Dans la nuit du 25 au 26 janvier 2019 à 4h du matin, trois hommes, masqués et capuche sur la tête, découpent à la disqueuse une porte du Bataclan. Il ne s’agit pas de n’importe quelle porte.
C’est celle qui ferme la sortie de secours de la salle de spectacle parisienne sur laquelle le street artiste Banksy a peint The Sad Young Girl, La Jeune Fille triste, une silhouette au regard sombre dessinée fin juin 2018. Un émouvant hommage aux 90 personnes tuées le 13 novembre 2015 au cours d’une série d’attaques terroristes à Paris et Saint-Denis, qui ont fait 130 morts au total.
Le cambriolage n’aura duré que quelques minutes. Les trois voleurs démontent la porte et l’emportent dans une camionnette dont la plaque d’immatriculation a été dissimulée, selon les images de vidéo, surveillance recueillies par les policiers du deuxième district de police judiciaire (2e DPJ) chargés des investigations. Les propriétaires sont sous le choc, mais la police est déjà au travail : « C’était une enquête importante pour eux, souligne une source proche de l’enquête qui raconte à l’AFP le déroulé des recherches. Certains avaient effectué les constatations au Bataclan lors des attentats.» Les premières pistes ont déjà repérés les numéros de portables des voleurs. Un travail sur la téléphonie fait «borner» plusieurs appels téléphoniques au Bataclan le soir du vol puis sur le trajet de la fourgonnette. la vidéo surveillance permet, quant à elle, de « tracer » le véhicule. L’écoute téléphonique fera le reste. Un an plus tard les gendarmes interpellent trois hommes. Ils sont suspectés de cambriolage dans un magasin de bricolage en Isère quelques jours avant le vol du Bataclan. Parmi les objets du larcin, une disqueuse. Interpellé, l’un des suspects se vante d’avoir participé à un vol à Paris. Les enquêteurs font alors le lien avec le vol de La Jeune Fille triste. Trois receleurs sont ensuite identifiés. Les enquêteurs apprennent ainsi que l’œuvre de Banksy a traversé la frontière avec l’Italie.
Elle est d’abord entreposée dans un hôtel de Tortoreto, sur la côte adriatique des Abruzzes, au nord de Pescara. Le propriétaire de l’établissement ne savait rien du paquet encombrant arrivé chez lui en octobre 2019. Il dit avoir été présenté à un certain Mehdi Meftah, l’un des receleurs présumés, quatre ans auparavant par une connaissance commune qui fait dans l’import-export de voitures entre la France et l’Italie. L’hôtel se lance en janvier dans des travaux et le volumineux larcin est transféré dans une ferme isolée de Sant’Omero, à une quinzaine de kilomètres dans l’intérieur des terres. Les enquêteurs savent où est la peinture sur porte mais veulent coincer les voleurs. Un imprévu va retarder l’opération : l’épidémie de coronavirus frappe l’Italie en cette fin d’hiver. Le coup de filet est stoppé en raison du confinement et des interdictions de circuler ordonnés par les autorités.
Trois mois d’attente avant de pouvoir agir. Le 10 juin, l’œuvre est saisie dans les Abruzzes lors d’une opération commune avec la police italienne. Le lendemain, le procureur italien présente triomphalement la porte et son dessin signé Banksy à la presse. Neuf personnes sont ensuite interpellées mais l’un des voleurs est toujours en fuite. Deux personnes ont été mises en examen et écrouées pour vol en bande organisée et quatre autres pour recel de vol en bande organisée. Dont Mehdi Meftah, un dandy de 39 ans, au physique de boxeur qui est le… créateur d’une collection de mode et qui se présente comme street-wear de luxe, de l’urban haute couture. Ses t-shirts sont vendus entre 300 et 700 euros pièce. Medhi Meftah, «autodidacte et grand consommateur de luxe» comme il se définit lui-même, est aujourd’hui soupçonné d’être le commanditaire du vol du Banksy. Selon ses complices, il voulait garder la porte pour une de ses maisons qu’il aménage. Une porte secrète d’une maison secrète ? À l’heure actuelle, porte de La Jeune Fille triste, remise à la France par les autorités italiennes, a été placée sous scellé et sous haute surveillance dans un commissariat parisien.
Ali El Hadj Tahar