Saïda, la capitale du Sud libanais, a vibré samedi soir au son des notes et des mots de Marcel Khalifa, figure emblématique de la chanson engagée arabe. Dans un décor baigné par la lumière d’un clair de lune et le fracas des vagues, l’artiste a livré un concert qu’il a voulu être une « victoire sur la mort », un acte de résistance culturelle face à la machine de guerre sioniste.
Abandonnant le traditionnel foulard bleu qu’il arborait depuis des années, Khalifé et ses musiciens étaient vêtus de noir, comme pour marquer le deuil des peuples meurtris, mais aussi la gravité de l’heure. Sur la scène dressée près de la forteresse maritime de Saïda, environ 2 200 spectateurs de tous âges se sont rassemblés, parmi lesquels vingt Palestiniens venus spécialement de Ghaza, certains mutilés ou en fauteuil roulant, témoins vivants de plus de deux années de guerre implacable menée par l’entité sioniste. Dès l’ouverture avec le poignant « Hymne aux morts », l’atmosphère s’est chargée d’émotion. Khalifa, fidèle aux poèmes de Mahmoud Darwich, a enchaîné chansons patriotiques, pièces instrumentales et mélodies soufies, tissant un fil entre douleur et espoir. « Chaque note, chaque poème, chaque chanson est aujourd’hui un grand soleil qui nous rend l’amour, la dignité et la liberté », a-t-il déclaré, affirmant que l’art peut encore sauver des vies, même dans ce temps « criminel » dominé par la guerre et la destruction. La soirée a été ponctuée d’hommages : aux habitants de Ghaza, aux victimes de l’explosion du port de Beyrouth en 2020, et au poète Darwich, disparu il y a 17 ans jour pour jour. Le public a repris en chœur « Rita et le fusil » et « Debout, je marche », hymnes intemporels de la résistance, avant de réclamer « Je t’ai choisie, ma patrie », chanté à l’unisson. Le moment le plus saisissant fut l’arrivée de bateaux de pêcheurs de Saïda, drapeaux libanais flottant au vent, tandis que résonnait « Ya Bahriyeh Heïla Heïla ». Cette chanson, interprétée pour la première fois par Khalifé dans les années 1970 à Saïda, rend hommage aux marins et au militant arabe connu sous le nom de « Ma’ruf de la forteresse », figure historique tombée sous les balles lors d’une manifestation de pêcheurs en 1975. Sur scène, Khalifé était entouré de onze musiciens et d’un chœur de huit voix.
Son fils Rami a offert au piano un hommage musical à l’icône libanaise récemment disparue, Ziad Rahbani, et a dédié une composition personnelle aux victimes du port de Beyrouth, décrivant en notes un tableau de ruines et de mémoire. L’événement prenait aussi une dimension politique : organisé alors que l’entité sioniste annonce sa volonté de réoccuper totalement Ghaza, il intervenait dans une ville marquée par la récente guerre de l’automne 2024 entre le Liban et l’armée israélienne. Dans ses mots comme dans sa musique, Khalifa a relié le destin du Sud libanais à celui de la Palestine : « Nous offrons ce dont les gens ont besoin : un peu d’espoir, même si l’espoir est impossible. » La soirée s’est achevée comme elle avait commencé : par un cri de vie face à la mort. Marcel Khalifé, retournant à ses racines musicales dans cette ville où il chanta pour la première fois en 1976, a rappelé que la chanson peut être un rempart, une arme douce mais puissante. De Saïda à Ghaza, son message est clair : la culture est un acte de résistance, et l’art, un souffle qui défie l’oubli et la barbarie.
M.Seghilani