Mohammed Ibrahim s’arrête au beau milieu d’un sentier escarpé. Haletant, le guide désigne l’exquis paysage de falaises brunes, joyau de Bamiyan, une province du centre de l’Afghanistan qui mise sur sa relative stabilité pour attirer les touristes. Bamiyan a accédé à la notoriété à la suite d’un événement condamné de toutes parts comme un «acte de terrorisme culturel» : le dynamitage en 2001 par les talibans des deux bouddhas géants, trésors archéologiques vieux de 1.500 ans et jugés «anti-islamiques» par les fondamentalistes musulmans au pouvoir en Afghanistan à l’époque. Depuis, le régime des talibans a été renversé, mais le conflit n’a pas pris fin pour autant. Près de 1.000 civils ont ainsi péri dans des violences au cours des quatre premiers mois de l’année, selon l’ONU. Bamiyan, elle, est épargnée par les attentats et embuscades des rebelles talibans et fait figure d’oasis au milieu de provinces infestées d’insurgés. Nichée dans le centre de l’Afghanistan, au milieu du massif de l’Hindou Kouch, la ville de Bamiyan, qui a donné son nom à la province, a obtenu le statut de capitale culturelle d’Asie du Sud pour 2015, un honneur pour cette ancienne halte sur la Route de la Soie. Du coup, Mohammed Ibrahim n’hésite pas à chanter les louanges de sa région. «Dans les grottes de Bamiyan on trouve les plus anciennes peintures rupestres au monde. Il y a aussi le premier parc national afghan et en hiver on peut faire du ski», se vante le guide qui est par ailleurs à la tête de l’association de tourisme locale. Un petit arrêt pour reprendre son souffle et M. Ibrahim ramasse une douille datant de l’ère soviétique, l’un des nombreux vestiges du conflit qui a opposé les soldats de l’URSS aux moudjahidines dans les années 1980. «Tout l’Afghanistan est jaloux de Bamiyan. Nous vivons en paix», assure-t-il. Mais Bamiyan cultive surtout une discrète nostalgie, celle d’avant la guerre, où la région voyait passer les routards étrangers qui pour seules armes possédaient un sac à dos et leur bonne mine de hippies. Car Bamiyan ne voit toujours pas le bout du tunnel. Les touristes sont une denrée rare. Plus généralement, les atorités afghanes sont réticentes à fournir des statistiques sur le nombre de visiteurs étrangers séjournant dans le pays. Mais leur nombre a connu une chute vertigineuse en raison de l’escalade des violences. Depuis la fin de la mission de combat des troupes de l’Otan, les rebelles talibans se sont lancés dans une offensive d’envergure dans l’ensemble de l’Afghanistan, laissant peu de répit aux forces de sécurité, désormais seules en première ligne pour leur faire face.
«Faites une prière»
Pour se rendre à Bamiyan, il faut s’accrocher. L’aéroport n’a qu’une seule piste et ne peut recevoir que de petits avions. Une compagnie relie Kaboul trois fois par semaine et il n’existe que deux routes pour venir de la capitale. L’une serpente à travers la vallée de Ghorband dans la province de Parwan et l’autre passe par la province de Wardak, deux points chauds où les embuscades des talibans sont fréquentes. «Si vous êtes Afghan et que vous prenez la route, vous avez intérêt à porter des guenilles, à laisser chez vous tout document susceptible de vous relier au gouvernement et… à faire une prière», ironise Umaidullah Azad, un touriste venu à Band-e Amir, le «Grand Canyon de l’Afghanistan», connu pour ses lacs aux eaux bleu azur bordés de falaises qui y tombent à pic. «En 2001, les avions américains ont forcé les talibans à fuir et se réfugier dans les grottes. En 13 ans, ils se sont établis dans presque toutes les villes» afghanes, se lamente Mohammad Sajad Mohseni, un dignitaire chiite hazara. Les hazaras, des chiites reconnaissables à leurs traits centre-asiatiques, sont majoritaires à Bamiyan et sont largement opposés aux talibans, des fondamentalistes sunnites. A Bamiyan, la sérénité n’est rompue que par l’appel à la prière du muezzin et l’écho d’une roquette qui va s’écraser dans un village au loin. Les habitants ont d’ailleurs pris l’habitude de dire que chez eux, «la sécurité est bonne, mais l’économie mauvaise». Les propriétaires de magasins de souvenirs reconnaissent volontiers qu’ils se meurent à petit feu. «Il y a peu de chances pour que les touristes reviennent à Bamiyan tant que la paix ne sera pas revenue autour de chez nous», souffle l’un d’eux, Ghulam Ali.