Au-delà de la problématique du stress hydrique qui reste une question géopolitique, globale posée sur le long terme, l’Algérie dispose de capacités de production de l’eau à même de satisfaire toute la population. Ceci dit, le citoyen algérien consomme quotidiennement une moyenne de 180 litres d’eau potable. Une quantité, soit, au dessus de la norme de pays européens (80-100 litres/jour). Malgré cette abondance en eau, qui devrait tout de même être dépensée avec rationalité pour répondre aux défis de demain, des habitants de plusieurs cités urbaines et villages du pays souffrent de pénuries persistantes, en ces temps des grandes chaleurs surtout.
Le scénario des deux jours de l’Aïd dernier, lors desquels plusieurs régions du pays, Alger la capitale y compris, ont subi une pénurie subite en matière de distribution, laisse place à bien des interrogations : Pourquoi ces perturbations ? Des défaillances dans la distribution ? Une coupure volontaire ? Si tel était le cas pourquoi et à cause de quoi a-t-on décidé de fermer les vannes ? Qui en étaient encore responsables ? Autant de questions auxquelles, à travers ce travail d’investigation, nous avons tenté d’éclairer les zones d’ombres de cette problématique.
Les sanctions s’abattent sur les responsables locaux
C’est d’autant plus que les désagréments encourus par la population sont inquiétants que les pénuries d’eau ont suscité une vague de colère chez les citoyens. À mesurer le niveau de l’impact d’une absence de l’eau chez les ménages, la réaction célère des ministres de l’Intérieur, Salah Eddine Dahmoun, et des Ressources en Eau, Ali Hammam. Récemment, ils ont été chargés d’une opération d’évaluation, afin de déterminer les responsabilités quant aux perturbations enregistrées en matière d’alimentation en eau potable au niveau de certaines wilayas. En résultats, il est attendu de présenter des suggestions concrètes et pratiques pour mettre fin aux souffrances des populations en matière de pénurie en eau. Et ce sont les responsables locaux de l’Algérienne des eaux qui en payent le prix de «défaillances» dans la gestion de la distribution du liquide vital. À Bouira, Médéa, M’sila, Bordj Bou-Arréridj et Sétif, des responsables de l’ADE sont limogés. C’est dire la panique qui s’est emparée des responsables devant la «gravité» du problème, à tel titre que des rumeurs donnaient le limogeage du directeur de la SEAAL (Société des eaux et de l’assainissement d’Alger) à Tipasa, avant que la société ne démente l’information.
Le problème de distribution de l’eau a-t-il pour autant été réglé ? Autrement, se trouve-t-il ailleurs ? L’année passée, on s’en souvient, une pénurie de l’eau dans les ménages a été suivi d’un effet aussi gravissime que l’épidémie du choléra, que l’on croyait alors révolue. Cette année encore, une polémique sur la qualité de l’eau, après la diffusion, sur la Toile, d’un supposé test de laboratoire sur l’eau du robinet, en rajoute une couche au problème et suscite l’inquiétude des citoyens.
À tous ses soucis, Le Courrier d’Algérie a tenté de trouver des réponses auprès des responsables au niveau des entreprises et agences impliquées directement dans la distribution de l’eau.
Panique générale chez la SEAAL
À Alger et à Tipasa, deux wilayas qui ont connu une perturbation en eau potable durant les deux jours de l’Aïd El Adha, on appréhende d’autres pénuries d’autant que l’été est encore devant nous. Chez la SEAAL, on incombe le problème de pénurie à un pic de consommation enregistré à la veille de cette fête religieuse. Prise au dépourvu par les quantités importantes consommées auparavant, la SEAAL procède à des coupes dans la distribution de l’eau à Alger pour transférer une partie vers la wilaya de Tipasa. Et pourquoi faire ? Sinon, comment priver une partie au détriment d’une autre ? À ces questions, le responsable de la distribution chez cette société explique : «La SEAAL prépare la saison estivale une année à l’avance, avec des bilans détaillés de l’année précédente, et un plan d’action d’amélioration pour préparer la prochaine. Tous nos réservoirs à Alger et Tipasa ont été pleins pour cette période, mais il ne faut pas oublier qu’une fois le réseau se vide, il sera très difficile pour le remplir ce qui prendra quelques jours».
Autrement, les perturbations de l’eau, qui vient avant de repartir, durant les deux jours, et même la veille dans certaines régions (comme à Bouira), est due au temps d’arrêt observé lors de l’opération de remplissage des réservoirs.
