«Pourquoi la grève des hôtesses et stewards n’a durée qu’une journée (15/06/2011) et celle des postiers moins d’une semaine (6 jours), alors que celle des médecins résidents, contre toute attente, entame son 4ème mois ? » Médecin de profession, chercheur en sciences médicales et journaliste contributeur dans plusieurs titres de la presse nationale et dans les revues spécialisées internationales, le Professeur Abdelouahab Bengounia est un observateur attentif à la Santé publique depuis une bonne quarantaine d’années. «Les médecins résidents sont au 4ème mois de leur nouveau mouvement de protestation amorcé le 14 novembre 2017. Jusqu’à quand ? ». La question posée exige une réponse, et Bengounia propose de nous en donner quelques repères pour comprendre le mot de la fin d’un secteur devenu coupe-gorge pour les ministres qui s’y sont succédés. Comme les raisons d’un pourrissement semblent s’imbriquer les unes aux autres et remonter un peu dans le temps, il est utile alors de dire toute la légèreté déconcertante avec laquelle ont été gérées toutes ces grèves, ce qui témoigne du peu d’intérêt accordé à la santé publique en Algérie. « Outre la souffrance humaine, il est certain que, de nombreux citoyens, surtout dans l’Algérie profonde, ont perdu leur vie ou gardé des séquelles indélébiles, suite à ces absences répétées et prolongées de médecins, souvent concomitantes à des pénuries de médicaments (stock de sécurité nul au 21 mars 2004 pour 271 produits, selon le rapport n°897/DG/PCH/2004). Est-il juste, qu’aucun des responsables de ces calamités n’ait été identifié et encore moins inquiété ?
Anormalement, dangereusement longue…
« Alors que la grève des hôtesses et stewards n’ait duré qu’une journée (15/06/2011) et celle des postiers moins d’une semaine (6 jours) ; celle des médecins résidents, contre toute attente, entame son 4ème mois ». Pourquoi ? La question a le mérite d’être sérieuse, et exige de ce fait une réponse. «Pourtant, dit Bengounia, il est évident que cette grève durera encore, et que les protestations perdureront toujours dans ce secteur, vu les dispositions des «négociateurs» du MSPRH. Quelle crédibilité peut encore rester chez ces derniers qui, face aux différents syndicats, ont toujours fait preuve d’impéritie notoire voire d’incompétence, au point de recourir, à chaque fois, à l’autorité judiciaire pour mettre fin à des revendications légitimes et accessibles ? »
Les premières dérives du secteur de la Santé
«Il y a 52 ans, une ordonnance datée du 4 avril 1966, instaura l’obligation d’exercer à mi-temps dans les structures de Santé publique pour les médecins, pharmaciens et autres praticiens du secteur privé. Elle avait été bien acceptée, et appliquée de bon cœur, car, le contexte politique, historique, socio-économique et psychologique, y étaient favorables.
«Il y a 31 ans, les réformes entamées à partir de 1988, en vue d’une libéralisation des différents secteurs économiques touchèrent le secteur de la Santé. Les premières mesures adoptées en « faveur» de la Santé, furent l’autorisation d’ouverture des cliniques privées, la suppression du service civil (instauré depuis 5 années par la loi n°84-10 du 11 février 1984) et du zoning. On assista alors à une hémorragie importante de spécialistes hospitalo-universitaires, due autant à la dégradation des conditions de travail dans le secteur public, qu’aux perspectives de leur enrichissement rapide dans le secteur privé. De même, des régions entières, parmi les plus déshéritées, se retrouvèrent dépourvues de spécialistes algériens, qui sont allés s’installer à titre privé dans les grandes villes ou même ont carrément émigré vers d’autres pays. Mais, cette situation grave, n’avait pas fait revenir les décideurs de l’époque sur leur choix de libéralisation de l’économie nationale. Ils avaient opté pour l’économie de marché, pour la loi de l’offre et de la demande, ils ne pouvaient qu’en assumer les conséquences. Est-il possible, après 30 années, de revenir sur l’ouverture des cliniques privées, cliniques protégées aujourd’hui par le principe du «droit acquis» ? «Il y a 19 ans, après avoir été abandonné, sans texte et sans que personne ne s’en soucie durant plus de 10 années (1988/1999), le service civil avait été remis sur selle par un décret exécutif (n°99-176 du 2 août 1999, modifié par le décret exécutif n°06-419 du 22 novembre 2006). Si durant 12 années (1999/2011), personne n’a remis en question sa réinstauration ou réclamé sa suppression, c’est tant mieux pour ses partisans. Mais, à partir du moment où les médecins concernés réclament sa suppression, c’est leur droit de demander l’égalité avec leurs concitoyens, et les pouvoirs publics n’ont de faculté que d’accéder à ce droit constitutionnel universel : « Les institutions ont pour finalité d’assurer l’égalité en droits et devoirs de tous les citoyens et citoyennes en supprimant les obstacles qui entravent l’épanouissement de la personne humaine et empêchent la participation effective de tous, à la vie politique, économique, sociale et culturelle » (Art.34, Constitution de 2016).
Dépasser l’impasse
Pour Bengounia, le développement extraordinaire des moyens de télécommunications (Internet, télémédecine), la réorganisation du système national de Santé en SS et SSU (1 secteur sanitaire par daïra), la participation des collectivités locales au financement et à la gestion décentralisée de ces structures, le choix judicieux des hommes, le contrôle, l’évaluation, feront que chaque SS pourra délibérément publier ses offres et ses demandes, négocier directement ses mesures incitatives (plateau technique, salaire conséquent, logement cessible) avec n’importe quel spécialiste, et même aspirer, voire devenir, SSU. «Nous aurons alors, enfin, un secteur public et un secteur privé complémentaires et compétitifs dans l’intérêt du malade. Le service civil, les affectations arbitraires, et le despotisme démesuré de l’administration centrale, ne seront plus alors qu’un mauvais souvenir».
«Ce n’est pas le service civil qui est la plus inaccessible des revendications des médecins résidents ; c’est certainement l’amélioration de la qualité et des conditions de leur formation, qui restent un sérieux problème ! Comme son nom l’indique, le médecin résident doit résider dans l’enceinte hospitalière, pour être au service du malade, 24h/24, et acquérir, au mieux, l’art médical, auprès de ses aînés. Malheureusement, chez nous, vu l’énorme déficit en infrastructures, il perd la majorité de son temps dans les transports publics.
« Nos 4 CHU de la capitale, la wilaya qui assure la formation médicale la plus importante au niveau national, sont, à ce jour, hébergés dans des structures vétustes héritées de l’époque coloniale (Mustapha Pacha, Parnet, Maillot et l’Ex sanatorium de Beni Messous), structures qui ne répondent plus ni à nos besoins de soins ni à ceux de la formation ! De plus, l’objectif qualitatif de cette formation a été rendu utopique par les sureffectifs et la déstabilisation des services HU suite au « renvoi » irrégulier et inconstitutionnel de 460 professeurs chefs de services HU le 31 octobre 2013, pour avoir atteint l’âge fatidique de 70 ans ! Même à Alger, en 2018, des services HU sont gérés sans rangs magistraux!
F.O.