L’esclavage, les lynchages, la ségrégation, mais aussi la surreprésentation des Afro-Américains en prison et parmi les victimes de violences policières: un musée, qui ouvre vendredi dans l’Etat de l’Alabama, trace un lien direct entre le passé raciste des États-Unis et les inégalités d’aujourd’hui. Le «Legacy museum», une extension d’un projet plus modeste lancé en 2018, est situé à Montgomery, sur un site où, autrefois, des hommes et femmes noires ont été contraints à du travail forcé. «C’est un musée de l’histoire des États-Unis, centré sur l’esclavage et ses conséquences (…) parce qu’aucune autre institution n’a autant formaté notre économie, notre politique, nos structures sociales et notre tempérament», explique à l’AFP son promoteur, l’avocat et militant Bryan Stevenson. Or, note-t-il, cette histoire est mal enseignée aux États-Unis: «beaucoup de gens ne savent pas que 12 millions de personnes ont été enlevées en Afrique et emmenées en Amérique, que deux millions sont mortes lors de la traversée…» Le musée, le premier du genre selon lui, vise à combler ce vide et à créer «une prise de conscience» qui pousse les Américains à s’engager dans la lutte contre les inégalités actuelles. Pour ce faire, il ne suffit pas de fournir des informations aux visiteurs, «il faut aussi «toucher leur cœur», estime M. Stevenson. Le musée, inspiré de ceux de l’Holocauste à Berlin ou de l’Apartheid à Johannesburg, offre donc une expérience «immersive»: dès leur arrivée, les visiteurs sont comme embarqués sur l’Atlantique, à l’aide de vidéos et statues qui retracent les souffrances des futurs esclaves. Également sans complaisance, un autre espace est dédié à la violence de l’esclavage, y compris sexuelle. Une aile est consacrée aux milliers de victimes de lynchages, survenus entre 1877 et 1950. Le Monument national pour la paix et la justice, proche du musée, leur rend également hommage. L’exposition fait également revivre «l’humiliation de la ségrégation» en vigueur dans le Sud après la Seconde guerre mondiale et «les défis du temps présent: l’incarcération massive et les violences policières» contre les Afro-Américains, souligne M. Stevenson. Son premier combat, retracé dans le livre et le film «Just Mercy» («Les Voies de la Justice»), fut de lutter contre les erreurs judiciaires dont les Américains noirs sont souvent victimes. Avec son organisation Equal Justice initiative (EJI), il a réussi à innocenter plusieurs condamnés à mort. Dans le musée, les visiteurs peuvent s’asseoir à un parloir et les écouter raconter leurs histoires. Ce musée s’inscrit dans un mouvement de fond aux États-Unis, où le travail de relecture du passé s’est approfondi depuis le meurtre de l’Afro-Américain George Floyd par un policier blanc, en mai 2020. Mais les efforts pour mieux enseigner les pages sombres de l’Histoire, notamment dans les écoles, rencontrent une farouche opposition dans les milieux conservateurs. «Cela ne me surprend pas qu’il y a ait des résistances», commente M. Stevenson, convaincu que l’Amérique «dépassera ses peurs».