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CLAUDE MANGIN, MILITANTE DES DROITS DE L’HOMME, À PROPOS DE LA POLITIQUE COLONIALE MAROCAINE AU SAHARA OCCIDENTAL : « C’est le début de la fin pour le Makhzen »

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La grande militante des droits de l’Homme et de la cause sahraouie, Claude Mangin, l’épouse du détenu Naâma Asfari qui croupit dans les geôles du Makhzen depuis 2010, se trouve depuis quelques jours en Algérie à la tête d’une importante délégation qui s’est rendue aux camps des réfugiés sahraouis. Rencontrée à Alger, l’infatigable militante a bien voulu répondre à nos questions …

Entretien réalisé par Farid Guellil

1re partie

Le Courrier d’Algérie : Vous venez de rentrer d’une mission noble dans les camps des réfugiés sahraouis à la tête d’une très forte délégation, n’est-ce pas ?
Claude Mangin : J’ai organisé une mission de solidarité avec le peuple sahraoui à Tindouf à l’occasion de la célébration du 27 février, l’anniversaire de la proclamation de la RASD. L’idée était d’emmener le maximum de militants de la cause sahraouie. Et aussi des élus, parce que nous avons procédé, le 26 février dernier, à la signature d’un protocole d’amitié et de coopération entre la ville d’Ivry-sur-Seine (dont Naama Asfari est élevé au rang de citoyen d’honneur) avec la daïra de Mijek dans la wilaya d’Aousserd. J’ai envoyé l’invitation à tous mes contacts. A la fin, nous avons été 52 personnes à faire partie de cette belle délégation, dont 12 élus des communes d’Ivry, de Vitry et de Rezé. Ces trois villes communistes avaient l’habitude de recevoir des enfants sahraouis pendant l’été. Pour l’année prochaine, j’espère bien que ça sera Vitry qui signera un accord de jumelage. Ce qui sera le premier du genre depuis 30 ans en France. Le premier remonte à 1982 et lie Le Mans et Haouza et le deuxième a été conclu en 1993 à Gonfreville-l’Orcher, près du Havre. Aujourd’hui, nous essayons de relancer les jumelages, d’autant plus que cela déplait fortement au régime marocain, et, probablement aussi, à la France. Mais, ils ne peuvent pas l’empêcher. En revanche, le Maroc a répliqué en invitant, octobre 2022, à Laâyoune occupée, le maire de la grande ville de Metz, François Grosdidier. Une convention de partenariat a été signée. Seulement, ce monsieur n’a pas été très honnête. Pour preuve, il vient de se faire épinglé par la justice pour malversation. Donc, voyez comment le Maroc choisit bien ses amis, et c’est tant mieux pour nous.

-Quelle est la situation sur place ?
-Au niveau des campements de Tindouf, les élus nous ont rejoints ces derniers jours. Sur place, nous avons élaboré un programme complet. Beaucoup de personnalités sont venues nous parler. Nous avons recueilli l’avis des familles, ce qui nous a permis de voir la réalité quotidienne des réfugiés. Nous avons constaté les réalisations de la RASD comme les écoles, les écoles maternelles, les centres d’accueil des enfants handicapés, les maisons des femmes etc. Malgré les obstacles notamment matériels, la prise en charge sociale développée par le Front Polisario est extraordinaire. En sus des directeurs et directrices de ces structures, nous avons rencontré des dirigeants sahraouis, comme Bachir Mustapha Sayed (frère d’El Ouali Sayed, le fondateur du Front Polisario). C’est un visionnaire hors pair qui a su actualiser son discours depuis la violation du cessez-le-feu.

-L’agression marocaine y était pour beaucoup …
-Depuis la violation du cessez-le-feu en novembre 2020 suite à l’agression marocaine contre des civils sahraouis dans la zone tampon d’El-Guerguerat, il y a une nouvelle situation militaire. Personne ne pensait que les Sahraouis, qui ont respecté les termes du cessez-le-feu de 1991, allaient répondre aux hostilités marocaines. A chaque fois qu’il y ait des provocations, le SG de l’ONU, Antonio Guterres, renvoie dos à dos les deux parties, alors que c’est bien le Maroc qui est l’agresseur. Cette nouvelle situation a entrainé un changement énorme dans les camps. Car, si les hommes et les jeunes sahraouis sont repartis au front, les personnes âgées et les enfants ont été évacués des territoires libérés. En conséquence, au moins 4000 Sahraouis viennent grossir les rangs des réfugiés. Tout ce monde-là pèse sur l’économie dans les camps, où la situation est intenable. En plus de la guerre, il y a eu la pandémie qui a affecté le monde entier. Côté santé ce n’est pas vraiment grave. Les Sahraouis ont en effet l’habitude eux qui sont confinés depuis 40 ans. En sus, l’Algérie a fourni les vaccins contre le virus. De l’autre, comme il y manque en moyens de soins, on a adopté un travail de prévention.
Ainsi, les responsables ont demandé aux réfugiés de changer leurs habitudes, comme se laver les mains, ne pas manger dans un seul plat et avec la main etc. Ces mesures ont donné des résultats. Ce coronavirus a surtout isolé encore un peu plus les Sahraouis, puisque plus personne de la diaspora n’est venu les voir et, du coup, il n’y a plus d’argent en l’absence de banques dans les camps. Le cash étant le seul moyen pour y parvenir. Moi, par exemple, j’ai ramené 15 000 euros pour permettre aux mamans de nourrir leurs enfants. Sinon, il n’y a plus d’argent pendant les deux ans qui ont marqué la pandémie.

