celles de la garde, essayant de récupérer ses bijoux. «Emmenez-là en cellule», lance la gardienne. La femme affiliée à l’EI crie à son tour en s’agrippant à la clôture.