La violence en Libye, qui dure depuis des mois, a pris une nouvelle dimension. Plus de cent morts en deux semaines d’affrontement, des combats qui s’intensifient près de Tripoli et à Benghazi, une menace de voir exploser un gigantesque dépôt de carburant aux portes de la capitale, sur fond de coupures d’eau, d’électricité et d’Internet, alors que se confirme l’absence d’autorité centrale et que les étrangers quittent le pays aussi vite qu’ils le peuvent. La Libye est entrée dans un conflit d’autant plus menaçant qu’il présente des dimensions multiples, mélangeant facteurs locaux et internationaux. Trois ans après la chute de Tripoli, en août 2011, le chaos promis par le Guide libyen, Mouammar Kadhafi (tué quelques semaines plus tard à Syrte), semble donc sur le point d’embraser la Libye. En 2011, après des mois de combats et une intervention de l’OTAN, avec frappes aériennes et appui clandestin aux rebelles, la capitale libyenne était tombée aux mains d’une coalition de brigades originaires de différentes villes. À présent, ces groupes se battent pour le contrôle de la capitale, alors que d’autres s’affrontent en Cyrénaïque, avec en arrière-fond la course pour le contrôle des ressources pétrolières, la percée ou l’anéantissement de groupes armés islamistes, et une lutte d’influence entre parrains financiers du Golfe (Emirats arabes unis, en particulier), avec pour résultat d’exposer le pays au risque d’explosion, comme la Somalie du début des années 1990, lorsque des rebelles alliés pour chasser Siad Barre avaient ensuite ravagé Mogadiscio et détruit les structures de l’État. C’est dire si le durcissement des combats aux portes sud de Tripoli, mais aussi dans Benghazi, à l’Est, représente une menace pour le pays. D’autant que d’autres régions, comme le Sud ou des zones proches de la capitale, où ne se déroulent pas actuellement de combats, sont aussi en proie à un émiettement des pouvoirs locaux. Les élections du 25 juin, à leur façon, ont constitué l’un des détonateurs de la situation actuelle. En jeu, c’est l’influence politique de la tendance islamiste. Mais les alliances vont bien au-delà, même si ce n’est en apparence que pour le contrôle de l’aéroport de Tripoli, que les combats ont éclaté le 13 juin. La brigade originaire de Zintan (une ville à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Tripoli, très active pendant la guerre anti-Kadhafi) tient toujours l’aéroport et résiste aux attaques de la brigade de Misrata (port de la côte, à l’est de Tripoli). Le site de l’aéroport est désormais gravement endommagé, tout comme les avions de ligne libyens qui n’ont pu être évacués in extremis vers Malte par des pilotes héroïques.
DES PÉNURIES D’ESSENCE À VENIR
Plus grave encore, un incendie s’est déclaré, le 27 juillet, dans les réservoirs de carburant de la société Brega (environ 6 millions de litres), dans le sud de la ville. L’explosion de ce stock d’hydrocarbures pourrait avoir des conséquences incalculables. Même si l’incendie est maîtrisé, les pénuries d’essence devraient devenir dramatiques.
Cette éventualité n’effraie pas les combattants de Zintan et Misrata. Ces deux brigades avaient pris part à l’assaut sur Tripoli d’août 2011. À la chute de la capitale, chaque groupe s’était emparé d’une partie des stocks d’armes colossaux du régime Kadhafi, et dispose donc à présent d’une puissance de feu capable de dévaster une partie de Tripoli. Dimanche, un tir de roquettes Grad sur une zone d’habitations du sud de la ville a tué un groupe de 23 travailleurs égyptiens.
RARES VOLS AU DÉPART DE L’AÉROPORT MILITAIRE
La France et la Grande-Bretagne ont fini par enjoindre dimanche à leurs ressortissants (une centaine dans le cas de la France) de quitter le pays de toute urgence. Les Etats-Unis, la veille, avaient évacué leur propre ambassade en formant un gigantesque convoi depuis le sud de Tripoli, où se trouve la représentation diplomatique. Sous la protection de marines et d’avions de chasse, les véhicules ont quitté Tripoli et rejoint la Tunisie par la route. Quelques rares vols décollent encore de l’aéroport militaire, avec certains risques.
Les ambassades des Pays-Bas et de Belgique ont été fermées «temporairement». L’Allemagne demande à ses ressortissants de quitter le pays, où ils s’exposent à des «risques accrus d’enlèvements ou d’attaques». Un convoi de l’ambassade de Grande-Bretagne a été attaqué, et l’un de ses véhicules blindés a subi des tirs.
Dans l’est du pays aussi, les combats se poursuivent. Les forces du général Haftar, allié de la brigade de Zintan et de pans de l’armée nationale, notamment sa composante aérienne (avec, donc, des avions de chasse), est aux prises depuis février avec une coalition dans laquelle se trouvent des groupes islamistes.