Éditer les œuvres de ce grand homme, un patrimoine d’une richesse inépuisable, patrimoine musulman, arabe, berbère et africain à préserver afin d’en inculquer les grands axes aux générations futures toutes catégories sociales confondues. La mission sera dévolue aux ministères de la Culture et celui de la Communication. Telle est la principale recommandation du Forum d’El Hiwar, qui s’est tenu, mardi, au siège du journal arabophone, dans un esprit commémoratif cette-fois. La proposition a été formulée par Mohammed Bouaazara, journaliste et ancien compagnon, depuis 42 ans, de feu Tahar Benaïcha, qui a rejoint l’au-delà le 2 janvier 2016, auquel l’hommage a été rendu par ses siens.
Abondant dans le même sens, Madani Ameur, ancien journaliste à l’Entv et actuel directeur de KBC (télévision lancée par le journal El Khabar), a dénoncé aussi le fait de marginalisation qu’a subi Tahar Benaïcha, tout au long d’une grande partie de sa vie. Marginalisation officielle, tient à préciser l’intervenant, et non dans les milieux populaire, culturel et social, ou l’homme qui a tiré sa révérence à 90 ans, y tient une place privilégiée. Les deux intervenants ont, donc, relancé l’idée, qui couvait dans le milieu médiatique notamment, de publier les travaux touchant divers domaines de l’homme qui a plusieurs facettes à son personnage. Plusieurs arcs à son violon.
Et comment ! L’homme est un plusieurs en un ! Moudjahid, militant, poète, écrivain, historien, journaliste, reporter, animateur, homme de théâtre. Et excusez du peu ! Il fait partie du cercle très restreint dans le monde culturel à collectionner un aussi grand nombre d’activités artistiques. Avec l’Américain Orson Welles et le Français Jean Cocteau, et à un degré moindre le Britannique Charlie Chaplin, le fameux Charlot, et la comparaison n’est pas abusive, il figure dans la liste des artistes complets. Les louanges, énoncés par ses pairs, ne sont pas aussi dithyrambiques que certains tentent de le faire croire à tort, mais sont illustrés par des faits, des anecdotes. Ali Draa, consultant du Groupe Echourouk, qui l’a longuement côtoyé, témoigne de l’abondance de haut niveau dans les débats ou prend part Tahar Benaïcha, le citoyen originaire de Guemmar, dans la wilaya de Oued-Souf. L’intervenant s’en rappelle de la période, riche en positons incontournables et mémorables, qui a émaillé la rédaction du journal l’Unité, organe du parti unique. Ali Draâ commet ici un scoop, « dans la liste des superlatifs attribués à Tahar Benaïcha, on oublie d’en citer un : Tahar était aussi un grand militant. Ses articles sur le sort désavantageux et défavorisé des musulmans de Gao, au Nord du Mali, en sont la preuve édifiante. Ils étaient d’une actualité brulante et d’une contenance pertinente, que j’eus pris peur de les publier, car cela aurait eu des fâcheuses répercussions sur notre relation avec notre voisin. Feu Mohammed Chérif Messaâdia, a qui on soumettait les articles avant toute éventuelle publication, n’a pas, miracle, censuré celui-là. Au contraire, il m’a sommé de le publier, car, selon ses dires, les écrits de Tahar sont d’une honnêteté irréprochable. ». Et cela remonte à une trentaine d’années !
Un gauchiste, fervent défenseur de l’Islam et des musulmans opprimés !
Les positions prises en faveur de l’Islam ou en ceux qui subissent le fait qu’ils soient leurs représentants, et fortement assumées par Tahar Benaicha, ont déboussolé plus d’un. Lui le communiste, le gauchiste, qui prend la défense des musulmans, fut un non-sens pour ceux qui voyaient en lui l’un des représentants du courant Pagsiste, l’un des trois, avec celui du Fln et de la Mosquée (terme employé avant l’éclosion de celui d’islamiste), qui constituaient l’assistance qui animait les débats, selon les dires de Ali Draâ, au sein du Café du Théatre, actuellement occupé par une agence bancaire, qui semblait prendre du plaisir, et surtout de l’abnégation, de défendre aussi les musulmans maltraités sur les territoires de l’Union Soviétique. Pour ceux qu’il l’interrogeaient du pourquoi d’avoir opté pour le gauchisme, Tahar Benaïcha leur répondait que pour servir les pauvres, on ne peut être de confession libérale. Seul le socialisme peut leur être avantageux.
