Le musicien américain a été retrouvé mort, jeudidans l’ascenseur de son domicile. Chanteur et multi-instrumentaliste de génie, cet homme-orchestre a dominé la décennie 1980 à coups de tubes et de spectacles extravagants.
Le 14 avril dernier, à Atlanta, pour ce qui devait être l’ultime concert de sa longue carrière, il avait chanté, en rappel, Heroes, le célèbre morceau de David Bowie, décédé le 10 janvier dernier. C’est après cette prestation que l’avion privé qui le ramenait à son domicile avait dû atterrir dans l’Illinois pour une hospitalisation d’urgence. Son entourage avait alors évoqué que le Kid de Minneapolis souffrait d’une simple grippe. Très amaigri ces derniers temps, il avait annoncé s’atteler à la rédaction de ses Mémoires, ce qui ne manqua pas d’étonner ses admirateurs, qui connaissaient son goût immodéré pour le secret. Prince, 57 ans, a été retrouvé mort, jeudi, dans l’ascenseur des studios d’enregistrement de son domicile de Chanhassen, au sud-ouest de Minneapolis, de causes inconnues. C’est là-bas qu’il avait fait construire le complexe de Paisley Park, abritant studios d’enregistrement, locaux de répétition et bureaux, en 1988, au sommet de sa popularité. Dix ans après la sortie de son premier album, For You, sur lequel il jouait tous les instruments, Prince trônait alors au firmament des musiciens les plus acclamés. Dans les années 1960, la question qui brûlait les lèvres des amateurs de rock était : «Êtes-vous Beatles ou Rolling Stones ?» Vingt ans plus tard, leurs enfants opposaient Prince à Michael Jackson avec la même fougue. S’il n’a jamais atteint les sommets de ventes du cadet de la famille Jackson, il laisse une empreinte considérable sur la musique populaire d’aujourd’hui. Compositeur de tubes pour lui (Purple Rain,Raspberry Beret, Kiss, Sign o’ the Times, Cream, Sexy Motherfucker…) comme pour les autres (Manic Monday pour les Bangles, Nothing Compares to You), chef d’orchestre, virtuose de la guitare, il était un des musiciens les plus impressionnants d’une décennie qui engendra peu de génies de son calibre.
Il abolit les frontières entre musiques noires et blanches
Né en 1958 à Minneapolis de l’union du pianiste et compositeur du dimanche John L. Nelson et de la chanteuse de jazz amateur Mattie Della Shaw, Prince Rogers Nelson manifeste des dispositions précoces pour la musique, composant sa première chanson (Funk Machine) à l’âge de 7 ans sur le piano familial. Dans son groupe de lycée, Grand Central, il tient alternativement la guitare et le piano et se fait vite remarquer dans les clubs de sa région. Le petit prodige bâtit son style musical en s’appuyant sur ceux de James Brown, Jimi Hendrix, Miles Davis, Carlos Santana et George Clinton, poursuivant l’idéal de mixité prôné par Sly & the Family Stone, dont il peut être considéré comme l’héritier. Comme lui, il abolit les frontières entre musiques noires et blanches, réputées inconciliables quelques années plus tôt. À 18 ans, une de ses maquettes attire l’attention de plusieurs maisons de disques. Il signe chez Warner, pour la liberté créative qu’elle lui apporte. Il en partira avec pertes et fracas au milieu des années 1990, considérant qu’il est entre- temps devenu l’esclave de la multinationale. Pourtant, c’est bien sa production pour la marque qui le mènera au firmament. À ses débuts, mêlant habilement funk, rock et dance dans des chansons aux paroles salaces, il campe un personnage provocant, imposant une voix unique et un jeu de guitare virtuose. En 1984, l’album Purple Rain, bande originale d’un sympathique navet autobiographique, le consacre: When Doves Cry et la chanson titre deviennent des tubes mondiaux. Les années 1980 lui appartiennent. Il n’hésite pas à mettre en avant ses collaborateurs, notamment Wendy et Lisa, lance son label, produit de nombreux artistes et fait prospérer sa propre carrière avec une boulimie extravagante. Chacune de ses sorties est un événement majeur: Around the World in a Day trahit sa fascination pour les Beatles, Paradeest la bande-son d’un autre nanar, Under the Cherry Moon, tourné sur la Côte d’Azur, mais c’est le double album Sign o’ the Times, paru en 1987, qui tient le rang de chef-d’œuvre dans sa discographie. Malgré l’audace de Lovesexy et le succès de la B.O. du Batman de Tim Burton, Prince entame une baisse de régime qui s’amplifiera. En 1984, la sortie du film «Purple Rain», réalisé par Albert Magnoli, signe le plus gros succès commercial du chanteur. Le titre du film rappelle que l’univers visuel de Prince est défini par le mauve, couleur fétiche de la star. En 1987, Prince sort Sign «O» the Times, son premier album solo depuis la dissolution de son groupe «The Révolution». L’oeuvre est considérée comme l’un des meilleurs albums de l’artiste. Le 4 février 2007, Prince se produit pendant la mi-temps du Super Bowl XLI au Dolphin Stadium à Miami aux Etats-Unis. Sous une pluie battante, il est vivement acclamé par les fans en reprenant des hits tel que Little Red Corvette, Let’s Go Crazy et When Doves Cry.
