L’offensive des forces progouvernementales yéménites pour arracher la ville portuaire de Hodeida aux rebelles Houthis se transforme en guerre des rues menaçant la vie de centaines de milliers de civils, pris au piège par une «pluie» d’obus et de raids aériens. Cette cité située au bord de la mer Rouge est le point d’entrée des trois quarts des importations et de l’aide humanitaire internationale dans un pays menacé par la famine. Lancée en juin, l’offensive sur Hodeida, soutenue par une coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite, s’est intensifiée depuis le 1er novembre alors que Washington vient de mettre fin à son soutien militaire le plus concret à cette coalition en trois ans de conflit. Quelque 445.000 personnes ont quitté la ville de Hodeida depuis juin, selon l’ONU. La ville comptait 600.000 habitants. La Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, Michelle Bachelet, a exprimé son indignation face à l’»impact inacceptable» de l’escalade des hostilités à Hodeida sur une population yéménite «déjà traumatisée et affamée». Elle a exhorté la coalition, les rebelles Houthis «et tous ceux qui livrent des armes aux deux camps à prendre des mesures immédiates pour mettre un terme aux souffrances des civils au Yémen». Vendredi, les troupes loyalistes, soutenues par l’aviation de la coalition, ont repris aux Houthis l’Hôpital dit «du 22 Mai», le plus grand de la ville, dans l’est de Hodeida, selon des responsables militaires. Toujours dans ce secteur, de violents combats ont opposé samedi les forces progouvernementales aux rebelles près d’une route principale reliant Hodeida à la capitale Sanaa que contrôlent les Houthis, d’après les mêmes sources. «Le bruit des hélicoptères Apache, des tirs d’obus et des coups de feu ne s’arrête pas», a confié à l’AFP Lubna, une habitante préférant taire son nom de famille de peur de représailles. «Les Houthis ont recours à l’artillerie pour bombarder les troupes» loyalistes, a-t-elle ajouté par téléphone. Les avions de la coalition survolent la ville à basse altitude depuis jeudi, les rebelles tirent des missiles anti-aériens et des obus de mortier et de violents combats de rue font rage, selon le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’Homme. Au moins 23 civils ont été tués à Hodeida depuis le 24 octobre, mais le bilan pourrait être bien plus lourd, d’après la même source.
«Je vous en supplie»
La coordinatrice de Save the Children, Mariam Aldogani, jointe par téléphone à Hodeida, a décrit une «situation difficile (…) avec le bruit des accrochages de plus en plus proche» des zones résidentielles. «Nous entendons les avions et les échanges de tirs sans arrêt. Les rues sont désertes dans certains secteurs de la ville», a-t-elle ajouté. Les forces loyalistes progressent depuis le sud et l’est vers le port et se trouvent désormais à environ 3 km du principal bastion rebelle de la ville, appelé «7-Juillet», une zone ultra-sécurisée dans l’est de la ville. Leur avancée est cependant entravée par les nombreux snipers déployés par les rebelles ainsi que par les mines et les tranchées creusées à travers la ville, selon des sources militaires. La bataille menace les ravitaillements humanitaires et les aides sur lesquelles comptent des millions de Yéménites pour subsister, mettent en garde des ONG. Pour le Conseil norvégien pour les réfugiés, «il y a un très fort risque que davantage d’attaques aériennes ou terrestres coupent (…) la dernière voie de ravitaillement en produits alimentaires, essence et médicaments des quelque 20 millions de Yéménites qui dépendent des importations passant par Hodeida». «J’exhorte toutes les parties à arrêter la guerre. Pour sauver les enfants. Donnez-leur une chance de vivre, je vous en supplie», a écrit sur Twitter la représentante de l’Unicef au Yémen, Meritxell Relano. Depuis quatre ans, les forces loyalistes tentent de chasser les Houthis, soutenus par l’Iran, de vastes régions conquises surtout dans le nord et le centre du pays, dont Sanaa. Selon l’ONU, le conflit a fait près de 10.000 morts, dont plus de 2.200 enfants, depuis mars 2015, date de l’intervention au Yémen de la coalition sous commandement saoudien.
Désengagement de Washington
Cette coalition est de plus en plus critiquée par l’administration américaine, elle-même épinglée sur le plan intérieur pour son soutien à Ryad. Son intervention au Yémen est devenue encore plus controversée après le meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, imputé à de hauts responsables du royaume et qui a terni l’image de Ryad. Le Washington Post a fait état vendredi de la décision américaine de cesser de ravitailler en vol les avions de la coalition, mais Ryad a tenu à affirmer que cela avait été fait à sa demande. «Récemment, le royaume et la coalition ont accru leur capacité à mener indépendamment le ravitaillement en vol au Yémen», a indiqué l’agence de presse saoudienne SPA. L’information a vite été confirmée par le Pentagone. Mais pour Andreas Krieg, professeur au King’s College de Londres, qui rappelle qu’il s’agissait de l’aide opérationnelle américaine «la plus importante» à la coalition, celle-ci va se retrouver handicapée. «La coalition dispose, en théorie, de ses propres capacités de ravitaillement, mais le ravitaillement en vol est un exercice exigeant que ni les Saoudiens ni les Emiratis –autre pilier de la coalition– peuvent faire de façon efficace», selon lui. Dans ce contexte, la coalition a dit espérer «que les prochaines négociations sous l’égide de l’ONU dans un pays tiers conduiront à un règlement négocié» du conflit, a indiqué SPA. «Nous sommes tous concentrés sur le soutien à une résolution du conflit, menée par l’envoyé spécial de l’ONU Martin Griffith», a dit de son côté le secrétaire américain à la Défense, Jim Mattis.