Si le nouveau président de la République, Abdelmadjid Tebboune, n’est pas tenu, par un quelconque délai constitutionnel, pour la formation de son staff gouvernemental, il n’en demeure pas moins que la situation, qui prévaut à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, ne lui laisse pas vraiment le choix pour accélérer la cadence. En effet, la disparition du chef d’état-major de l’ANP, Ahmed Gaïd Salah, lundi matin, suite à un arrêt cardiaque, ne semble pas arranger les choses pour le nouveau chef de l’État, qui semble pris de court par la précipitation des évènements.
D’ailleurs, Tebboune a procédé, le jour même du décès de Ahmed Gaid Salah, à la nomination de Saïd Chengriha, au poste de chef d’état-major par intérim vu l’importance de l’Institution militaire qui constitue l’un des piliers essentiels de tout pays souverain. Sauf que la gestion intérimaire constitue, en elle-même, un handicap de taille, et pour le nouveau chef de l’Armée, et pour le président de la République. Car le général-major Chengriha n’aura pas les coudées franches pour exercer pleinement ses prérogatives en raison de son statut d’ « intérim ». D’où la nécessité, pour Tebboune qui devra agir pour confirmer les postes intérimaires et, ou procéder à des nominations pour former un nouveau gouvernement.
Et dans les deux cas, le temps presse pour le nouveau Président. L’autre argument, et pas des moindres, qui confirme l’urgence de la formation du nouveau gouvernement, et « statuer » sur le cas du nouveau chef d’état-major : La crise sécuritaire en Libye et les derniers développements intervenus dans ce pays voisin. Ce dernier est en proie à une instabilité depuis 2011 ayant provoqué, la chute du régime de Mâamar El-kadafi, suivie d’une guerre sans précédent entre les différentes tribus qui formaient le pays pour la prise du pouvoir. Après de moult tractations, les parties belliqueuses se sont convenues à mettre de côté leurs divergences, en formant un Gouvernement d’union nationale (GNA). Mais la Libye ne voit toujours pas le bout du tunnel, et la paix est loin d’être à portée de main dans ce pays riche en pétrole. C’est que le maréchal Khalifa Haftar a brisé le silence des canons et fonce droit sur Tripoli, la capitale libyenne, en menant une offensive militaire depuis le 12 décembre.
La raison sécuritaire
La gravité de la situation en Libye a d’ailleurs poussé le ministre de l’Intérieur du gouvernement d’Union nationale (GNA) de Fayez el-Sarraj, Fathi Bachagha à tirer la sonnette d’alarme, jeudi, sur le chaos qui guette le pays et les voisins immédiats, dont l’Algérie, si jamais le maréchal Haftar s’enpare de la capitale Tripoli.
« Si Tripoli tombe, Tunis et Alger tomberont à leur tour », a déclaré le ministre libyen lors d’une conférence de presse tenue à Tunis, en Tunisie. Et d’ajouter :' »Il s’agit d’une tentative de semer l’anarchie dans la région et de faire main basse sur l’Afrique du Nord », tout en rappelant, l’existence d’une « coopération importante entre la Libye, la Turquie, la Tunisie et l’Algérie ». « Nous serons dans une même alliance de manière à servir nos peuples et notre stabilité et à construire une coopération économique sur la base de la coopération politique et sécuritaire », a-t-il insisté. Pour le ministre libyen, tous les pays de la région sont en danger, et une « coopération stratégique agressive » est plus que nécessaire pour contrecarrer le danger terroriste qui menace la région, alors que le président turc Recep Tayyip Erdogan a annoncé, jeudi, l’envoi prochainement de troupes militaires en Libye.
C’est visiblement, en raison de ce climat de tension à nos frontières, que le président Tebboune ait tenu, jeudi, au siège de la présidence de la République, une réunion du Haut conseil de sécurité pour examiner la situation dans la région, notamment au niveau des frontières avec la Libye et le Mali. D’ailleurs, Il a été décidé lors de cette réunion, de prendre une batterie de mesures pour sécuriser les frontières et le territoire national. À l’intérieur du pays, le nouveau Président fait face également à une révolte populaire pacifique qui dure depuis dix (10) mois. Le mouvement populaire attend des gestes forts de la part du chef de l’État, avant de prendre sa main tendue pour un dialogue inclusif. Ce qui tarde à venir. La libération des détenus politiques et d’opinion est une condition sans laquelle le dialogue ne peut être envisageable, aux côtés d’autres mesures à même d’assainir le terrain pour d’éventuelles tractations pour une sortie de crise, à travers des signes d’apaisements, comme attendu par les animateurs du mouvement citoyen et la majorité de la classe politique.
L’enjeu interne
La formation d’un nouveau gouvernement, composé par des personnalités du moins « clean », peut donc contribuer à apaiser la tension entre le pouvoir et la protesta, et passer au dialogue pour satisfaire les revendications du mouvement.
Dans ce contexte, les émissaires de Tebboune commencent déjà à sonder des personnalités pouvant figurer au sein du nouveau gouvernement. Si le sort qui sera réservé à l’actuel Premier ministre par intérim, Sabri Boukadoum, n’est pas connu, le nom du présent ministre de l’Intérieur par Intérim, Kamel Beldjoudi, peut toujours figurer dans le staff du futur gouvernement de Tebboune. Selon des indiscrétions, Beldjoudi est l’un des hommes de confiance du président de la République, avec qui il a travaillé du temps où il était ministre de l’Habitat. Le nom du diplomate, Ramtane Lamamra, a été également évoqué pour le secteur de la diplomatie pour lequel le président Tebboune a promis de donner un nouveau souffle. Seul handicap, c’est que le diplomate en question a accepté de jouer le jeu du 5e mandat. Son directeur de communication lors de sa campagne électorale, Mohamed Laâgab, a été également cité, pour le poste de ministre de la Communication. Mais s’il est toujours prématuré de s’aventurer à donner de l’officiel à toutes ces informations, qui ne sont, à vrai dire, qu’au stade de spéculations pour le moment, il apparait évident que le Président ne veut pas puiser ses ministres au sein du tandem FLN-RND. Ces derniers sont bannis par la rue et deviennent, par conséquent, encombrants pour le président Tebboune.
L’étau se resserre ainsi autour du président Tebboune, de l’intérieur comme de l’extérieur, le contraignant à aller un peu vite dans la formation de son gouvernement, et donner des signes de bonne volonté et d’apaisement, en direction du mouvement citoyen, en libérant, notamment tous les détenus de l’après-22 février, pour amorcer un dialogue à même de mettre un terme à la crise actuelle qui prévaut dans le pays.
Brahim Oubellil