En France, il se produit le 25 août 1986 en concert sur la scène du Zénith à Paris. Pop icône du funk dansant soupoudré de new wave, il est une des figures les plus influentes de la musique. Le 3 juillet 2011, Prince se produit au Festival Hop Farm près de Tonbridge dans le Kent au Royaume Uni .
Le 27 février 2005 , le chanteur Prince est acclamé par la foule à son arrivée avec sa femme Manuela Testolini, pour les 77 eme Academy Awards à Los Angeles aux Etats Unis. Prince aimait à s’entourer de jolies femmes. Il avait notamment composé pour le groupe féminin californien The Bangles le titre phare Manic Monday.
Une bête de scène
Prolifique jusqu’à l’écœurement, il commence à saboter sa propre production faute de trier le bon grain de l’ivraie, parmi les morceaux qu’il compose vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il épuise différents groupes, exigeant une disponibilité totale de leur part, et commence à lasser son public le plus fidèle à coup de triples albums et de concepts mal cuits. Accompagné d’un producteur de la trempe de Quincy Jones, Prince aurait commercialisé beaucoup moins de références, mais aurait sans doute maintenu un meilleur niveau musical. On se souviendra de la séquence impeccable de la décennie 1982-1992, à côté de laquelle ses disques ultérieurs font pâle figure. Contrairement à sa discographie, dont l’intérêt s’émousse au fil du temps, Prince est resté un artiste de scène fascinant jusqu’au bout. Depuis les shows ambitieux des années 1980 jusqu’aux concerts intimistes de l’an passé, son charisme inouï, en dépit de sa taille réduite (1,57 m) en fera une attraction majeure. D’une souplesse inouïe, il règle des ballets réglés sur le fil, avec des accompagnateurs triés sur le volet, soignant les décors et les tenues avec un perfectionnisme maladif. Musicien intarissable, jazzman dans l’âme, il prend l’habitude, après avoir rempli des grandes salles, de donner rendez-vous à ses fans quelques heures plus tard en club afin de s’adonner à son grand plaisir : jammer, en oubliant la représentation et la célébrité parfois encombrante.
En novembre 1999, après sa prestation au Zénith, il avait ainsi retourné le Bataclan, sous les yeux ébahis de people comme Carla Bruni et Jean-Jacques Goldman, délivrant des chorus de guitare inspirés sur des reprises de ses artistes préférés, heureux comme un gosse de mettre en avant son héros Larry Graham. C’est à cette époque, qu’ayant abandonné son nom de scène, il se fait désigner par un Love Symbol imprononçable créé par ses soins et qui donne sa forme si alambiquée à sa guitare.
Un homme dévoré par son art
Pionnier d’Internet, il dénoncera avant tout le monde la mainmise des géants du Web sur la musique, expérimentant des pistes alternatives pour diffuser sa musique. Il insiste pour se produire dans de beaux endroits. On le verra ainsi au Grand Palais en octobre 2009, trois mois après avoir conclu le Festival de Montreux, avec deux concerts dans la même soirée. Ou au New Morning, où, durant l’été 2010, il donne un concert historique de près de quatre heures. Dans la capitale, où il a possédé un pied-à-terre, on prêta plusieurs aventures à cet homme à femmes, qui se maria à deux reprises : d’abord avec une de ses choristes, qui lui donna en 1996 un garçon décédé une semaine après sa naissance, puis en 2001 avec la Canadienne Marina Testolini, dont il divorcera en 2006. Végétarien de longue date, il avait rejoint les Témoins de Jéhovah sur les conseils du bassiste Larry Graham, en 2001, réécrivant au passage les textes de ses chansons les plus scabreuses. Il laisse l’image d’un homme dévoré par son art. Miles Davis, qui l’admirait beaucoup, l’avait défini comme «un mélange entre Duke Ellington, Marvin Gaye, Jimi Hendrix, Sly Stone et Little Richard».