Après plusieurs pays qui ont rejeté l’invitation, c’est au tour de l’Unesco qui ne participera pas au Forum de Crans-Montana qui se tiendra entre les 12 et 14 mars 2015 à Dakhla, une ville du Sahara occidental, sous occupation marocaine. C’est ce qu’a annoncé la directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, dans une lettre adressée au président exécutif du Forum de Crans-Montana, Jean-Paul Carteron.
La raison invoquée par la directrice générale est que l’Unesco «ne saurait s’associer à un Forum, dont la prochaine édition se tiendra à Dakhla, territoire contesté aux fins du Droit international et aux termes des Résolutions pertinentes du Conseil de sécurité des Nations unies, auxquelles (l’Unesco) est tenue de s’aligner. Ce Forum organisé pour redorer l’image du Maroc est une grossière opération marketing organisée à la veille d’une réunion importante du Conseil de sécurité qui devrait en principe se prononcer sur le blocage marocain du processus de paix et surtout sur la tenue du référendum d’autodétermination du peuple sahraoui. Pour rappel, le Sahara occidental est un territoire autonome, placé sous la juridiction de l’ONU, en attente d’un référendum sur son indépendance depuis bientôt 25 ans. Cette localisation controversée a entraîné par ailleurs la désaffection de partenaires réguliers du festival, tels que l’Unesco et sa directrice générale, Irina Bokova. Invité à y participer mais ayant refusé, Carlo Sommaruga, président de la Commission de politique extérieure du Parlement suisse, se montre méfiant: «J’ai interpellé le Conseil fédéral pour m’assurer qu’il n’y avait pas d’appui financier ou politique de la part de la Confédération.» Pour l’élu de gauche, les invitations du Forum, qui mentionnent «Dakhla, Maroc», montrent «un mépris total du peuple sahraoui». Liliane Maury Pasquier, conseillère d’État socialiste, partage cet avis: «C’est problématique que ce Forum se présente comme une ONG suisse. Il pourrait y avoir un dégât d’image pour notre pays.» Le président des Jeunes Verts, Illiat Panchard, a même écrit une lettre à Didier Burkhalter, chef du Département des affaires étrangères, pour lui demander que la Suisse s’oppose à l’organisation du Forum au Sahara occidental. Malgré un exil dans des circonstances troubles à Monaco, le Forum a gardé son nom d’origine. Les bureaux, les employés ainsi que la raison sociale du Forum ont été déplacés dans la Principauté monégasque. Cette organisation n’a donc plus rien de suisse, si ce n’est son fondateur, Jean-Paul Carteron, et le «.ch» du site internet.
Carlo Sommaruga fustige le double jeu du Forum, qui annonce sur son site «une organisation possédée et dirigée par un Suisse, gérée à Monaco». Il affirme même que cette revendication suisse serait contraire à la loi sur la propriété intellectuelle: «Sachant que le Forum ne possède pas de bureau ou de financements suisses, c’est une escroquerie intellectuelle méprisable.»
Le politicien ajoute: «Ce n’est pas normal qu’un ancien diplomate français, au service de grandes puissances étrangères, comme la France ou le Maroc, utilise la neutralité de la Suisse pour donner une crédibilité à son organisation.» Le flou qui entoure le Forum gêne aussi Stéphane Pont, président de l’Association des communes de Crans-Montana: «C’est une situation regrettable». Jusqu’à présent cela ne nous avait pas posé de problèmes que notre nom soit utilisé, mais, au vu des événements récents, je n’exclus pas que nous demandions une modification du nom du Forum. Ancien avocat de François Duvalier, l’ancien dictateur haïtien, Jean-Paul Carteron est aussi ambassadeur des îles Salomon -Un paradis fiscal- auprès de l’ONU et directeur de la Chambre de commerce albano-suisse.
Cet homme d’affaires, titulaire de la Légion d’honneur et reconverti en « philanthrope», a toujours aimé mélanger les genres. On peut ainsi voir sur la mosaïque de photos officielles des forums précédents des dictateurs comme l’Azéri Ilham Aliyev ou encore le Turkmène Gurbanguly Berdi muhamedow, mélangés à des personnalités beaucoup plus consensuelles comme feu l’abbé Pierre ou Simone Veil. Selon Eugène Parise, avocat suisse spécialisé dans la propriété intellectuelle, cité par la presse helvétique, l’Association des communes de Crans-Montana serait «fondée à demander au Forum de changer de nom immédiatement».
Pour l’avocat, c’est l’absence d’attaches réelles avec la Suisse qui pourrait justifier une demande de la part des communes valaisannes. Il observe cependant qu’elles devraient prouver qu’il y a un dégât d’image causé par le Forum.
Pascal Fehlbaum, avocat spécialisé dans le domaine de la propriété intellectuelle, se remémore un cas où la commune de Montana avait justement demandé et obtenu du Tribunal fédéral l’interdiction d’utilisation de son nom par l’Institut Montana de Zoug. Il rappelle que l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IFPI) peut refuser l’enregistrement d’un signe géographique qui serait utilisé comme une marque suisse en cas d’inexactitude de la provenance de ladite marque.
M. Bendib