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Histoire : la bataille de Djebel Béchar entre archives coloniales et témoignage du seul moudjahid survivant

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Pour la commémoration du 55ème anniversaire de la disparition du Colonel Lotfi, du Commandant Ferradj, de Zaoui Cheikh et Brik Ahmed à Djebel Béchar, le 27 mars 1960, nous publions des témoignages inédits relevés dans les archives des forces coloniales et le témoignage du seul moudjahid survivant, Aïssa Benaroussi.
Pour la vérité historique, nous nous référons à l’allocution de l’ex-ministre de l’Intérieur, Daho Ould Kablia, qui a passé 7 ans dans les rangs de l’ALN, de 1956 à 1963, en tant que SG du DDR du MALG et compagnon du Colonel Lotfi, retraçant, lors de la commémoration du 50ème anniversaire, le parcours du Combattant, pour mettre fin aux nombreuses interprétations sur le fait de la découverte de son infiltration dans le territoire occupé. Il a alors fait lecture de deux documents authentiques des forces d’occupation. Pour le recoupement, nous avons vérifié ces faits cités avec le contenu du rapport n° 1206 en date du 22 avril de la Justice de paix de Colomb-Béchar, cité dans le témoignage inédit du défunt général Ali Djemaï, dit Si Khaled, ancien commandant de la Garde républicaine, sur la mort du Colonel Lotfi offert en exclusivité par Mme Lamia Benblidia, fille du défunt Ali Djemaï, au supplément n°1 -mai-2012 de Mémoria , le magazine consacré à l’histoire de l’Algérie.

Le P.V de la gendarmerie française
Le P.V de la Gendarmerie française établi le 9 avril 1960 cite que « le 27 mars 1960, l’opération montée sur exploitation des traces de 5 dromadaires à Djebel Béchar relevées par avion de surveillance à midi. Au cours de l’action, 4 rebelles étaient tués et 1 cinquième fait prisonnier. Du côté des forces de l’ordre 5 morts étaient à déplorer et 3 blessés dont un officier. Les rebelles laissaient sur le terrain deux fusils Mas 49, deux carabines, un pistolet-mitrailleur 40 Moser ainsi que des documents. » Voilà tout ce qu’a dit Ould Kablia, il n’y avait ni poste de transmission ni autre chose. Il cite les déclarations des officiers ayant participé à cette opération.

Rapport du chef de la 4ème compagnie aéroportée
«…le 30 mars, nous Morgan Henri, 33 ans, lieutenant actif de la Légion étrangère, chef de la 4ème compagnie aéroportée, déclarons qu’à 9 h du matin du 27 mars 1960, ma compagnie a été alertée pour se préparer à une opération à Djebel Béchar plus exactement à Oued Lekhenag, où venaient d’être découvertes des traces de dromadaires. A 9 h 30, je recevais l’ordre du secteur de Colomb-Béchar de me porter avec toute ma compagnie vers la côte 941. Je suis arrivé avec mon 2ème peloton au lieu indiqué à 10h 30. Mon 2ème peloton escaladait le Djebel. J’ai pris place dans un hélicoptère Alouette pour aller prendre des ordres auprès du colonel qui commandait l’opération. Après prise de contact avec lui, j’ai donné ordre à mon 2ème peloton de s’approcher de 500m du lieu où se trouvaient les rebelles, puis j’ai envoyé le 3ème peloton pour assurer la protection des pisteurs de commandos de chasse (harkis) qui suivaient les traces de la caravane. Arrivés à proximité du confluent de l’oued, le commando était pris à partie par les rebelles. Le 2ème peloton tentait le dégorgement par le Nord, du fait du tir ajusté des rebelles. Le sous-officier chef de groupe était grièvement blessé et trois légionnaires tués. A ce moment-là, je me lançais avec mon peloton vers le lieu de l’accrochage dont j’étais séparé de 300 m et j’ai donné ordre au 3ème peloton de se porter vers le confluent de l’oued où étaient retranchés les rebelles. Le 3ème peloton a rejoint le commando qui se trouvait sous le feu des rebelles et le chef de peloton, le lieutenant Bezou, fut grièvement blessé à son tour. Les rebelles complètement encerclés opposaient une vive résistance. Ordre fut donné de se replier pour laisser place à l’intervention des hélicoptères de combat. Une demi-heure plus tard, la riposte des rebelles s’éteint et les armes se turent. Le combat était terminé. En ce qui concerne le résultat :

Les morts
1-Alphonse Timmer, né le 17 mai 1935 à Grimbergen en Belgique, sergent de la 4e compagnie saharienne portée.
2-Claude Draemes, né le 19 juin 1935 à Ucode en Belgique, soldat de la même compagnie.
3-Andreas Featko, né le 17 janvier 1939 en Hongrie, soldat de la même compagnie.
4-Prekus Wladislar, né le 15 juillet 1936 à Mouastaz en Pologne, soldat de la même compagnie.
5-Aïssa Berramdane, né en 1919 à Abadla, harki du 2ème commando de chasse à la CCAS du 35ème régiment d’infanterie de Béchar.
Les blessés :
1-Louis Bezou, né le 18 mars 1930 à Pantin (Seine), lieutenant de la 4ème compagnie saharienne.
2-Jean Megchalsen, né le 24 novembre 1934 à Almelo en Hollande.
Il reste entendu que les pertes ennemies révélées ne concernent que la 4e compagnie saharienne portée, celles subies par le 35ème régiment d’infanterie, unité qui s’était accrochée en premier avec le groupe de nos valeureux combattants, n’ont pas été citées.

