A 20 ans, Mumtaz l’Afghane n’a déjà plus sa beauté d’antan. Il y a quatre ans, un prétendant éconduit lui a jeté de l’acide au visage. Depuis, Mumtaz vit dans la peur. Réfugiée dans une maison sécurisée de la province instable de Kunduz (nord), Mumtaz ajuste son châle pour cacher tant bien que mal les terribles cicatrices qui lui lacèrent le visage. Puis elle parle des horreurs de la nuit où le prétendant dont elle refusait les avances, un milicien anti-talibans connu pour sa brutalité, a fait irruption chez elle avec six complices. «Il m’a saisie par les cheveux et m’a lancé de l’acide à la figure avec une telle hargne… C’était comme s’il me criait: +et maintenant, essaye un peu de te trouver un mari+», raconte Mumtaz, qui, comme beaucoup d’Afghans, n’a qu’un prénom. Elle a hurlé, s’est débattue. Rien à faire. Le poison s’est répandu sur son visage, consumant sa chair et ses espoirs. Pendant quatre ans, les opérations ont succédé aux douloureuses greffes de peau. Et Mumtaz vit aujourd’hui cachée à Kunduz, une province du nord de l’Afghanistan où les rebelles talibans ont lancé une de leurs plus rudes offensives depuis le début de la saison estivale des combats. La jeune femme dit avoir reçu des menaces de ses agresseurs, dont certains échappent toujours à la justice.
Yeux de biche et peau douce
Le calvaire de Mumtaz résume à lui seul les grandes tragédies de l’Afghanistan. Les violences faites aux femmes, les milices anti-talibans, qui ajoutent encore un peu plus au chaos ambiant, et les défaillances d’un Etat manifestement incapable d’offrir un minimum de sécurité sont autant de maux auxquels le pays n’a toujours pas trouvé de remède. En mars, le lynchage de Farkhunda avait dévoilé la face barbare de certains Afghans, prêts à tabasser à mort une jeune fille parce qu’une fausse rumeur voulait qu’elle ait brûlé un Coran. L’affaire avait suscité un vif émoi dans le pays et à l’étranger et quatre personnes ont été condamnées à mort. Les attaques à l’acide dont sont fréquemment victimes les Afghanes qui refusent de porter le voile ou repoussent des prétendants trop insistants sont, elles, moins médiatisées. L’agression de Mumtaz n’a été que le chapitre dramatique d’une sale histoire débutée deux ans plus tôt. Mumtaz a 14 ans, des yeux de biche et une peau douce que lui envie toute sa famille. Et c’est là tout son drame. Elle ne sort plus seule et se cache derrière une burqa pour échapper aux avances d’un membre d’une milice anti-talibans, un de ces groupuscules accusés d’abus et de racket sous couvert de «protection».
Pas dépité, l’homme la harcèle
Deux ans plus tard, lorsqu’il apprend qu’elle est promise à un autre, la rage et un sentiment d’humiliation le poussent à s’en prendre physiquement à Mumtaz. Il la défigure à l’acide. Il est aujourd’hui en fuite. Trois de ses complices ont été condamnés à dix ans de prison, une sentence inhabituellement sévère dans un pays où les femmes sont généralement démunies face à l’appareil judiciaire.
«Ils ne nous laisseront pas en paix»
Mais, cruelle ironie du sort, c’est lorsque certains de ses bourreaux se sont retrouvés derrière les barreaux que les véritables ennuis de la jeune femme ont commencé. «Ils ont menacé de me décapiter. Ils m’ont dit: +on va tuer toute ta famille quand on sortira de prison+», se souvient-elle. «Et on va s’occuper de toi». «Chez Mumtaz, les hommes sont obligés d’être armés et dorment à tour de rôle» pour monter la garde, explique Haseena Sarwari, responsable de l’ONG Women for Afghan Women, qui a aidé Mumtaz à se faire soigner en Inde. Sultan, le père de Mumtaz, en est tout retourné. Son quotidien est désormais fait de grandes frayeurs et de petites frousses.
Il tremble rien qu’à l’idée d’aller jusqu’à sa ferme. «Même s’ils sortent de prison, nous serons toujours dans leur viseur», souffle-t-il. «Ils ne nous laisseront jamais en paix». Seule lueur d’espoir pour Mumtaz: elle s’est mariée à l’homme auquel elle était fiancée avant l’agression. «Mais je vis constamment dans la peur qu’ils me retrouvent», dit-elle.