Le procès de l’affaire de l’autoroute Est-Ouest, ouvert, hier, par le tribunal criminel près la Cour d’Alger, a été reporté à une date ultérieure. C’est ce qu’a décidé le parquet après que les juges se sont réunis en concertation pour rendre cette décision. Les avocats de la défense ont demandé au juge, aussitôt que l’audience fut ouverte, d’ajourner le procès. Ils ont motivé leur requête par l’absence des avocats de Chani Madjdoub, homme d’affaires algéro-luxembourgeois, principal mis en cause dans cette affaire de corruption, liée à la réalisation du projet de l’autoroute dit «du siècle». Dès 10 heures du matin, et d’emblée, le juge a annoncé l’entame de l’examen de l’affaire, en appelant les prévenus à comparaître devant la barre. Il s’agit de 23 accusés, dont 16 personnes physiques, et 7 personnes morales représentant des entreprises étrangères, impliquées dans la réalisation de l’autoroute Est-Ouest. Les accusés cités sont majoritairement des fonctionnaires du ministère des Travaux publics, parmi lesquels 10 sont en liberté, quatre en détention préventive et deux en fuite à l’étranger. Pour les entreprises, il s’agit des groupes chinois «CITIC-CRCC» et le japonais «COJAAL», et qui ne sont autres que les maîtres de l’ouvrage de la réalisation du projet, sous la coupe d’Amar Ghoul, alors ministre des Travaux publics, et actuellement en charge du secteur des Transports. D’autres entreprises originaires du Canada, du Portugal, de Suisse, d’Espagne et d’Italie y sont également mises en cause, dont les représentants étaient venus en masse à ce procès. En effet, la salle d’audience a grouillé de monde. Pour permettre à ceux qui n’ont pas pu y accéder de suivre le procès, un écran géant leur a été installé à l’extérieur de la salle. Les avocats composant le collectif de la défense n’ont pas tardé à entrer à l’audience. Parmi eux, Me Khaled Bourayou et Me Miloud Brahimi. L’intervention du premier cité, représentant de Mohamed Bouchama, ex-secrétaire général du ministère des Travaux publics, a porté sur l’ajournement de l’affaire, pour cause de l’absence de l’avocat de Chani Medjdoud, en détention provisoire depuis 2007. Quelques avocats, parmi eux Me Bourayou, ont refusé la constitution du représentant du Trésor public comme partie civile, considérant qu’il n’a pas formulé une demande écrite (mémoire ou rapport) auprès du parquet, conformément à la loi, a indiqué Me Bourayou. D’ailleurs, ce dernier a menacé de se retirer au cas où le juge décide de cette constitution. Dans sa demande, il a été rejoint par ses confrères, tel que celui représentant le consortium chinois. D’autres avocats ont préféré remettre la question pour plus tard. Suite à quoi, le juge demande au procureur de se prononcer sur la recevabilité de cette requête. Le représentant du ministère public a expliqué que le Trésor public pourrait se constituer comme tel, mais qu’avant tout la décision revient au parquet, a-t-il précisé. Concertation oblige, le juge de l’audience a prononcé la levée de la séance pour trancher la question. Interrogé lors de la levée de la séance, en marge du procès, Me Bourayou a tonné :«C’est une honte… (constitution du Trésor public comme partie civile, ndlr)», s’est-il contenté de dire.
Un avocat français pour Chani
Un autre revient sur l’absence de l’avocat de Chani Medjdoub, pour prédire le report du procès, en assurant qu’il s’agit d’une raison irrévocable qui justifiera cet ajournement. Dans l’après-midi, vers 12h 30, le procès a repris. Dès son entrée, le président de la séance a indiqué que la constitution du Trésor, comme partie civile, est une question précipitée, avant d’annoncer la reprise du procès. La défense a poursuivi ses plaidoiries. Ainsi, l’avocat de la société canadienne «SMI NC» s’est présenté et a demandé le report de l’affaire en mettant en avant deux raisons. «La demande tardive de la constitution du Trésor public en partie civile et la non remise du dossier d’accusation pour la défense», a-t-il plaidé, devant le juge. Son confrère, représentant l’accusé en détention Tadjeddine Addou, récuse le grief retenu contre son client portant sur «constitution d’association de malfaiteurs». Celui qui défend l’Espagnole «Isolux Corsan», Me Maachou Kamel, a indiqué, quant à lui, qu’une société en tant que personne morale ne pourrait être accusée de corruption, de constitution de groupe de malfaiteurs ou encore de trafic d’influence, a-t-il argué. Là, encore, le juge s’est tourné vers la personne à son extrême droite pour demander son avis. «Il n’y a aucune raison de ne pas poursuivre le procès. La loi prévoit l’accusation d’une entreprise en sa qualité de personne morale», a indiqué le procureur. Le collectif de la défense n’a pas lâché prise. Plus encore, nombre de ses membres ont mis en avant d’autres arguments justifiant le report de la séance. En effet, l’avocat de l’ancien directeur du département des nouveaux projets auprès de l’Agence nationale des autoroutes (ANA), Khelladi Mohamed, a demandé au juge de présenter à l’assistance les trois contrats (Ouest, Centre et Est) composant le projet Est-Ouest, signés notamment avec les entreprises étrangères. Me Bourayou revient à la charge, en attirant l’attention du juge sur l’importance de la défense dans ce genre de procès. «Dans un tribunal criminel la présence de la défense est irrévocable, monsieur le président, je réitère ma demande de report de l’affaire», a-t-indiqué. Le président de l’audience s’est adressé à sa gauche, à l’endroit du box des accusés, en demandant à Chani Majdoub : «Avez-vous un avocat ?» l’a-t-il interrogé. «Non, monsieur, le président, Me William Bourdon (avocat français, ndlr), ne s’est pas présenté, il n’a pas eu son visa», a-t-il précisé, en refusant qu’il lui soit désigné un avocat de fait. Maître Miloud Brahimi apparaît au-devant de l’audience. «C’est une honte que le représentant du Trésor public vienne se constituer partie civile. C’est une honte, je pèse mes mots. C’est même scandaleux pour la Justice algérienne. Je suis un vieux routier, je mesure la portée de mes mots», a-t-il lâché. Et à lui de continuer, en demandant de poursuivre le procès, en précisant que les prévenus sont détenus depuis cinq ans en prison. «C’est trop, monsieur le président», a-t-il conclu. La séance fut levée encore une fois par le juge pour trancher les deux questions. Me Brahimi nous dira en marge : «Je crois que le procès va se poursuivre…», avant qu’il ne rajoute au sujet de l’absence de l’avocat du principal prévenu: «Le fait que Chani refuse un avocat de fait prouve qu’il ne fait pas confiance à la Justice du pays…», a-t-il conclu. L’audience a repris vers 14h 30. Le juge a indiqué, d’emblée, qu’après concertation, le procès est reporté ultérieurement. Après l’affaire Sonatrach I remise à la prochaine session criminelle, l’affaire de l’autoroute Est-Ouest a connu le même sort.
Farid Guellil