Le bilan officiel de la permanence commerciale pour les deux jours de l’Aïd El Fitr, est plutôt des plus optimistes. À en croire les services du Commerce de la wilaya d’Alger, l’appel au service a été suivi à 99%. Au niveau national, c’est le ministre Djellab qui s’en réjouit du respect, pour ne pas dire à 100%, de l’appel au service. Qu’en est-il du deuxième jour de la fête ?
Les 4 594 opérateurs commerciaux réquisitionnés sur un ensemble de 8 779 en activité dans la Capitale ont-ils réellement respecté l’ordre d’assurer le service public ? Sur le terrain, en tout cas, le constat observé durant la journée de samedi, voire le jour qui s’en est suivi, oppose un autre avis. Pour ne pas focaliser sur la seule activité commerciale, la tendance générale qui régnait dans les communes d’Alger-centre et de Sidi M’hamed était à la paralysie. Pour le commun des curieux, il suffit d’emprunter les boulevards «Hassiba Ben Bouali» et «Didouche Mourad» en faisant escale sur le parvis de la «Grande-poste» pour le confirmer de visu. Il est vrai aussi, les activités d’habillement, de joaillerie et de restauration prédominent le commerce sur ces deux avenues.
Toutefois, rare où l’on pourrait apercevoir une cafétéria, un fast-food et encore moins une pharmacie – la grande absente- être de service. Malheur à celui qui tombe malade, une personne qui a un proche alité à l’hôpital ou chez lui et qui aura besoin d’un médicament de première urgence. On peut tout de même se permettre l’espoir de croire avoir repéré de loin une officine ouverte, avant de tomber dans la déception. Pour cause, il s’agissait finalement d’un magasin de vente de téléphones portables. Drôle de permanence ! Comme si la vie humaine dépend plus d’un cellulaire que d’un médicament. Oui, ça servirait bien un appel à l’intervention d’urgence pour se faire soigner à l’hôpital Mustapha Pacha, qui a assuré le minimum du service, en ces temps des grandes grèves des médecins résidents. Et quand bien le patient en détresse en sorte indemne, il risque de ne pas suivre à la lettre l’ordonnance du médecin traitant. Y-a-il des médicaments dans le coin ? On répond pas la négative!
Tendance morne même en dehors de la Capitale
En dehors de la capitale, et selon les échos, la tendance était plus ou moins la même au niveau des banlieues pour ne citer que le cas de «Bab Ezzouar». Une cité urbaine aux mille et un magasins de ventes d’accessoires pour véhicules. Seule une cafétéria, sise sur l’axe routier donnant accès à Alger, a ouvert ses portes. Celui qui revient sur Alger après avoir passé un premier jour de l’Aïd chez lui, constate, outre une activité commerciale morne, un trafic automobile peu fluide sur le sens inverse de la route. Un énorme bouchon formé de dizaines de véhicules qui prend chute au niveau du cimetière d’«El Alia», où les familles consacrent leur journée aux recueillements à la mémoire de leurs proches disparus. À la gare routière du Caroubier, la permanence semble de mise. À vue d’œil, et loin des calculs des services publics, souvent sujet à critique, on pourrait prétendre à un taux de service des commerçants en activité de l’ordre d’un tiers. Une cafétéria sur trois, deux à trois restaurants sur un nombre de 6 à 9, deux kiosques multiservices sur 4 ou 5. Quant à l’agence d’Algérie poste, la boutique baisse rideau. On aurait pu compter sur le Distributeur de billets de banque d’à côté, mais il est hors de service ! Direction Alger-centre, la voie autoroutière est dégagée. Les véhicules roulent à vive allure. La somptueuse Baie d’Alger maintient en rade les navires du commerce. Malgré elle, elle reste orpheline de ses visiteurs qui la contemplent depuis la Promenade des Sablettes. Une fois à la station du transport urbain et suburbain du 1er Mai, le service est assuré, à rythme moindre que d’habitude. La passerelle qui donne sur le boulevard «Hassiba Benbouali» se vide de ses passants. Deux ressortissants subsahariens étalent deux cartons. Ils vendent des produits de lunetterie. Un seul mendiant tend la main aux voyageurs. Un seul commerçant clandestin, proposant des fruits en bas de la passerelle, a survécu à la permanence de l’Aïd. Vers 10 heures, la rue «Hassiba Ben Bouali» est désertée par les commerçants et les riverains. Quelques rares passants en balade.
Deux personnes se croisent et s’échangent les embrassades sur fond de «Saha Aïdek !». Une patrouille de police sillonne le boulevard et s’arrête devant deux agents en faction. L’un interroge : «Comment se présente la situation ?». Son collègue lui répond: «La situation est bonne. C’est plutôt calme !». Un homme d’un certain âge se dirige vers un DAB (Distributeur automatique de billets) d’Algérie poste. Il a été aussitôt repoussé. «La machine est hors service», témoigne-t-il après avoir été interrogé pour savoir s’il a pu retirer de l’argent ou pas. Pour les abonnés du café-noir-matinal, comme on en connaît à une vieille tradition des Algériens, il fallait prendre son mal en patience, traverser un bon patté de maisons pour prendre, enfin, sa dose dans la seule cafétéria ouverte du coin. Vers 11 heures, à la sortie de la gare routière du 1er Mai, un restaurateur, en poste devant sa boutique, guette le moindre mouvement des voyageurs. Eh oui, il faudrait bien capter le regard des passants en ce jour de fête où il n’est pas facile de faire plein la salle, d’autant plus que l’activité a connu une pause durant tout le mois de Ramadhan. En prenant la montée vers le Boulevard «Didouche Mourad» par contre, deux marchands de fruits ont été de service au niveau du marché «Clausel». Sur place, un père de famille bat le pavé, muni d’un sac rempli de baguettes de pain, semble en route pour rentrer chez lui. Interrogé si la denrée est bien disponible dans les parages, il assure en avoir approvisionné dans une boulangerie sise à la rue «Redha Houhou» des environs. Il a même pris le soin de nous diriger vers le lieu indiqué pour faire emplette. Deux commerces de pain ont en effet assuré la permanence. L’autre boulangerie qui a ouvert les portes est située près du jardin public du quartier populaire «Meissonnier», où l’on a également remarqué quelques marchands de fruits et légumes qui ont étalé leurs marchandises à l’intérieur du marché de proximité de la commune de Sidi M’hamed.