Témoignage du seul moudjahid survivant à cette bataille
De son côté, le moudjahid Aïssa Benaroussi, fait prisonnier, fait la déclaration suivante après l’indépendance de notre pays: « Lorsque j’ai rencontré Lotfi, il m’a fait part de son projet, il m’a demandé de prendre une arme automatique et de choisir cinq dromadaires parmi les plus résistants. Nous étions cinq, en effet, à nous infiltrer à partir de la frontière sud vers Béchar. Il y avait le colonel Lotfi, le commandant Ferradj, deux djounoud, Cheikh Zaoui et Ouled Ahmed, et moi-même. Auparavant, les deux officiers devaient se rendre à une importante réunion des cadres de l’ALN et se séparèrent des deux djounoud et de moi-même à Boudenib où il était convenu que nous nous retrouverions après 3 jours, mais la réunion n’a duré que 2 jours. Lors de la traversée, nous fûmes d’abord intrigués par le manège d’avions ennemis au-dessus de nos têtes, puis nous comprîmes que nous étions pistés au sol. De nombreux indices montraient que les forces colonialistes amorçaient un encerclement. Notre petit groupe commença alors à zigzaguer d’un endroit à un autre pour éviter les pluies de balles qui nous sifflaient aux oreilles et aussi pour se positionner à la riposte. Les avions commencèrent à larguer des parachutistes au sud puis nous fûmes complètement encerclés. J’avais conseillé de gagner les rochers, sur les hauteurs pour mieux nous défendre, mais le colonel avait déjà donné ordre d’ouvrir le feu.
Les avions nous mitraillaient de partout tout en nous lançant des grenades fumigènes. Nous avons réussi à abattre un B-29, quand les premiers hélicoptères-ambulances firent leur apparition pour évacuer leurs morts et blessés. Je me rappelle qu’au moment où la bataille faisait rage, Cheikh Zaoui disait que c’est dans de telles circonstances que nous montrerons à l’ennemi que nous sommes des hommes, de vrais ! Je me rappelle aussi que c’était juste après que ma carabine se soit enrayée que les commandos ennemis se sont rapprochés. Lequel de mes compagnons est tombé le premier ? Je ne saurai le dire. De rage, j’ai laissé tomber ma carabine et au moment où je me suis retourné, ils gisaient tous à terre. » Le même témoin de l’accrochage a déclaré, quelque temps plus tard, à la RTA qu’une balle avait atteint le cœur de Si Lotfi après avoir traversé son portefeuille et lorsque le commandant français, chef du commando, avait reconnu les corps, il tint les propos suivants : « Si nous savions qu’il s’agissait de Lotfi et de Ferradj, nous nous serions contentés de les faire prisonniers.» Nos martyrs ont donné une leçon de courage en cette inoubliable matinée du 27 mars 1960 et montré comment tomber en héros sur le champ de bataille face à 450 hommes de la Légion étrangère et d’un commando de chasse.
La lecture du P.V dressé par les forces de l’occupation montre que la Légion étrangère s’est repliée après avoir perdu 5 hommes et a laissé place à l’intervention des hélicoptères de combat pour venir à bout de 5 moudjahidine armés de deux fusils Mas 49, deux carabines et un pistolet-mitrailleur 40 Moser. Les héros de ce 27 mars 1960 se nomment : Dghine Benali, plus connu sous le nom de guerre Colonel Lotfi, Mohammed Laâouedj, dit Commandant Ferradj, les djounoud Zaoui Cheikh, Brik Ahmed et Benaroussi Aïssa. Ce dernier, blessé a été capturé vivant et emprisonné jusqu’à l’indépendance où il a terminé sa carrière dans la Gendarmerie nationale. Il a rejoint ses compagnons de combat dans les années 80 après avoir vu l’Algérie indépendante. Sur les épitaphes du cimetière des Martyrs de Béchar, on peut lire : Dghine Benali, dit Colonel Lotfi, fils de Abdelkrim et de Laâkbani Mansouria, né le 7 mai 1934 à Tlemcen et décédé à Béchar, le 27 mars 1960. Pour le Commandant Ferradj, de son vrai nom Mohammed Laâouedj, fils d’Ahmed, né à Ouddana, commune d’Aïn Ghoraba dans la wilaya de Tlemcen en 1934.Curieuses coïncidences de l’histoire de ces deux glorieux martyrs. Ils sont nés tous les deux en 1934 et dans la même ville. Ils ont rejoint le maquis en 1955 et sont tombés au champ de bataille le même jour et au même endroit, les armes à la main.
Messaoud Ahmed

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