Construits à Alger, avant l’Indépendance du pays, environ 1 800 immeubles imposent, aujourd’hui, restauration et réhabilitation. Et pour cause, une grande partie de ce bâti est gagnée par la vétusté et la dégradation, en raison des aléas de la nature et des changements du climat. Outre l’altération du paysage urbanistique de la Capitale, tout ce patrimoine architectural avec tout ce qu’il recèle comme jalons historiques, culturels et politiques, est voué à la disparition.
La menace qui pèse sur la vie des résidents n’est pas du reste, puisque les habitations risquent l’effondrement avec tous les périls que cela pourrait engendrer. En effet, la bande urbaine qui faisait la beauté du centre historique d’Alger mérite plus d’égards, à même de lui redonner son cachet d’antan. Les architectes-urbanistiques sont unanimes à établir ce constat, d’où justement la préoccupation majeure des pouvoirs publics, qui ont vu là une nécessité absolue de procéder à un entretien de ces immeubles qui composent, de surcroît, la «ville-vitrine» du pays. En effet, une virée à travers les ruelles principales de l’algérois, depuis la place des Martyrs jusqu’au Boulevard Larbi-Ben-M’hidi, permettra de constater que des opérations de réhabilitation des vieux bâtiments sont en cours. Toute cette étendue urbaine, chargée d’histoire traversée, mais surtout incarnée par les avenues Larbi-Ben-M’hidi, Zighoud-Youcef, Colonel-Amirouche, Krim-Belkacem et Didouche-Mourad, fait l’objet des mêmes travaux d’entretien et de réhabilitation. Tout un symbole architectural que renferme une telle cité urbaine, qu’il est temps de repenser à travers une politique architecturale devant la rétablir dans son statut originel et la projeter dans son avenir moderniste. Ces opérations s’inscrivent justement dans cette optique. Une démarche mise en œuvre par les autorités de la wilaya d’Alger, dans le cadre d’une nouvelle vision architecturale. Si, de prime abord, les travaux concernent prioritairement les principaux immeubles du centre historique de la Capitale, il n’en demeure pas moins que ce programme est projeté à l’horizon 2029. Ainsi, sur les 1 800 bâtiments invoqués plus haut, 600 nécessitent une restauration profonde, ce qui requiert des moyens financiers conséquents. Pour ce vaste chantier, 5 milliards de dinars ont été alloués par les pouvoirs publics à l’effet de procéder à des travaux de restauration touchant plusieurs communes du grand périmètre urbain de la Capitale. Il s’agit d’une première étape de ce projet qui consiste à la «sécurisation des habitations et la protection du patrimoine architectural», dont les travaux devant être achevés en 2029, comme l’a indiqué, à l’APS, Abdelkrim Bettache, président de l’APC d’Alger-Centre. Pourquoi la Capitale a-t-elle bénéficié d’un tel programme, lorsque l’on sait que le patrimoine national s’élève à 1,9 million de logements construits durant l’ère coloniale ? Pour répondre à cette question, il suffit de savoir qu’Alger, à elle seule, renferme 27% de ce patrimoine architectural sur un parc immobilier estimé à 7,2 millions d’unités habitables, selon des chiffres communiqués par le ministère de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Ville.
Zone urbaine à risque ?
Si dans un premier temps, la priorité de restauration du vieux bâti est accordée particulièrement au centre historique de la Capitale, c’est qu’il y a vraiment urgence, compte tenu de l’impératif imposé par une dégradation incessante du patrimoine architectural composant essentiellement des bâtiments abritant des institutions publiques, mais aussi des appartements à usage d’habitation. En effet, nombre de ces immeubles relevant des communes, situés au cœur d’Alger, construits à partir de 1842, selon le modèle architectural, dit «haussmannien», relatif à la vie et l’œuvre urbanistique de Georges-Eugène Haussmann, préfet de la Seine (France), sont en décrépitude avancée. Cette dégradation est perceptible sur les façades et les murs composant ces bâtiments gagnés par l’usure, après avoir été longtemps privés d’un minimum d’entretien et de réparation, encore moins de fortification, ce qui aurait pu constituer, d’ailleurs, un «rempart» à même de résister aux multiples agressions de la nature.D’ailleurs, les experts du domaine soulignent que ces immeubles nécessitent d’«avoir un carnet de santé et d’entretien», pour reprendre l’avis des architectes-urbanistes qui sont au fait de la situation urbanistique de la ville Alger, cités par l’APS. S’agissant de la mise en œuvre de ce plan de rénovation du vieux bâti, un expert, interrogé par l’APS, a expliqué la procédure qui consiste dans un premier temps à un travail d’analyse, suivi d’un diagnostic du bâtiment, et enfin établir une fiche qui sert à l’élaboration d’un «carnet de santé de ces structures urbaines», avant de déterminer un autre «carnet spécifique» là encore concernant les besoins en matière d’entretien et de réparation, a-t-il indiqué. Ce même spécialiste a précisé également que cette démarche reflète une politique qui conviendra de mener à long terme. En effet, il s’agit d’un plan global qui devra être opérationnel, non pas d’une façon conjoncturelle, mais périodiquement et d’une manière régulière. Ainsi, selon cet expert, il sera question de rénover la plomberie tous les 20 ans, l’électricité 15 ans, la peinture 10 ans et, enfin, les travaux de renouvellement de la boiserie 25 ans, a-t-il précisé.