D’autre part, des cumuls de consommation enregistrés durant le mois de Ramadhan et les deux fêtes religieuses qui ont suivi ainsi que les vacances d’été, ont constitué un véritable casse-tête à résoudre pour la SEAAL. Selon ce responsable, «le plan de consommation change durant le mois de Ramadhan. Le citoyen consomme plus d’eau dans la nuit que dans la journée. Et par rapport à cela, nous devons caler toutes nos installations. Ce qui n’est pas facile vu que nous avons des zones « rubidées» et d’autres « mudelées ». Donc tous ces critères doivent être pris en considération pour faire face au pic de consommation », a indiqué Mohamed Boukhalfa, responsable de la distribution de la SEAAL.
Pénurie constatée durant l’Aïd el Adha
Pour ce qui est de la période de l’Aïd, Mohamed Boukhalfa a fait savoir que « les deux jours de l’Aïd el Adha est une particularité que l’entreprise a vécu depuis au moins une douzaines d’année », indiquant que « la consommation est extraordinaire puisque une quantité d’eau importante sera versée pendant deux et trois heures, soit durant l’abatage des bêtes», s’est-il expliqué au sujet de la pénurie qui a privé plusieurs ménages de l’eau durant les deux jours de la fête de l’Aïd dernier.
Toutefois, le même responsable ne croit pas à une large pénurie. «Cette année, pour le premier jour de l’Aïd, on a eu 5 000 réclamations contre plus de 6 000 en 2018. Par contre, au deuxième jour, cette année, on a enregistré plus de 3 000 réclamations contre 1 500 en 2018. Cela requiert qu’on n’ait pas pu restituer complètement les niveaux des réservoirs. Aujourd’hui, si cette situation persiste on peut dire que les années prochaines on aurait des soucis», explique encore Boukhalfa. Qu’est ce qu’il y a lieu de faire pour éviter des pénuries à l’avenir ? « Pour réussir cette opération ; la SEAAL, en relation avec l’ADE et les autorités locales d’Alger et de Tipasa, a mis en place, dix jours avant l’Aïd el Adha, une cellule de surveillance pour le contrôle de l’opération d’approvisionnement de l’eau. Aussi, dans 14 centres de SEAAL, une équipe de permanence a été mobilisée pour intervenir en cas d’un incident éventuel. Des ressources humaines, matérielles sont déployées pour identifier et diagnostiquer la nature des pannes».
En 2018, rappelons-le, d’importantes perturbations ont été également enregistrées dans la distribution d’eau. Le problème a touché la zone Est de la wilaya d’Alger. La SEAAL a-t-elle pu tenir compte de ce souci qui aurait pu être évité en 2019 ? «Nous avons mis en place un plan d’action pour résoudre le problème qui a touché aussi bien la distribution, la production et la rénovation du réseau. Alors que cette année, aucun problème n’a été signalé dans cette zone», répond le même responsable.
Pour ce qui est des perturbations qui ont provoqué la coupure d’eau, Boukhalfa assure que « cette année, les principales perturbations ont eu lieu au niveau de la zone Ouest de la wilaya d’Alger, notamment à Chéraga, El achour et Douira.»
Trois jours pour réparer une fuite d’eau
Sur les retards pris dans les réparations de fuites de l’eau potable, qui ne sont pas peu nombreuses à y être signalées, faut-il encore savoir que cela prend trois jours pour que le problème soit résolu par les services de la SEAAL. «Chaque activité possède ces propres indicateurs», poursuit-il, «la moyenne d’intervention de la SEAAL est estimée en général à trois jours, comme il y a des fuites sur lequelles nous intervenons dans l’heure qui suit.» Ajoutant « il y a des fuites qui durent entre une semaine et dix jours parce qu’elles ne sont pas signalées, mais on intervient sur ça. Vous savez, depuis plusieurs années, on répare entre 25 000 et 30 000 fuites par an. Aussi, on renouvelle entre 10 000 et 15 000 branchements par an. Concernant les conduites, on procède à renouveler une distance de 80 km par an». S’agissant des réseaux en pression, le même responsable indique qu’« une distance estimée à 100 km est renouvelée chaque année. On joue sur le débit pour distribuer la pression qu’il faut au client », avait-il soutenu. « Au cours des travaux, la distribution de l’eau sera interrompu pour éviter tous désagréments, ce qui provoquera par la suite une coupure d’eau qui est justifiée. D’ailleurs, nous informons le client souvent 48 heures avant.» Questionné, par ailleurs, sur la nature des pannes enregistrées, Mohamed Boukhalfa dira que « la plupart des fuites sont plutôt enregistrées, au niveau des nouvelles cités et lotissements que dans les anciens réseaux. »
Med Wali