Il y a quelques jours, Fadi se démenait pour trouver du lait pour son nourrisson dans l’enclave rebelle assiégée de la Ghouta orientale, près de Damas. Evacué dans le nord-ouest de la Syrie, il décrit son camp de déplacés comme un «paradis».
«Dans la Ghouta, lorsque je sortais faire les courses, je faisais mes adieux à ma femme: je ne savais pas si j’allais revenir. Et je courais de village en village, payant 17 000 livres (environ 32 euros) le litre de lait», se souvient Fadi. «Ici, il ne coûte que 150 livres (0,25 euro)», souligne avec un sourire le jeune père de famille de 30 ans, interrogé dans un camp de quelque 2 000 déplacés à Maaret al-Ikhwan, dans la province d’Idleb, qui échappe presque entièrement au contrôle du régime syrien. En vertu d’un accord entre les insurgés et la Russie, alliée du pouvoir syrien, Fadi et des dizaines de milliers de personnes, combattants et civils, ont été évacués depuis le 22 mars de l’ancien bastion rebelle, théâtre d’une offensive meurtrière de cinq semaines, qui a tué au moins 1 600 civils. La pénurie y a propulsé les prix à des niveaux vertigineux. «La différence de prix est abyssale. Je ne pensais pas survivre et me procurer un jour des produits aussi bon marché. Ici, tout est disponible. Les gens, la vie, tout est différent. J’ai l’impression d’arriver au paradis», témoigne-t-il. Pourtant, la province d’Idleb n’a rien d’une sinécure: elle est dominée par les jihadistes de l’ex-branche syrienne d’Al-Qaïda, qui y affrontent régulièrement des groupes islamistes. Et le régime et son allié russe bombardent ponctuellement le territoire. Mais même dans ces conditions, ce lieu semble être un eldorado pour les déplacés, comparé à la vie dans la Ghouta, assiégée pendant cinq ans puis soumise à un déluge de feu contraignant ses 400.000 habitants à vivre dans des abris souterrains. Une offensive qualifiée «d’enfer sur terre» par les Nations unies.
«Sécurité et abondance»
À peine arrivé, Fadi s’est empressé d’acheter une nouvelle paire de chaussures, en «vrai cuir», des boissons gazeuses, des biscuits et des chips. Le tout au prix dérisoire de 1 500 livres (2,5 euros), l’équivalent d’un soda dans la Ghouta, selon ses dires, interrompus par des cris d’enfants jouant au football. Parmi eux, Kaiss el-Hallak, 13 ans, se réjouit d’un but marqué. «À Harasta, je vivais dans la peur et l’horreur. Nous n’osions pas sortir des caves pour jouer au foot, alors qu’ici je joue avec des amis», raconte à l’AFP l’adolescent à la peau claire, vêtu d’un sweater gris. Dans la Ghouta, il devait travailler pour aider à nourrir sa famille, «pour acheter du pain et du foin», confectionnant des objets en plastique et des sacs de nylon. Alors que les enfants se dépensent, les adultes renouent avec un semblant de normalité, dans un environnement calme, dont ils n’avaient plus l’habitude. Un petit groupe d’hommes discute ainsi aux abords d’un chemin de fer qui longe le camp. «Notre situation ressemble à celle d’un noyé au fond d’un puits qu’on a remonté à la surface», raconte Abou Lameh, un ancien chauffeur routier de 65 ans, keffieh sur la tête. Il désigne le mégot qu’il s’apprête à jeter: «La dernière cigarette que j’ai achetée avant l’évacuation m’a coûté 850 livres (1,5 euros). Ici, le prix d’un paquet est de 200 livres (0,3 dollars)». «Le siège que nous subissions dans la Ghouta nous étouffait. Grâce à Dieu, nous sommes ici maintenant et nous jouissons de sécurité et d’abondance», ajoute-t-il. Ce qui ne l’empêche pas de s’inquiéter sur son sort et celui des familles évacuées: «Pouvoir manger et boire n’est pas tout dans la vie. Nous voulons savoir quel sera notre sort. Nous vivons ici dans un camp».