Les 450 millions de dollars atteints par le «Salvator Mundi» de Léonard de Vinci en novembre ont marqué l’histoire des enchères, mais six mois plus tard seulement, New York se prépare déjà à de nouvelles ventes record.
Grand architecte de la vente du siècle, le co-président de l’Après-guerre et de l’art contemporain chez Christie’s, Loïc Gouzer avoue avoir traversé une sorte de «dépression post-partum» après cette soirée historique du 15 novembre. «Mais vous vous remettez à vous enthousiasmer pour de nouveaux projets», dit-il à l’AFP. «La saison que nous avons cette année est complètement différente, mais tout aussi excitante». Pour la première fois, Christie’s a ainsi fait le pari de répartir ses ventes de printemps sur deux semaines, au lieu d’une traditionnellement. Une excroissance occasionnée par l’imposante collection Rockefeller, qui occupera seule la première semaine, à partir de mardi. Plus de 1.600 pièces, 6 ventes réparties sur 3 jours avec, en vedette, la «Fillette à la corbeille fleurie» de Picasso, estimée 100 millions de dollars, la collection de Peggy et David Rockefeller est estimée 600 millions de dollars au total.
Elle devrait battre sans difficulté le record pour une même collection établi en 2009 avec la vente Yves Saint Laurent et Pierre Bergé, qui avait atteint 484 millions de dollars. La totalité du produit de la vente ira à une série d’oeuvres de charité. En deuxième semaine, le plat de résistance sera à chercher chez Sotheby’s, qui proposera, le 14 mai, un «Nu couché» (1917) de Modigliani, évalué 150 millions de dollars, la plus haute estimation jamais annoncée pour une oeuvre aux enchères. Pour Simon Shaw, co-responsable de l’impressionnisme et de l’art moderne chez Sotheby’s, ce portrait, le plus grand tableau jamais peint par l’artiste italien (1,46 m sur 89 cm) fait partie d’une série qui a révolutionné l’art du nu en peinture, une oeuvre «discrètement radicale». Une synthèse des grands maîtres historiques du nu et de la jeune peinture du XXème siècle, mais aussi l’incarnation de l’émancipation de la femme, «maîtresse d’elle-même et assurée sexuellement», décrit Simon Shaw. En novembre 2015, à New York déjà, une autre toile de la série «Nu couché», plus petite, avait atteint 170,4 millions de dollars, le troisième prix le plus élevé atteint lors d’une vente aux enchères.
«Marché tiré par la qualité»
Au-delà de ce Modigliani d’exception, ces ventes de printemps sont un test pour le marché de l’art, avec une offre pléthorique, qui donne le vertige. «Si tout se passe bien, ce sera probablement la meilleure saison que Christie’s ait jamais connu», considère Loïc Gouzer. Des milliers de pièces, cinq oeuvres estimées 70 millions de dollars ou plus, dont un tableau de Malevich et une sculpture de Brancusi, la saison va tester la profondeur de ce nouveau marché de l’art mondialisé. «On a vu beaucoup de grandes oeuvres d’art aux enchères ces derniers temps, mais rien de tel», considère Simon Shaw, qui ne semble pas inquiet. «Nous avons vu (récemment) que le marché est tiré par la qualité», dit-il. «Et quand vous avez des oeuvres de première qualité, alors la demande existe, qui permet d’en absorber énormément.» «Cette saison, la grande question était de savoir si les collectionneurs nous confieraient ces oeuvres sachant qu’il y avait déjà Rockefeller», explique Loïc Gouzer. Mais, selon lui, loin de les faire douter, cette perspective les a, au contraire, motivés. Beaucoup d’entre eux «voulaient faire partie de cette vague qui porterait tout le monde». Après le remarquable coup marketing du «Salvator Mundi», la présentation de cette saison témoigne de l’émergence d’une nouvelle génération d’acheteurs, mondialisée, qui construisent leur collection différemment de leurs prédécesseurs. Tant chez Sotheby’s que chez Christie’s, les oeuvres ont ainsi été présentées, avant la vente, en mélangeant volontairement les époques. «Les vieilles catégories (impressionnistes, art moderne, après-guerre et contemporain) sont anachroniques aujourd’hui», fait valoir Simon Shaw. «Beaucoup de collectionneurs raisonnent en terme de qualité», dit-il.
«Ils veulent l’image, ce qu’il y a de meilleur, plutôt que collectionner une école ou une période particulières». Acquérir une pièce d’exception se fait par goût, pour investir, mais est aussi de plus en plus la concrétisation d’une réussite, d’un statut.