Contrairement à la rue «Hassiba Ben Bouali», dans ce quartier populaire connu pour son activité commerciale dense en intense, une boucherie, une cafétéria- sur les trois en place- et une boutique de gâteaux et confiseries, ont assuré la permanence. Sur place, les clients d’Algérie poste sont mieux lotis qu’ailleurs. Ici, le DAB est fonctionnel, a-t-on constaté. Étant une rue habituellement très prisée par les vendeurs à la sauvette, samedi, l’activité informelle se limitait à quelques marchands, qui font étalage de jouets et autres gadgets destinés aux enfants. Les vendeurs clandestins ont dû être là la veille, comme en témoigne le tas de cartons et autres emballages de marchandises qui jonchent les trottoirs. En arrivant au somptueux et luxueux boulevard «Didouche Mourad», on croirait à un couvre-feu matinal. Vers 11 H 30, pas un commerce qui vive ou presque.
Le mouvement de foules l’est moins. Hormis quelques rares usagers qui attendent de se faire embarquer par un taxi ou en attente d’un bus de l’ETUSA, on ne reconnaît plus la vocation commerciale par excellence à ce boulevard. Une exception a failli être le cas. «Pris en flagrant délit» entrain de baisser le rideau de son bureau tabac, un jeune commerçant s’excuse de ne plus pouvoir être de service. «Désolais khou (frère) ! C’est l’heure du match (Coupe du monde, ndlr)», a-t-il répondu avant de déguerpir des lieux, clés à la main. Quant aux officines, là aussi, elles pourraient aspirer au titre de grandes absentes.
L’empreinte de l’informel …
Vous êtes de retour de deux jours de repos paisibles, passés sous le toit familial, pour reprendre votre poste de travail à Alger. Vous arrivez à la gare routière du Caroubier. Vous ne risquez pas, sinon moins que d’habitude, d’être harcelé par les taxieurs clandestins. Les approches directes et d’usage du genre «Aya taxi, taxi, taxi… !», proférées à tout bout de champ, ne s’entendent plus. Du coup, les usagers sont privés du choix sur le prix de transport, certes. Mais au moins, ils sont à l’abri de tout risque d’assurance. En effet, en cette matinée de samedi, le service de transport vers la Capitale et ses banlieues est assuré par les opérateurs privés – de bonne et due forme – et l’entreprise publique Etusa, qui a mobilisé bus et personnels à l’occasion de l’Aïd. Le métro et le tramway d’Alger l’était aussi et a monté la cadence de service. Pourrions-nous parler dès lors de manque de transport durant les deux jours de la fête religieuse ? Les écrans télé affichant les dessertes de départ et d’arrivée de la gare du Caroubier laissent quelques plages horaires vides. Le mouvement des foules connu à cette station de transport nationale est moindre que d’ordinaire. D’apparence, le service minimum est assuré. Mais, malgré, on se plaint de carence. À vrai dire, ce n’est pas tant l’activité de transport qui a manqué au rendez-vous. Mais, ce sont les opérateurs clandestins, eux qui travaillent comme bon leur semble, qui ne l’étaient pas. D’ailleurs, l’avis d’un usager en dit long sur la place occupée par le secteur informel dans le pays. Et lorsqu’elle ne répond pas à l’appel, vous imaginez le vide qu’elle engendre. «D’habitude, lorsque je rentre de Blida, je prends un clandestin pour atteindre mon lieu de travail à Bouzaréa. Mais avant, je dois aussi faire escale chez un ami pour récupérer des commissions. Donc, ce n’est pas le prix qui m’importe. Contrairement aux taxieurs réglos, avec un clandestin je pourrais au moins négocier la destination», témoigne cet ingénieur qui travaille pour le compte d’une entreprise de bâtiment privée. En dehors du transport, le phénomène de l’informel touche à presque tous les secteurs d’activité. Et si les activités du commerce sont les plus convoitées, c’est parce qu’elles offrent moins d’efforts et elles disposent de réseaux qui échappent au contrôle des autorités publiques. Du moins, en tout cas, elles semblent dépassées par l’informel, qui, aussi hors-la-loi soit-il, il a laissé son empreinte dans le paysage commercial national. À défaut, pour les pouvoirs publics, d’en venir à bout, l’informel enfonce ses griffes dans le marché et renforce son emprise. Ça a donné même des idées aux startups. Plusieurs se sont lancés en effet dans des projets de taxis intelligents qui ont vu le jour à Alger.
Reportage réalisé par Farid Guellil