-Peut-on dire que la situation des réfugiés revient à la normale ?
D’ailleurs, pour la première mission qu’on a faite, en 2021, avec des journalistes, les Sahraouis étaient contents de mon arrivée qui était synonyme d’une bouffée d’oxygène. Après la guerre et la pandémie, les Sahraouis ont subi l’inflation. Car, et comme vous le savez, les fonctionnaires travaillent bénévolement. Il y a seulement les instituteurs et les infirmiers qui sont payés par le HCR au prix de 30 euros. Mais vu la multiplication des crises dans le monde, il y a de moins en moins de nourriture à répartir à travers le programme alimentaire mondial. En conséquence, leur panier alimentaire a beaucoup baissé et, du coup, ils n’ont plus rien à manger. Le coronavirus a aussi bloqué le travail de beaucoup d’ONG. Par exemple, la maison de femmes d’Aousserd qui était financée par une organisation espagnole a arrêté et n’a pas repris ses activités en l’absence d’argent. Face à cette situation périlleuse, le Front Polisario continue à sensibiliser les populations en disant qu’il faut profiter de cette situation de refuge pour se former et se motiver. Car, le pire c’est de rester dans sa tente et s’occuper des enfants. Alors que, il y a beaucoup d’autres choses à faire pour les femmes sur lesquelles reposent toutes les activités en matière de santé, d’éducation, la jeunesse, les tâches ménagères etc. La situation est loin d’être normalisée suite au coronavirus. Donc, je pense que l’Algérie va devoir à un moment donné alimenter les camps, surtout avec l’arrivée du Ramadhan. Mais, malgré la situation un peu tendue dans les camps, les Sahraouis restent optimistes, accueillants et sympathiques dans les familles.

-Parlons un peu de cette série de scandales qui a éclaboussé le Makhzen. Pensez-vous que la posture de l’Europe va changer vis-à-vis du Maroc, après le MarocGate?
-La dénonciation de corruption dans les institutions européennes est quelque chose d’énorme. Pour nous, militants, ce n’est pas une surprise, mais pour les eurodéputés eux-mêmes si. Ce sont des menteurs car ils savent très bien ce que font les Marocains depuis 30 ans au Parlement. Sauf que tout le monde en profitait ou restait passifs. Dans tous les cas, ce n’est pas digne de parlementaires européens et surtout de la commission.
On en est à la dénonciation de la politique marocaine vis-à-vis des droits de l’Homme. La résolution votée le 19 janvier par le Parlement européen ne dit pas un mot sur les Sahraouis. Ça ne m’a pas étonnée. Mais, c’était bien déjà qu’ils dénoncent de manière aussi claire et véhémente la politique d’oppression et de torture systématiques du Makhzen contre les journalistes, activistes et opposants. Dire subitement que le Maroc était un pays voyou, ça c’est inédit, car il avait une image extraordinaire dans toute l’opinion européenne, surtout française avec un lobbying extrêmement puissant. Le Maroc passait pour un bon pays, où on finance tous ses projets à coup de millions y compris dans les collectivités locales. Tout y passe contrairement à l’Algérie par exemple.

-Qu’en est-il des accords illégaux Maroc-UE ?
-L’Europe donne le Maroc y compris pour développer des projets illégaux dans les territoires occupés en vue de spolier les richesses sahraouies. Ça c’est un vrai scandale. Maintenant, au moment de la renégociation des accords de libre-échanges entre le Maroc et l’Europe, le Front Polisario a dénoncé les accords de pêche, de l’agriculture, aériens …. Autrement qu’il a pris les choses en main et a fini par avoir eu gain de cause de la part de la Cour de justice européenne (CJUE). Le droit européen a tout dénoncé.
On a déjà gagné en première instance en 2016 et 2017 où le statut séparé et distinct du Sahara occidental du Maroc a été affirmé. Finalement donc, ces accords se sont retournés contre le Maroc. Ce qui est incroyable, c’est le fait que les États européens fassent un recours contrôle leur propre droit. Certes, cela a permis de gagner encore deux ans, mais à l’arrivée ils ne vont pas gagner, car la CJUE a décrété que le Front Polisario a le droit de porter plainte. Finalement, on attend la confirmation, fin 2023, de ce jugement. Du coup, le Maroc devra obéir, car c’est un jugement exécutoire et ce contrairement à toutes les autres instances.
En octobre 2022, lors de la quatrième commission de l’ONU en charge des questions politiques spéciales et de la décolonisation, j’ai été reçue par l’ambassadeur de France à l’ONU. Et là, la spécialiste du droit européen, Meriem Naïli, a expliqué à l’ambassadeur l’illégalité des accords entre le l’UE et le Maroc, ce qui a été décidé à l’Union africaine etc. Elle a rappelé également le fait que la Confédération paysanne a porté plainte devant le Conseil d’Etat français. Dans tous les cas, tous ces accords sont jugés illégaux et donc ils doivent cesser.
Puisque par exemple, des produits qui arrivent sur le marché français, comme les tomates et les melons, sont vendus moins chers, car ils bénéficient de rabais du fait qu’ils sont considérés comme des produits marocains. Mais cela, ne va plus être possible, le Maroc va perdre beaucoup car ces produits seront interdits. Et lorsqu’il a entendu tout ça, l’ambassadeur a affirmé que nous, les politiques, on va devoir s’aligner sur le droit. Ce qui est quand même une bonne prise de conscience.
Donc, c’est le début de la fin pour le Maroc qui n’aura plus assez de rentrées d’argent pour financier sa colonisation du Sahara occidental. Autrement que les militaires qui sont engagés dans la guerre leur couteront chers …
F. G.

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