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Lakhdar Bouregâa chef militaire de la wilaya IV Historique évoque au « Forum du Courrier d’Algérie » : «L’Algérie a connu son Sabra et Chatila en mode français ! »

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Lakhdar Bouregâa est né le 15 Mars 1933 à El-Omaria, dans la wilaya de Médéa. Commandant de l’ALN. Il rejoint le maquis au mois de Mars 1956 dans la Wilaya IV. En Septembre 1956, il commande la Katiba Zoubiria. En Mai 1959, il est désigné Chef de Région et commandant militaire de la Wilaya IV.

La résurgence du mémoriel entre l’Algérie et la France, les tiraillements entre les chefs ou les acteurs de la Révolution et le replacement dans les cases qu’il faut de certains points de l’histoire algérienne ont été autant de points abordés avec cet acteur de la Révolution.
D’emblée, Bouregaâ plante le décor et place la barre haut : «Nous vivons une époque marquée par les divergences politiques et les polémiques contradictoires. C’est dans l’air du temps. Et c’est dans l’air du temps aussi de voir le courage proféré à partir d’une tribune politique, partisane ou médiatique, devenir effronterie, de voir la couardise devenir sagesse et clairvoyance, et l’hypocrisie devenir intelligence. Tu as beau leur dire que ce que vous faites s’appelle forfaiture, ils te répondront que c’est de la politique».
Avant d’aborder les questions de l’heure, comme les questions historiques, Bouregâa se voulait perspicace, parlant sur la base d’une vue d’ensemble, revue et corrigée, mise à jour, et qui ne s’est pas arrêtée à 1962.