À la Télévision algérienne, ou il a exercé, Tahar Benaïcha a produit, selon Mohammed Bouaazar, une dizaine d’émissions, issues de son long pèlerinage vers l’Asie centrale et l’Espagne, là ou il a pris attache avec les relents et les vestiges de civilisations musulmanes, pour en faire des précieux documents valorisant la religion musulmane, notamment dans son volet d’accomplissement total d’une Justice sociale, immortalisé par le règne tout en équité et en austérité éducative de Omar Ibn El-Khattab, dit El Farouk, l’un des quatre grands Califs de l’Islam, et son arrière petit-fils, Omar Ibn Abd El-Azziz, en force durant la dynastie Omeyyade. Il fut aussi l’un des grands défenseurs de Abdelhamid Benbadis et de l’Emir Abdelakader.
Tahar Benaïcha : le militant ou le déclencheur du 1er Novembre avant l’heure !
Il semble que l’aspect dénonciateur dans ses démarches est l’essence du personnage. Sa raison de vivre et d’être. Dire la vérité toute crue figure dans l’acte emblématique de celui qui le porte. Agir vigoureusement quand cela devient nécessaire, l’est aussi. L’action aurait précédé la parole chez l’un des grands hommes qu’a engendré l’Algérie. Mohammed Bouazzar en rapporte un fait d’une richesse historique indéniable : l’action armée qui a précédé la Guerre de libération. Ce fut le 8 octobre 1954. Accompagné de son ami de toujours, membre du Parti du peuple algérien, PPA, Abdelkrim Halli, Tahar Benaïcha a incendié le commerce d’un juif, l’un des défenseurs acharnés de la colonisation et détracteurs de classe de l’Algérie. quelques temps après, lors d’une rencontre qui les a regroupés à Alger, Abbes Laghrour, ayant hautement apprécié cette «pyromanie», l’a instruit de se déplacer en France et d’y ramener des armes et des munitions, en vue d’enclencher l’action armée qui se profile à l’horizon.
Tahar Benaïcha, le premier journaliste à avoir bénéficié de la retraite anticipée
Toute une vie dévouée à dire la vérité ne pourrait qu’aboutir à des désagréments. Tahar l’a bien apprise à ses dépens. La postérité s’en rappellera de lui comme l’un des journalistes sortis prématurément de la profession, bénéficiant ainsi d’une retraite anticipée hautement méritoire quant aux engagements pris en faveur de la promotion de la vérité. Déjà, dans les années 1960, du temps ou il a été recruté par Abdelkader Nour, rédacteur en chef de la RTA, période ou la chape de plomb, selon la formule consacrée, régissait la respiration des uns et des autres, Tahar Benaïcha faisait preuve d’une liberté de ton pour le moins anachronique. Cela mettait son rédacteur en chef, selon les termes que celui-ci a utilisés lors de son intervention au Forum, dans une position inconfortable : entre le marteau et l’enclume. «Tahar critiquait le président de la République, j’ai cité Houari Boumédiène, et ce en dépit de mes préalables incessantes mises en garde, car je serais au bout confronté à un dilemme cornélien : attirer les foudres présidentielles suite à la diffusion de l’émission tendancieuse ou bien licencier Tahar Benaïcha dont je ne pouvais, paradoxalement, m’en passer», rapportait Abdelkader Nour. Et d’indiquer, d’une manière rétrospective, le renforcement des effectifs de la RTA par Tahar Benaïcha, « C’est suite à une lettre anonyme dans laquelle l’auteur dénonçait les contradictions de la Guerre de libération, que Tahar Benaïcha, dévoilé par Abdelaziz Chekiri, qui a pu reconnaître le style de son écriture, a rejoint l’équipe de la RTA. Ce fut quelques jours avant le 28 octobre 1967, date de recouvrement de la Souveraineté par la Radio et Télévision algériennes». à l’actif également de Tahar, le lancement de la Revue, Révolution et Travail, organe de l’Union générale des travailleurs algériens, et du journal « Djamahir », avec son ami Tahar Ouettar.
Les autres intervenants dans ce Forum, Slimane Djouadi, poète et collaborateur au journal Echourouk El Yaoumi, Ahmed Hamdi, ancien recteur de la faculté des sciences de l’information, et Zine eddine Bouacha, ont également loué le talent, la spécificité et la grandeur de ce personnage. Le Forum a été inauguré, faut-il le rappeler, par la lecture talentueuse et émouvant de Mahmoudi Habiba, journaliste à El-Hiwar, de la lettre élégiaque adressée par le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, en hommage au défunt. Pour sa part, le directeur de la publication du journal arabophone, Mohammed Yakoubi, a tenu, quant à lui, des propos plein de sens : « Tahar Benaïcha, comme Ait-Ahmed, ont été tués avant de mourir, on les a tués avec nos préjugés ».
Zaid Zoheir