Recep Tayyip Erdogan est le premier président en visite officielle en Algérie alors que notre pays s’engage dans une voie qui aspire à solutionner les problèmes internes tout en soignant son image à l’extérieur. Dans cette stratégie où la diplomatie est intimement liée aux autres secteurs, qu’ils soient économiques, sociaux ou politiques, la Présidence de la République semble agir selon une stratégie très fine. C’est donc un chef d’État d’un pays musulman qui sera le premier invité d’El Mouradia. Tout un symbole, si on le compare à la saga des Crans Montana…
Cependant, il ne faut pas voir la visite d’Erdogan sous ce seul angle, même s’il est symbolique, car elle est liée à d’innombrables dossiers, essentiellement d’ordre économique et commercial, sans oublier l’affaire libyenne. Le Président turc a eu trois visites en Algérie (juin 2013, novembre 2014 et février 2018), ce qui montre l’importance de notre pays pour lui. Il faut rappeler que la montée d’Erdogan et celle de son pays coïncident avec le Printemps arabe, en 2011, suite à son ingérence en Libye et surtout en Syrie où il a carrément pris position contre le peuple et l’État syriens.
En vingt ans, la Turquie est passée d’un État sans envergure à une puissance économique classée au 20e rang mondial. En à peine deux décennies, elle a laissé loin derrière la crise économique qu’elle a traversée au début 2000, pour s’imposer un rythme de croissance régulier et soutenu au point où beaucoup l’assimilent à un nouveau tigre, et d’autres à une économie émergente. Ce sont ces réussites économiques qui font d’Erdogan une icône pour de nombreux islamistes, en Algérie ou ailleurs, en dépit des dérives en matière de droits de l’Homme, notamment depuis la tentative de coup d’État de 2016.
L’Algérie a été, et reste, une étape fondamentale de la pénétration turque en Afrique et dans le monde arabe, vers lesquels la Turquie a décidé de réorienter sa stratégie depuis le report de son intégration à l’Union européenne. Aujourd’hui, notre pays est son premier partenaire en Afrique. Certes, la balance commerciale est à l’avantage de l’Algérie puisque la Turquie n’est que notre quatrième client, avec 1,56 md USD, loin derrière le premier, la France (avec 2,660 mds de dollars), l’Italie, l’Espagne, les États-Unis et la Grande Bretagne. Cependant, même si la Turquie n’est qu’au 6e ou 7e rang en tant que fournisseur, elle reçoit des milliers de touristes algériens et dispose dans notre pays d’innombrables marchés dans des domaines divers, notamment le bâtiment. Il y a plus de 1000 entreprises turques en Algérie, qui comptent parmi les plus grands investisseurs étrangers dans notre pays avec un total de 3,5 milliards de dollars.
M. Erdogan est donc un habitué d’El Mouradia mais la donne semble vouloir changer avec le président Tebboune qui veut un partenariat d’égal à égal et « win-win » entre les deux pays, comme avec tous les autres. Et si les questions économiques, commerciales, culturelles et autres appellent à une valorisation et une mise à jour, la crise libyenne mérite, elle aussi, une mise au point. Cette question est un test auquel Ankara va être soumise. L’histoire commune qui lie les deux pays ̶ avec l’épisode ottoman allant de 1518 à 1830 ̶ n’interdit pas à M. Tebboune d’être pragmatique, en voulant transformer l’Algérie de pays marginal en pays pivot. Pour prouver sa bonne volonté, M. Erdogan vient à Alger accompagné de plus de 100 hommes d’affaires (200 en 2018) et un projet de forum d’affaires algéro-turc afin de donner « une nouvelle impulsion » au partenariat économique dans les domaines « de l’industrie, du tourisme, de l’agriculture et des énergies renouvelables ». Il prouve qu’il sait l’importance d’avoir le plus grand pays d’Afrique comme allié. Cela compte beaucoup pour l’Algérie.
A.E.T.