Jeu de stratégie des puissances
«Les gens parlent avec la plus profonde hypocrisie de choses essentielles ; il n’est pas vain de le leur dire et de leur faire savoir leur état de félonie. Bien sûr, tout est dit au nom de la liberté, de la démocratie et des droits de l’Homme. Tout est dit au nom de l’indépendance ; mais je pose la question : indépendant de qui et de quoi ? On ne peut sérieusement parler aujourd’hui d’indépendance dans l’absolu. Nous vivons dans un monde injuste et dominateur, qui exige des alliances, des fédérations, des groupes, comme ont fait les pays d’Europe. «En Afrique, ou au Maghreb, les choses ne fonctionnent pas comme cela, alors que le couloir allant de Marrakech à l’Océan indien est éminemment ciblé. Nous sommes des pays ciblés. Les puissances du monde ont élaboré un agenda constitué de trois points majeurs concernant les pays dit d’Afrique du nord. Le premier est qu’aucun pays arabe ne doit avoir des relations solides et privilégiées avec un autre pays arabe. Sur ce point-là, elles semblent avoir réussi à 100%. Ce couloir on peut l’appeler « ceinture de sécurité de l’Europe». Or, quand vous êtes ciblés et menacés dans votre sécurité, parce que vous êtes implanté sur les plates-bandes stratégiques et énergétiques de ces puissances, pouvez-vous dire sérieusement que vous êtes totalement indépendant ? Évidemment non. Il était aussi planifié que ces pays maghrébins ne devaient à aucun moment être d’accord, ou édifier des stratégies de longue durée. Il fallait au contraire attiser les feux de la discorde et souffler aussi longtemps que possible sur les braises. Aussi, faut-il savoir par voie de conséquence, que cette boucle de sécurité a été déjà entamée. On a commencé par l’Irak, la Libye, la Syrie, le Yémen, et on arrive au Sahel. Vous êtes placés dans ce couloir stratégique.
Revenant à «l’histoire historique», celle qui tiraille encore les historiens et fait ses acteurs s’entre-déchirer, Bouregâa précise : «Les objectifs stratégiques de la Révolution de Novembre 1954 étaient trois : l’indépendance des pays du Maghreb, leur union, tant politique qu’économique, et enfin, la concrétisation de la justice sociale, celle-là même que vous appelez aujourd’hui démocratie».
Bouregâa raconte pleins de petites anecdotes sur la Révolution, précisant que ce sont les détails qui font qu’une histoire est belle ou non : «le charme de l’Histoire est dans les détails», dira-t-il. Un prélude pour dire que la Révolution a tenté les mêmes stratégies que l’ennemi, avec moins de bonheur dans certains cas, car n’ayant ni expérience ni logistique.
Il raconte l’histoire d’un certain Zizi Abdelkader, étudiant brillant que son père, employé dans l’administration coloniale a fait partir en France pour le sauver de l’armée française. Cet étudiant est devenu après l’indépendance un brillant mathématicien, chercheur talentueux et reconnu, membre de l’Institut français des Recherches stratégiques. En fin de carrière et mis à la retraite, il est revenu en Algérie il y a trois années, avec un volumineux travail sur les mathématiques modernes, en plusieurs tomes, qu’il voulait donner à un éditeur algérien gratuitement, juste pour faire sa part d’effort de reconstruction. Ni l’État, ni les maisons d’édition n’ont été preneurs de ce travail de qualité. En désespoir de cause, le chercheur est rentré chez lui, avec le ressentiment qu’on devine…»
Le clou du Forum semble être la remise en cause de la version officielle de la mort du colonel Amirouche et de Si El Haouès. Pour Lakhdar bouregaâ il faut restituer les choses dans leur contexte, au risque de brouiller les pistes pour les jeunes générations, avides de savoir et de connaitre les contours flous de la Révolution. Pour Bouregaâ, il faut d’abord parler des scissions qui caractérisaient les Aurès, cette région si importante pour la Révolution, et qui était fractionné entre deux clans de moudjahidine qui sont arrivés à brandir les armes les uns contre les autres. « On affirme impudemment et imprudemment que le colonel Amirouche et Si El Haouès étaient en route vers la Tunisie pour acheminer des armes vers l’Algérie. Rien de plus faux. On affirme aussi qu’ils voulaient que le Gouvernement provisoire reste en Tunisie. À l’époque on grinçaient des dents sur le convoiement des armes qui ne correspondait pas à ce que l’ALN souhaitait. On faisait la guerre à une armée française qui nous tirait dessus avec des armes françaises, et on voulait avoir les mêmes armes, pour pouvoir nous approvisionner en munitions des cadavres français qu’on pouvait récupérer. Cela est logique et coule de source. Or les armes qu’on recevait de l’étranger étaient en majorité non françaises. C’est dans ce contexte que le colonel Amirouche et Si El Haouès étaient partis en direction de l’Est, mais je le redis, pour atténuer les tensions entre les «frères-ennemis» dans les Aurès».
Bouregaâ raconte la triste anecdote d’une tentative d’infiltration dans le camp ennemi. Il s’agissait d’un jeune soldat plein de conviction qu’on avait laissé filer vers l’ennemi avec armes et bagages, pour mieux tromper les Français. « On n’avait pas encore maitrisé les ficelles des plans d’infiltration, mais la partie s’annonçait jouable.
Or ce jeune soldat, las d’avoir subi autant de vexations, subtilisa deux armes françaises et revint au maquis. J’étais absent et il n’y avait personne pour dire à la dechra ou nous campions que le soldat n’était pas un vendu mais un espion pour le compte de l’ALN. Ce qui devait arriver arriva et le jeune espion fut lamentablement tué par les autres soldats, qu’on n’avait pas mis dans le parfum de l’entreprise ». Concernant le GPRA, il affirme sans sourciller qu’il s’agit d’un Gouvernement qui n’a jamais été officiellement reconnu, ni par ses adversaires politiques et militaires, ni encore moins par les militaires en armes dans les wilayas opérationnelles : « Il avait fallu qu’un de nos soldats fouille les poches d’un capitaine français tué lors d’une bataille dans la wilaya IV pour qu’on lise sur un journal récent la proclamation d’un Gouvernement algérien provisoire, la liste nominative de ses responsables et la désignation d’un chef de la wilaya IV dans l’état-major de ce Gouvernement. D’ailleurs, même le chef désigné sans qu’il le sache en fût étonné. En fait, le Gouvernement provisoire ne jouissait pas de la reconnaissance voulue et qui lui aurait donné légitimité et crédibilité».
Concernant le mémoriel et les demandes françaises de reconnaitre les erreurs communes commises, ainsi que le pardon qu’on doit donner aux harkis, Bouregâa s’insurge : «Les Français ont des crimes de guerres imprescriptibles et impardonnables (exhibant des photos d’Algériens brulés au napalm). Regardez cette photo. C’est un fragment de scène d’horreur. 111 personnes, des femmes, des enfants, dont une fillette de huit mois, ont été tués de manière atroce, brulées au napalm. De quelles archives les Français veulent-ils parler ? L’Algérie a connu sa Sabra, sa Chatila et son Bir Yassine. S’ils veulent discuter du dossier mémoriel, ils doivent être encore être prêts à entendre des choses plus atroces commises en Algérie, plus atroces que les tortures et les assassinats, que les déplacements de millions de personnes, que les viols et les spoliations… »
O. Fayçal

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