Kalsoum a rencontré Yousuf dans le vrombissement incessant d’une usine de textile au Pakistan. Ils se sont aimés, se sont mariés. Seul hic, elle est musulmane et lui chrétien, ce qui leur a valu menaces de mort, exil et répudiation. Dans ce pays où les minorités chrétienne et hindoue sont noyées dans la vaste majorité musulmane, les deux tourtereaux se sont mariés par amour et hors de leur culte d’origine, défiant doublement la coutume des unions choisies par la famille. Et si la loi permet les unions interconfessionnelles, elle n’autorise pas à une femme musulmane d’épouser un non musulman, et ceux qui abjurent l’islam pour une autre religion peuvent être condamnés à mort pour apostasie. C’est dire si Kalsoum et Yousuf ont été mis à l’épreuve, surtout après qu’elle eut choisi de se convertir au christianisme, séduite tant par l’homme que par ses arguments dans leurs longues discussions religieuses. Un acte d’amour et de foi qu’elle cache encore à sa famille, même après plus de dix ans de mariage et trois enfants. « Juste avant de mourir, ma mère m’a demandé de quitter mon mari», raconte Kalsoum, assise sur un lit avec mari et enfants dans leur modeste appartement d’une ville de l’Est du Pakistan, non précisée pour raisons de sécurité. «La vie après le mariage était terrible. Nous avons dû nous cacher car la famille et la communauté menaçaient de nous tuer», se rappelle Kalsoum, petite femme aux grands yeux marrons qui approche la trentaine.
«Ils voulaient me tuer»
Le couple se réfugie alors dans la capitale Islamabad, à plusieurs centaines de kilomètres au Nord, où il reste un an et donne naissance à son premier enfant. Ils reviennent ensuite dans leur ville de l’Est, en espérant que les tensions nées de leur union se soient dissipées. Erreur: Yousuf y est kidnappé par quatre islamistes qui l’emmènent à plusieurs heures de route, dans un endroit désert. «Ils voulaient me tuer», dit-il, «mais ils m’ont relâché au bout de quelques jours, une fois que je leur ai expliqué que je n’avais pas forcé ma femme à m’épouser, qu’elle l’avait choisi». Le couple dit vivre aujourd’hui au sein d’une communauté qui les respecte. Mais ils «peinent à garder un travail», explique Yousuf, car dès que leurs patrons ont vent de leur histoire, ils les licencient.
Il n’existe pas de statistiques officielles sur ces unions inter-religieuses au «pays des purs», nation de 180 millions d’âmes forgée sur plusieurs principes, dont celui de la défense de l’islam. Naveed Walter, président de l’association Human rights focus Pakistan (HRFP), les estime à 10.000, ces quatre dernières années, en soulignant qu’elles restent un tabou potentiellement incendiaire. Au Pakistan, des centaines de jeunes garçons et filles sont tués chaque année par des membres de leur famille pour s’être engagés dans une histoire d’amour non approuvée par leur clan. Et le danger est encore plus grand quand l’élu(e) est d’une religion différente. «Les gens vivent côte à côté, ils ont des amis de confessions différentes, mais lorsqu’un problème lié à la religion surgit, ils deviennent furieux» et vont jusqu’à «s’attaquer à une communauté entière, à brûler leurs maisons», constate M. Walter.
«On leur avait volé leur honneur»
Et même ceux qui se convertissent à l’islam majoritaire peuvent subir un retour de bâton. Dans cette même région de l’Est pakistanais vit Sana, une institutrice tombée amoureuse de Salman en 2006, lorsque ce caméraman musulman est venu tourner un reportage sur des festivités dans la communauté chrétienne de la jeune fille. Cette dernière, fascinée par l’islam depuis sa jeunesse passée dans un quartier musulman, choisit sans hésiter de s’y convertir.
Mais Sana et Salman ont beau se marier dans une autre ville pour éviter les ragots, la lune de miel est de courte durée. «A peine rentrés chez nous, nos familles ont voulu nous tuer. Elles avaient le sentiment qu’on leur avait volé leur honneur et leur fierté», se rappelle Salman. «Nous étions menacés à la fois par les chrétiens et les musulmans», souffle Sana, son poupon de deux ans dans les bras. Le couple fuit sa ville pendant six mois, puis revient, espérant voir les choses apaisées. Peine perdue: leurs familles refusent toujours de bénir leur union. Sana et Salman refont leur vie sans le traditionnel soutien familial, dans un appartement exigu. «Nous avons réussi à nous installer, mais qu’est-ce que ça été terrible et pénible!», soupire Salman. Ces épreuves laissent chez certains des traces indélébiles. Nadia, une brindille de 19 ans, est tombée amoureuse de Shamaun Anwar, artisan en broderie chrétien de 24 ans qui lui souriait à chaque fois dans la rue. Mais sa famille l’a forcée à se marier à un de ses cousins. Nadia a refusé d’emménager avec lui, provoquant la colère des siens qui ont commencé à la battre. Elle a finalement réussi à divorcer et à épouser Shamaun, après avoir abandonné l’islam pour le christianisme. «Et maintenant, j’ai encore plus peur car je suis une convertie», explique-t-elle à l’AFP en larmes. Certains militants des droits de l’homme, comme l’avocat Akram Bhatti, réclament l’introduction dans le code civil pakistanais, comme en Inde, d’un amendement permettant aux époux de garder une religion autre que celle de leur mariage, pour apaiser les tensions autour des ces unions. Mais d’autres sont plus pessimistes sur l’adoption de telles réformes dans ce pays en proie depuis 30 ans à une montée de l’extrémisme musulman souvent hostile aux minorités.