Par Ali El Hadj Tahar
Entre libération des prisonniers d’opinion et crise libyenne, le Président, Abdelmadjid Tebboune, n’oublie pas sa promesse de révision de la Constitution. À cet effet, il a installé un comité d’experts, avec à sa tête le Pr Ahmed Laraba, chargé de formuler des propositions pour des amendements du texte fondamental. Les experts ont deux mois pour remodeler le texte qui « constitue la pierre angulaire pour l’édification d’une nouvelle République » et de « de favoriser l’émergence de nouveaux modes de gouvernance », selon les termes du communiqué de la Présidence.
Les amendements porteront sur sept axes liés à l’organisation et au fonctionnement des Institutions de l’État, ce que le citoyen lambda appelle tantôt système, tantôt régime, et que les experts ont à améliorer en vue «de conforter l’ordre démocratique fondé sur le pluralisme politique et l’alternance au pouvoir». L’un des buts est de permettre, en outre, de «prémunir notre pays contre toute forme d’autocratie et d’assurer une réelle séparation et un meilleur équilibre des pouvoirs ». Les amendements visent aussi à assurer « l’indépendance des magistrats, à renforcer les droits des citoyens et à en garantir l’exercice », comme elles visent « à conforter la moralisation de la vie publique et à réhabiliter les institutions de contrôle et de consultation», puisque l’État de droit, la séparation des pouvoirs et la lutte contre la corruption sont des revendications fondamentales depuis le 22 février 2019.
La Présidence ajoute que «le projet de révision de la Constitution fera l’objet de larges consultations auprès des acteurs de la vie politique et de la société civile». «Le texte adopté par le Parlement sera ensuite soumis à un référendum populaire», précise-t-elle encore. Ainsi donc, le Président veut une révision du texte au niveau de la base avant de le soumettre au Parlement pour adoption, puis à référendum. En 1976, le Président Boumediene a soumis la Charte nationale à un très large débat populaire, et c’est ce qui semble guider M. Tebboune même si cette fois-ci, l’enrichissement ne concernera que « des acteurs de la vie politique et de la société civile ». La révision du texte fondamental du Président s’inscrit donc d’emblée dans une démarche de nouvelle gouvernance, en tout cas de consultation et de dialogue. Les sept axes du Comité Laraba visent au « renforcement des droits et libertés des citoyens », « la moralisation de la vie publique et de la lutte contre la corruption », « la consolidation de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs », « le renforcement du pouvoir de contrôle du Parlement », « la consolidation de l’indépendance du pouvoir judiciaire », « la consolidation de l’égalité des citoyens devant la loi » et « la consécration constitutionnelle des mécanismes d’organisation des élections ». M. Tebboune limite donc les amendements aux mécanismes du système, mais si la révision dépasse ces sept axes, il est à espérer que c’est pour améliorer. Rappelons que la Constitution de 1989 a supprimé la référence au socialisme qui figurait dans le texte de 1976 sans consultation populaire. Cependant, les autres moutures ont continué à préserver les acquis du socialisme, notamment la propriété publique constituée par « le sous-sol, les mines et les carrières, les sources naturelles d’énergie, les richesses minérales, naturelles et vivantes des différentes zones du domaine maritime national, les eaux et les forêts ». La Constitution de 1989 place toujours sous l’enseigne de propriété publique « les transports ferroviaires, maritimes et aériens, les postes et les télécommunications, ainsi que sur d’autres biens fixés par la loi ».
Acquis de l’État social tel que défini par les principes de Novembre, la Constitution garantit le « droit à l’enseignement » et précise qu’il « est gratuit dans les conditions fixées par la loi ». En outre, elle stipule que «L’enseignement fondamental est obligatoire », que « L’État organise le système d’enseignement » et qu’il « veille à l’égal accès à l’enseignement et à la formation professionnelle. » La loi garantit à tous les citoyens le « droit à la protection de leur santé » ainsi que « la prévention et la lutte contre les maladies épidémiques et endémiques».
Le droit au travail, à la protection, à la sécurité et à l’hygiène dans le travail sont aussi garantis par la loi, tout comme le droit au repos…Cependant, dans un contexte de libéralisation internationale, ce sont les acquis socioéconomiques qui sont le plus menacés au Nord comme au Sud de la planète. Le débat promis par le Président sera l’occasion pour la société civile de veiller à ce qu’il n’y ait pas de dérive dans ces axes, si ce n’est à les améliorer et consolider, en plus des sept points soumis à l’expertise du Comité du Pr Laraba.
A. E. T.