Les experts décrient la démolition
Par ailleurs, ce vaste programme ne consiste pas en la seule réhabilitation et réparation des immeubles vétustes. D’autres structures urbaines, gravement atteintes par l’usure, vont devoir être tout simplement détruites et rasées. C’est ce qu’ont indiqué des architectes exerçant leur profession dans la ville d’Alger. Il s’agit de pas moins de cinq communes de la Capitale.
Cela concernera des immeubles vétustes et mal entretenus pendant longtemps identifiés dans les commune de Bab-el-Oued, Sidi- M’hamed, El-Madania, Hussein-Dey et enfin El-Harrach. Cela toucherait également d’autres cités urbaines, dont il sera question de raser des quartiers entiers. Sur ce registre, des habitations situées sur les hauteurs d’Alger, à El-Biar notamment devraient être effacées du paysage urbain. C’est du moins ce qu’a appris, à l’APS, Abdelhamid Boudaoud, président du Collège national des experts-architectes, qui regrette tout de même une démarche qu’il qualifie de «radicale», en appelant les pouvoirs publics à écouter les architectes algériens, et demander leur avis avant d’entreprendre une telle démarche. «Il faut arrêter l’hécatombe et désigner des experts-architectes, dont un millier exercent à travers le pays, et qui sont aptes à même d’établir un rapport sur l’état de santé de tous les vieux bâtiments, et suggérer des solutions par la suite, afin de sauver ce patrimoine de la démolition», a indiqué Boudaoud. En effet, les fortes pressions sur le logement semblent être à l’origine de la démarche des pouvoirs publics, qui sont animés à la fois par l’urgence de répondre à la demande des postulants à l’habitat, mais aussi à une volonté d’opérer une démarche visant à changer le visage urbain de la Capitale. En effet, les experts-architectes ne partagent pas forcément la vision des autorités. Ainsi, arguments, repères historiques et chiffres à l’appui, ils estiment qu’il est regrettable qu’un quartier, comme Belcourt, dont sa construction a été menée entre 1875 et 1880 par des entrepreneurs français, soit délaissé et abandonné, depuis des années. C’est le cas d’ailleurs d’autres villes-patrimoines, dont le bâti commence à tomber, comme un châteaux de cartes, telle que Bab-el-Oued, fondée à partir de 1838. D’autres quartiers situés à Bab-Azzoun, près de l’actuelle place des Martyrs, le boulevard près de la Grande-Poste qui donne sur la baie d’Alger, celui de Franz-Fanon en allant vers l’ex-rue de la Marine ont été bâtis début des années 1942, a-précisé le même spécialiste du domaine de l’architecture urbaine. Par ailleurs, s’agissant de la qualité des constructions faites durant la colonisation française, menées notamment par les architectes tels que Tuillier et Pouillon (français, ndlr) dans l’Algérois, les experts déplorent ce qu’ils considèrent de «laboratoire» du fait que de ces bâtisseurs manquent d’expérience, à tel point qu’ils se sont essayés à cet art, a-t-on indiqué. À ce titre, ils ont donné l’exemple le plus concret, notamment la quartier d’El-Madania.
Des lenteurs dans les travaux
Lancés en grande pompe depuis février 2014, les travaux de restauration et de réhabilitation des vieux immeubles d’Alger-Centre accusent du retard dans l’achèvement des opérations. Et pour cause, de nombreuses contraintes techniques ont été à l’origine des blocages. Ainsi, il été question de rénover 792 bâtis vétustes à usage d’habitation, à l’arrêt actuellement. Ils devraient être relancés après l’installation des réseaux, électrique et téléphonique, qui se trouvent dans les conduits souterrains, indiquent à l’APS des entreprises en charge des travaux. Techniquement, il s’agit de travaux d’enfouissement de lignes électriques, de réaménagement des trottoirs, la remise en marche de l’éclairage public etc., le tout pour une enveloppe financière de 1,393 milliard de dinars.
Farid Guellil