Assiettes, appareils ménagers, meubles, tapis… à Kaboul, au ralenti depuis le retour des talibans, des habitants bradent tout ce qu’ils peuvent pour pouvoir quitter le pays, ou juste se nourrir. Sur les marchés aux puces qui s’étirent sur les trottoirs poussiéreux de la capitale afghane, les étals débordent d’objets de maison les plus divers, fouillés par des hommes et femmes résolus à profiter de très belles affaires.
Des piles d’assiettes, verres et pots, des poêles et autres objets de cuisine et appareils ménagers s’entassent sur de maigres tables de bois. À côté, des télévisions des années 1990 et d’antiques machines à coudre attendent preneur, tout comme des tapis roulés et entreposés sur des canapés et lits d’occasion. Depuis le soudain retour au pouvoir des talibans à la mi-août, l’Afghanistan est en partie à l’arrêt, notamment en raison de l’interruption des flux financiers avec l’étranger qui perfusaient une économie sinistrée par 40 ans de guerres. Hors de l’économie de subsistance, les affaires sont à l’arrêt, et le travail se fait rare dans la capitale. Tout comme l’argent, car les Afghans ne peuvent pas retirer plus de 200 dollars par semaine, faute de réserves disponibles. La situation est critique, s’est alarmée jeudi dernier l’ONU. Si rien n’est fait pour y remédier, dit-elle, la quasi-totalité de la population afghane (97%) risque de basculer sous le seuil de pauvreté l’an prochain, contre 72% aujourd’hui. Les revendeurs d’occasions de Kaboul l’admettent: jamais ils n’ont eu autant à faire, car les gens se précipitent pour leur vendre leurs objets au plus vite, donc pas cher. D’autres viennent les apporter directement sur les marchés aux puces, chargés à dos ou entassées sur de maigres chariots.
« Tout a basculé »
Mohammad Ehsan est descendu de son quartier agrippé à l’une des collines ocres qui dominent Kaboul pour vendre deux couvertures. « Il n’y a pas de travail. On est pauvres et obligés de les vendre, car on n’a plus rien à manger », explique-t-il à l’AFP. Il était avant un travailleur manuel à la journée, mais les chantiers sont à l’arrêt depuis que les talibans sont revenus. « Il y avait des gens riches à Kaboul, mais ils ont fui », déplore M. Ehsan. Il est assez âgé pour avoir vu l’Afghanistan passer « de changement en changement » dans sa vie, et ne fait pas confiance aux talibans pour améliorer les choses cette fois. La dernière fois que les islamistes étaient au pouvoir, entre 1996 et 2001, ils avaient promis de ne laisser « personne avoir faim », mais les prix des aliments de base s’étaient envolés. « Vous ne pouvez pas les croire, et cette fois-ci encore personne ne les croit. » Dans un autre coin du marché, certains réparent leurs appareils électriques – stéréos, ventilateurs, machines à laver – pour espérer les vendre mieux. ÀA côté, des adolescents pressent des jus de carotte ou de grenade qu’ils vendent sur de petits chariots mobiles, alors que d’autres slaloment à travers la foule avec des brouettes pleines de bananes, de pommes de terre et d’œufs. Une autre catégorie de Kaboulis nourrit les affaires des vendeurs d’occasion: ceux, plus riches, qui ont fui ou veulent fuir la ville, par peur des talibans ou de la pauvreté, explique à l’AFP Mostafa, dans le conteneur qui lui sert de boutique. Ces familles vendent leurs biens pour une fraction de leur valeur, parfois « 2 000 dollars le lot alors qu’il en vaudrait 6 000 normalement », dit-il. Avant, il recevait des objet d’une ou deux familles. Aujourd’hui, ça peut être 30 à la fois, tant « les gens sont pauvres et démunis ». Quant aux acheteurs, ce sont des déplacés des provinces rurales, chassés par la pauvreté ou les combats des derniers mois qui ont trouvé refuge à Kaboul, précise-t-il. Un autre commerçant explique s’être lancé dans le business il y a quelques semaines. « J’étais formateur dans l’armée pendant 13 ans », dit-il sans vouloir être identifié, de peur de représailles des talibans, traqués pendant les 20 dernières années par les forces gouvernementales afghanes et leurs alliés occidentaux. « Malheureusement, tout a basculé dans notre société, et nous sommes obligés de faire autre chose », dit-il. « Je suis devenu vendeur d’occasion car je n’avais pas d’autre choix. »