Plongée dans le chaos à la suite des protestations de cinéastes turcs contre la censure d’un documentaire programmé, la 34e édition de la plus grande manifestation cinématographique de Turquie ne remettra pas de prix cette année.
La 34e édition du Festival du Film d’Istanbul sera officiellement privée de compétition nationale. Démarrée il y a plus d’une semaine et supposée se tenir jusqu’au 19 avril prochain, la plus grande manifestation cinématographique de Turquie traverse actuellement une douloureuse épreuve. Plus d’une centaine de cinéastes turcs, dont Nuri Bilge Ceylan, Palme d’Or à Cannes, se sont dit prêts lundi à boycotter le festival d’Istanbul, contre la «censure» d’un documentaire sur les rebelles kurdes, retiré de la programmation sur intervention des autorités. Ce documentaire, intitulé Bakur (Nord), avait été programmé dimanche après-midi. Mais la projection a été annulée à la dernière minute, les organisateurs du festival, prévu du 4 au 19 avril, ayant reçu un courrier du ministère de la Culture turc selon lequel ce film ne détenait pas les autorisations nécessaires. Poussée par les protestations des réalisateurs locaux, retirant, depuis dimanche, leurs œuvres du festival, celui-ci vient d’annuler définitivement ses deux compétitions à l’échelle nationale (fiction et documentaire) mais également sa principale compétition internationale (Golden Tulip), ainsi que sa cérémonie de clôture. Les projections sont néanmoins préservées.
La raison d’un tel chaos Contestataire. Le Monde rapporte que la zizanie aurait principalement été semée par l’affaire du documentaire North, une plongée dans les camps d’entraînement du Parti des travailleurs du Krudistan (PKK) signée par deux cinéastes turcs, Çayan Demirel et Ertugrul Mavioglu. Dimanche, le ministère de la Culture a empêché la projection de l’œuvre, présentée dans le catalogue du festival comme une volonté de «remettre en question le point de vue du public» sur un «mouvement national [le PKK, Ndlr] devenu un mouvement des femmes».
Quelques heures après l’incident, le réalisateur Haci Ormann aurait, toujours selon Le Monde, pris le micro non pas pour présenter son film Homo politicius mais pour annoncer qu’il retirait ce dernier du Festival. Le long métrage aurait dû être la première fiction turque à évoquer le génocide arménien présentée de manière officielle. Le cinéaste n’a pas tardé à se faire imiter, poussant la programmation de la manifestation vers un point de non-retour.
Entre censure et respect du protocole
Dans la version officielle des faits, l’annulation de Nord serait un rappel au règlement. En effet, sur le sol turc, chaque film montré dans le cadre d’un festival est supposé disposer d’un visa d’exploitation délivré par le ministère de la Culture, même lorsque que la distribution de l’œuvre en salle n’est pas envisagée. Comme beaucoup d’autres films déjà projetés au sein du festival stambouliote, le documentaire de Çayan Demirel et Ertugrul Mavioglu a échappé au protocole d’immatriculation obligatoire. «Nous avons géré ce problème à la turque, tous autant que nous sommes», admet la directrice de la manifestation, Azize Tan, dans les colonnes du Monde. Mais le sujet délicat dont traite Nord aura probablement attiré l’attention du ministère de la Culture plus qu’un autre récit. Dans la journée de lundi, cinéastes turcs et membres des différents jurys du festival se sont entretenus lors d’une conférence de presse prévue à l’occasion afin de mener à terme cette situation de discorde, à l’issue de laquelle ils ont décidé de supprimer les compétitions au cœur du problème. «J’espère que cette affaire sera une opportunité de changement envers le protocole qui régule notre industrie cinématographique», déclare Aziza Tan dans un communiqué publié sur le site du Festival. Un nouveau règlement pour faciliter la liberté des films dans le cadre du festival devrait être adopté» a-t-elle
ajouté.