Dans un long entretien exclusif, en duplex depuis Alger, accordé au journal français « L’Opinion » à la veille de la tenue de la web-conférence « Gouvernances, afri-capitalisme et soft power : la nouvelle donne africaine », le Président Abdelmadjid Tebboune a brassé les grands sujets de l’heure comme la Libye, le Mali, le Hirak, la dépression économique, la Constitution algérienne en débat, et bien sûr les relations algérofrançaises. Abordant la question de la crise libyenne et malienne, le Président Abdelmadjid Tebboune affirme avoir «toute confiance en le président de la République française Emmanuel Macron », notamment dans son « résonnement et sa manière de voir les choses » en dépit de certaines « lourdeurs qui, peut-être, le freinent de temps en temps ». Concernant justement les relations bilatérales algérofrançaises, le Président Tebboune estime que « le chef de l’Etat français est allé souvent assez loin ». Interpellé sur la possibilité d’œuvrer de concert avec le Président Macron quant à trouver une solution aux crises libyenne et malienne, le chef de l’Etat affirme que « nos visions sont assez proches » avant de préciser que la vision algérienne est purement fraternelle. « Je le dis de manière officielle. Nous n’avons aucune ambition en Libye ni géopolitique ni économique» réitère le Président Tebboune avant de préciser la vision algérienne qui est « le sauvetage de nos frères en Libye et au Mali. » Une divergence que le chef de l’Etat attribue aux nostalgiques du colonialisme : « La vision, qui ne tient pas uniquement au président de la République française, peut-être une vision de puissance, ex-puissance coloniale ». En dépit de cette divergence, le Président Tebboune souligne que « l’objectif des visions algériennes et françaises est le même : celui de stabiliser le Mali, d’y travailler d’aider nos frères maliens à lutter pour éradiquer le terrorisme au Mali ». Réaffirmant « les bonnes intentions » françaises au Mali, le Président Tebboune estime que « nous pouvons travailler ensemble en partenaires égaux sans que les intérêts des uns et des autres ne soient antinomiques ».
LA SOLUTION ALGÉRIENNE AU MALI
Convaincu que la crise malienne est due à une crise politique de gouvernance telle qu’elle s’exerçait doublée par une fragilité socioéconomique extrême, terreau de toutes les menaces qui guettent aussi bien le Mali que les autres pays africains, le Président Tebboune estime que « pour l’Afrique en général, et pour nous-mêmes, la démocratie est le seul terreau favorable à tout développement humain et économique » avant de souligner que « la solution à la crise malienne serait à 90% algé- rienne, une vérité géographique et historique ». L’Algérie a toujours porté, depuis 1962, aide et assistance au Mali pour le règlement des contentieux ethniques et géographiques. « L’autre problème au Mali a trait à cette dichotomie entre le Sud et le Nord, moins développé » révèle le chef de l’Etat, pour qui « la solution est l’accord d’Alger » à même de permettre « l’intégration du Nord et du Sud à travers une action sociale, organisationnelle, politique et économique».
L’ÉLECTION, SEUL MOYEN DE RECONSTRUIRE LA LIBYE
Alors que des discutions se tiennent à Berlin (Allemagne) et au Maroc afin de trouver une solution politique au conflit libyen, le Président Tebboune, qui suit de très près la situation en Libye, estime qu’il est nécessaire d’organiser des élections. «Lorsqu’une crise prend de l’ampleur de la crise libyenne, ou il n’y a pratiquement plus d’institutions, faire de l’agitation diplomatique, essayer de donner de l’aspirine a un corps complètement métastasé, ne mènera à rien. Le seul moyen de reconstruire la Libye, c’est de commencer par le commencement, la légitimité populaire. Organiser des élections, quelles qu’en soient les difficultés, quitte à les organiser région par région ». Pour le chef de l’Etat la réunification des institutions libyennes passe par « une émanation populaire légitime » élue par le peuple libyen. « Après l’élection d’une Assemblée populaire, il y aura l’élection d’un Premier ministre, d’un chef du gouvernement ou peut-être même d’un président de la République, revoir la Constitution, revoir l’équilibre des forces politiques en présence » préconise Abdelmadjid Tebboune. Certes le processus risque de prendre du temps, admet le chef de l’Etat. « Ça prendra du temps, peut-être trois ou quatre ans, mais cela fait neuf ans que le monde qui s’intéresse à la Libye patauge dans de petites solutions qui n’ont rien donné et ne donneront absolument rien » indique le Président Tebboune. UNE GOUVERNANCE À DEUX MANDATS Apostrophé sur le danger dans l’édification de la démocratie sur le Continent notamment après que certains pays en Afrique de l’Ouest ont modifié leur Constitution pour que les présidents se présentent à un 3e mandat, le Président Tebboune, tout en s’interdisant de juger ses pairs africains, affirme « personnellement je ne le ferais pas. On a vu comment on est arrivé à cette situation à cause de ces prolongements successifs. Le Président Zeroual avait fixé à deux mandats. On n’avait pas à en sortir. J’y tiens personnellement à fixer une élection à deux mandats aussi bien pour le Président que pour les députés et les élus locaux. Dix ans c’est largement suffisant pour concrétiser ses idées. Aussi la Constitution doit être un document sacré. »
LE HIRAK, UN MOUVEMENT POLITIQUE ET PACIFIQUE
En évoquant la contestation populaire du 22 février, Abdelmadjid Tebboune a affirmé que « le 22 février 2019, pratiquement toute le population, sinon l’extrême majorité, est sortie dans la rue pour exprimer son ras-le-bol par rapport à tout ce qui s’était passé depuis les deux à trois ans au préalable, et s’était terminé par une comédie de préparation d’une élection pour un cinquiè- me mandat, sachant que le président Bouteflika était devenu impotent, il ne pouvait plus s’exprimer, il ne pouvait plus ni parler ni marcher… et que cela allait finir en une catastrophe pour le pays… le hirak « béni » a mis fin à cette comédie ». Pour étayer ses propos, le chef de l’État rappelle que lors de cette manifestation « pendant toute la durée de cette marche, il n’y a pas eu un seul lampadaire ou une seule vitrine touchée. Le peuple a su s’exprimer de manière très politique et très pacifique ». Pour Abdelmadjid Tebboune, le fait que le Hirak ait été pour les élections légitimait, au préalable, l’élection présidentielle du 12 décembre 2019. « En plus du fait que le hirak en lui-même avait trois ou quatre doléances majeures, arrêter le processus électoral, arrê- ter le 5eme mandat, interdire à tout le monde la prolongement du 4eme mandat et aller vers un changement radical pour le gouvernance du pays» estime le Président Tebboune tout en soulignant que « le hirak était protégé par l’Armée et les Services de sécurité pour qu’il garde son pacifisme et pour qu’il ne soit pas provoqué ».
Smail ROUHA